Deux mois après l'inspection de la Direction départementale de la cohésion sociale, et six mois après la parution de l'article de Tribune de Lyon qui avait dénoncé un système établi il y a 60 ans, 31 anciens sans-abri en insertion au foyer sont toujours en sursis. Une dizaine seulement pourra être reclassée.
"Depuis l'origine du foyer (1951) c'était la volonté de Gabriel Rosset d'avoir des employés au pair, c'est-à-dire des personnes très éloignées de l'emploi, souvent empêtrées dans des problèmes d'addiction aux drogues ou à l'alcool, que l'on accompagne vers l'emploi, tout en leur proposant le gîte et le couvert", explique Benoît Vianney, président du Foyer Notre-Dame des Sans-Abri, plus grosse structure d'accueil à Lyon des sans-abri, 5 000 en moyenne y sont accueillis chaque année.
"C'est vrai, nous ne les payions pas"
Problème, depuis la parution de l'article de Tribune de Lyon dénonçant en mars 2011 "l'exploitation" des sans-abri non rémunérés au foyer (lire ici), et l'inspection diligentée en conséquence par la préfecture cet été; le service insertion du foyer a été mis à mal. "Il va fermer, précise même le président et ses quatre employés seront reclassés".
L'inspection menée cet été par les services de la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) a montré que les contrats d'insertion, signés par 31 usagers du foyer, étaient illégaux. Ils ne percevaient en échange de leur travail aucune rémunération, alors que seul Emmaüs est autorisé à utiliser ce type de contrat d'insertion non rémunéré. "Pourtant, le foyer faisait signer ces contrats depuis 60 ans, avant Emmaüs, et nous déclarions ces personnes à l'administration en toute transparence", précise Benoît Viannay. La préfecture a fait savoir cette semaine, que le foyer était en effet "de bonne foi, mais la règle, c'est la règle et elle s'applique à tous" a estimé une collaboratrice du préfet.
"C'est vrai, nous ne les payions pas, reconnaît néanmoins le président, mais il s'agit de personnes trop éloignées de l'emploi pour qu'on leur propose un contrat d'insertion professionnel, même à mi-temps; elles sont incapables de se plier à des horaires de travail. A cause de leurs addictions, elles se rendent au travail quand elles le peuvent. Certains jours, nous ne les voyions pas, puis elles reviennent. C'est compliqué aussi de leur distribuer un salaire qui, on le sait, sera entièrement dilapidé dans l'achat d'alcool ou de drogue. Ceci étant, elles continuent à percevoir le RSA ou l'Allocation adulte handicapé (AAH) et bénéficient d'un encadrement très important de la part de notre service insertion, accompagnement à l'emploi et à la vie sociale. Des chambres ou de studios individuels sont mis à leur disposition, entièrement pris en charge par le foyer. Un repas leur est servi trois fois par jour, et nous les habillons gratuitement. Ils bénéficient aussi d'une salle de repos et de loisirs avec billard. Leur accompagnement prend en moyenne 2 à 3 ans".
Ces 31 personnes bénéficiaient donc jusqu'ici d'un statut spécial au sein du foyer, le même que les 265 autres passagers en contrats d'insertion professionnels mais sans la même assiduité au travail. Tandis que les autres "passagers", ceux n'étant pas inscrits dans une démarche d'insertion, sont logés en cabines individuelles. Un seul repas leur est servi par jour, le soir, et ils n'ont accès à aucune salle de billard.
Une dizaine de reclassements envisagés
Dès lors, une fois leurs contrats rendus caducs par la préfecture, que deviennent ces 31 personnes ? "Nous n'allons pas les mettre dehors bien sur. Pour l'instant, ils bénéficient des mêmes services qu'avant, sauf qu'ils n'ont plus le droit de travailler dans nos ateliers (peinture, menuiserie, centre de tri, etc)". Depuis début septembre, le service des ressources humaines du Foyer les reçoit individuellement afin d'établir avec eux un "diagnostic personnalisé". D'autres contrats d'insertion, légaux, leur sont proposés, type Contrat unique d'insertion (CUI) et Contrats d'accès à la vie active (CAVA).
Benoît Vianney espère ainsi en reclasser "une demi-douzaine en CUI" et quelques autres en CAVA. Au bas mot une dizaine, sachant qu'ils ne pourront pas forcément être orientés vers l'activité de leur choix. "On ne peut pas avoir de contrats CUI mélangés avec des contrats CAVA au sein d'un même atelier" précise le président. Si bien que les personnes qui aiment la peinture seront peut-être obligées de se tourner vers la menuiserie, et vice et versa.
Recevoir tout le monde en entretien individuel prendra plusieurs semaines "le temps que certains rentrent de cure ou de l'hôpital où ils sont actuellement traités pour leur problème d'addiction". Que deviendront ceux qui sont incapables de se plier à des horaires ? "On ne leur proposera rien. Ils n'auront plus leur chambre ou leur studio. ils n'auront plus trois repas par jours. Ils ne seront plus habillés gratuitement, etc".
Le président envisage cependant, dans un avenir proche, de faire une nouvelle demande d'agréments "pour augmenter la capacité d'accueil en contrats CAVA et CUI dans les ateliers du foyer". Un moyen de satisfaire plus de demandes. Il espère aussi pourquoi pas pouvoir bénéficier des mêmes contrats aidés qu'Emmaüs, non-rémunérés. Un dossier de demande d'agrément avait d'ailleurs été envoyé en ce sens à l'Etat, avant la parution de l'article de Tribune de Lyon. Relégué aux oubliettes depuis, il pourrait être relancé dans les prochains mois.