Publié jeudi, le rapport de la Cour des comptes n'en finit pas de faire réagir. Réduction des effectifs de police nationale, chiffres de la délinquance, vidéosurveillance, l'institution épingle le bilan de Nicolas Sarkozy sur la politique de sécurité publique. Mais qu'en pense la police ?
Jean-Paul Borrely, secrétaire zonal sud-est Lyon Alliance Police Nationale (APN), syndicat plutôt classé à droite et Philippe Capon, secrétaire général de l'union nationale des syndicats autonomes (UNSA), syndicat plutôt affilié à la gauche, reviennent sur les points sensibles de ce rapport. Réactions.
Lyon Capitale : Le rapport souligne le manque de fonctionnaires de police nationale et, à l’inverse, une inflation des policiers municipaux ? Qu’en pensez-vous ?
Jean-Paul Borrely (syndicat Alliance Police Nationale) : La position du syndicat Alliance est très claire sur ce point. Il est évident que le recrutement d’un fonctionnaire de la police nationale coûte beaucoup plus cher qu’un policier municipal, les critères de sélection ne sont par ailleurs pas les mêmes.
Mais, la sécurité à un prix et actuellement la politique menée en amont par Bercy au travers de la RGPP (réduction générale des politiques publiques) mène clairement à une réduction des effectifs.
Il faut souligner aussi que ce déséquilibre à un coût à terme pour le contribuable car le recrutement des policiers municipaux est établi à partir des impôts locaux. Ce que je souhaite dire c’est que nous avons besoin de policiers nationaux qui ne font pas les mêmes missions que la police municipale mais qui sont indispensables. Donc, travailler plus, d’accord, mais avec plus de moyens.
Philippe Capon (Union nationale des syndicats autonomes) : On a une sécurité à deux vitesses. Les communes qui ont les moyens recrutent énormément et d’autres ne peuvent pas. Je pense notamment à certaines communes de la côte d’Azur comme Nice qui ont engagé des moyens considérables pour la police municipale.
En réalité sur ce point, le problème est de savoir qui fait quoi entre les deux forces ? Il faudrait qu’un jour l’administration prenne le taureau par les cornes pour réunir sous un même service les policiers municipaux et nationaux typiquement dans un centre de sécurité départemental. Il nous faut en tout cas une coopération de ces deux forces dans le commandement notamment en Province. C’est plus compliqué pour la région parisienne avec son morcellement territorial particulier.
Typiquement il y a des cas aberrants à ce propos sur Lyon où il y a un manque d’effectifs et les policiers sont en difficulté sur un certain nombre d’interventions. Ils préviennent les gendarmes qui ne veulent pas intervenir. Il faut dépasser les frontières territoriales et corporatistes. Le projet à terme ce serait la fusion globale mais évidemment cela ne se fait pas car chacun reste campé sur ses positions.
A quelques mois des présidentielles, ce rapport fait émerger de nouveau le débat sur la police de proximité qui avait été mise en place sous le mandat de Lionel Jospin. Quelle est votre jugement sur cette politique ?
JPB : Cela fait très longtemps que je suis dans la police, j’ai connu toutes les appellations et les formes de police, îlotiers, police de proximité, etc. Le problème de la police de proximité c’est qu’elle est dévoreuse d’hommes. Elle demande énormément de personnel. Tous les mots sont magnifiques mais il nous faut d’abord une police nationale renforcée et une justice qui fonctionne car il ne suffit pas que la police nationale fasse son travail si derrière rien ne suit. Vous savez, la police nationale est probablement une des meilleures d’Europe mais la France est souvent épinglée par l’Europe pour ses conditions de garde à vue ou sur les questions d’effectifs notamment.
PhC : La police de proximité est une absurdité. Les fonctionnaires de police servaient à tout. Les gens venaient se plaindre de tout et de rien et les policiers étaient submergés par les procédures qui les empêchaient de faire le travail de patrouille sur le terrain. Ce n’est pas à nous de tout faire. Il y a un réel problème lorsque l’on voit que les services publics ont déserté dans certains quartiers.
Concernant les chiffres de la délinquance, la Cour des Comptes juge douteux les chiffres qui mettent en avant une baisse de cette dernière. Peut-on faire dire ce que l'on veut aux chiffres ?
JPB : On peut bien faire dire aux chiffres ce qu’on veut. Ce qui compte ce ne sont pas les chiffres mais le taux d’élucidation. Par ailleurs combien y a-t-il de gens qui ne vont pas déposer plainte par peur de déranger la police dans la nuit par exemple.
PhC : Les policiers font leur travail du mieux qu’ils peuvent et les chiffres restent les chiffres.
Pourtant le rapport souligne aussi une part de responsabilité des policiers qui refuseraient parfois d’enregistrer les plaintes ce qui a eu pour conséquence selon le rapport d’éviter une hausse statistique de la délinquance en 2009.
JPB : C’est un argument inacceptable. Tout policier doit accepter une plainte. Si toutefois il ne le faisait pas c’est grave mais vous savez si un policier n’a pas envie il existe de nombreux lieux de dépôts de plainte sur l'agglomération lyonnaise. Dans ce cas précis, il faut tout faire pour aller ailleurs.
PhC : Je pense que le ministère a fait un maximum d’efforts sur ce point et il me semble que les statistiques ont été fiabilisées.
Sur la vidéosurveillance, le rapport remet en cause "un développement rapide mais coûteux". Quelle est votre positon sur cet outil ?
JPB : Le problème c’est que derrière ces caméras il faut des hommes. Aussi il est important de rappeler que ces outils sont surtout utilisés par les municipalités et non pas par la police nationale. Les fonctionnaires de police sont là pour faire un travail d’intervention, les caméras permettent d’identifier les individus pour des délits graves tels que des crimes et sur certains cas ils sont très efficaces. La vidéo protection est un appui pour la justice mais elle a des coûts financiers effectivement.
PhC : Il est évident que la vidéosurveillance coûte cher en exploitation, en gestion. Par ailleurs elle présente des limites puisque la délinquance s’adapte à cet outil. L’autre problème c’est que parfois elle sert surtout dans l’intérêt des maires. Un d’entre eux m’expliquaient l’autre jour qu’il avait dans sa commune 100 caméras qui tournaient 24h sur 24. Cela fait 2400 heures d’exploitation. Comment voulez vous qu’il y ait assez d’hommes derrière ?
L’idéal c’est que cette vidéosurveillance permette d’intervenir dans la minute mais souvent c’est simplement de l’enregistrement. En tout cas cela doit être le rôle des fonctionnaires de police d’être derrière les caméras et pas à des sociétés privées. On ne peut pas confier la sécurité à des organes privés sinon cela pose la question de savoir jusqu’où on va aller dans la surveillance des gens.