Le sel de la vie

Pilote de chasse aguerri, Ronan Keravel de Tromelin, hobereau breton, voit sa vie basculer en Méditerranée lors d’un accident d’appontage. Il ne reprendra plus jamais les commandes d’un chasseur embarqué mais repart dans sa Bretagne natale "à la recherche de ses sources". Découvrira-t-il son miroir d’éternité comme d’autres personnages qu’il croisera au cours de son périple l’ont découvert ?

A la fois roman d’aventure et conte ésotérique, Le miroir d’éternité, de Christian Cadiot, est un manuel de survie à l’usage "des naufragés de l’amour que nous sommes tous, hommes ou femmes". Un roman pétri d’humanisme aussi, exaltant des vertus délicieusement surannées, telles que le courage, la simplicité ou la sincérité.

Il y a dans ce roman deux niveaux de lecture

Le premier niveau, que l’on pourrait qualifier de profane, embarque le lecteur de Toulon à La Corogne, en passant par le Lac de Daumesnil et le port du Dibenn, entre souvenirs d’enfance et émois amoureux, tout en l’incitant à réfléchir, de façon impressionniste, à partir de citations d’auteurs classiques et de théories scientifiques. Le second niveau de lecture est un véritable parcours initiatique, à la recherche du "miroir d’éternité" ou de "la vraie lumière". Peu à peu, Ronan Tromelin apprend en effet à ordonner "la matière" - à commencer par son existence propre- et à la sortir symboliquement "de sa gangue". Cette lumière n’est pas spontanée, ce n’est pas non plus -en dépit de ses références christiques- une lumière révélée. Plutôt le symbole des efforts entrepris par les hommes pour tenter d’approcher le permanent dans l’éphémère.

Permanent qui prime tout, lumière qui éclaire, voilà la quête, l’espoir de Tromelin, même si l’auteur ne fait que le suggérer, sans jamais s’appesantir en démonstrations trop savantes ou trop hermétiques. Tromelin le pilote vivait dans l’insouciance, dans "une navigation vierge de toute utilité". Tout de suite après son accident, il a "le sentiment d’avoir franchi une étape", qui lui donne "une nouvelle identité". Cette quête n’est pas sans rappeler la formule attribuée au fondateur de l’ordre des derviches tourneurs : "L’homme est comme un isthme entre la lumière et l’obscurité". Car cette oscillation, ce va-et-vient entre le relatif et l’absolu, est le moyen, pour Tromelin, d’accéder au centre de la conscience, que l’on nomme tour à tour vérité, lumière, humanité, amour. Lorsque l’unité se réalise, il n’y a plus dualité mais harmonie, équilibre, fusion. On peut dire alors qu’une ouverture s’opère, qui immerge la conscience dans la lumière, à tel point que celle-ci devient elle-même lumière. Elle s’amplifie jusqu’à remplir tout l’univers, sans masse ni densité ni temporalité.

Le quotidien devient vaste et illimité

Le moindre geste quotidien s’inscrit alors dans une réalité qui dépasse la matière. Dans cet état de conscience, nous sommes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Nous devenons transcendants ; notre pensée et nos actions ont une répercussion insoupçonnée. Nous savons que le moindre battement d’ailes d’un papillon pourrait déclencher une tempête à un autre endroit de la planète et qu’une simple phrase comme celle de Galilée "Eppur’ si muove" peut changer radicalement la vision du monde. Cette conscience nous permet d’être partout à la fois, ici et ailleurs, dans ce monde que nous connaissons et dans d’autres. Le quotidien devient vaste, illimité. Il n’est plus fondé sur une réalité temporelle. L’homme universel est alors concerné par tous les événements, qui’ls soient heureux ou malheureux.

C’est "le constat impitoyable de réalisme" de "l’homme de Chambéry", que Tromelin rencontrera une nouvelle fois à la toute fin de l’histoire : "Retenez simplement que l’échec vient du fait que nous projetons sur l’autre comme sur un écran notre propre attente, alourdie parfois même de fantasmes, et que nous nous privons ainsi de toute possibilité de communiquer avec lui, de le percevoir dans son intériorité, dans sa noblesse de l’aimer pour lui-même dans toute sa dimension". Né à Lyon en 1951, Christian Cadiot est actuellement capitaine de frégate de réserve de la Marine Nationale et conseiller à la Cour de cassation de Paris. Tenant la plume comme il tient la barre, il se définit malicieusement dans la vie comme "marin breton au service de la justice de la République" et place "l’authenticité au sommet des valeurs humanistes". On pourrait ajouter, citant Rimbaud et son Alchimie du Verbe : "Elle est retrouvée. Quoi ? L’Éternité. C’est la mer mêlée au soleil".

Le miroir d’éternité, de Christian Cadiot
Éditions des Traboules
216 pages, 19,50 €

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