Drive : des sensations pures

SORTIE CINÉMA - Prix de la mise en scène à Cannes, Drive du Danois Nicolas Winding Refn sort ce mercredi 5 octobre en salles, il narre la dernière embardée d'un pilote mutique et charismatique. Sous l'esthétisation à outrance, l'hypnose. Un film fascinant.

Le prix de la mise en scène donc. C'est, d'après Thierry Frémaux, directeur du festival de Cannes, qui présentait le film à l'Institut Lumière lors d'un week-end d'avant-premières cannoises, le seul prix visé sur la Croisette en mai dernier par Nicolas Winding Refn. Ca tombe bien, il l'a obtenu et le moins qu'on puisse dire c'est que la récompense n'est pas usurpée. Drive en effet est un pur film de mise en scène, stylisé jusqu'à la maniaquerie, esthétisant jusqu'à la fascination, une sorte d'expérience de cinéma total, tels qu'en ont proposé chacun à leur manière des Michael Mann, des John Carpenter ou des David Lynch. Un film à sensations au sens propre du terme. Du genre qui fait dresser les poils sur les bras au cours de scènes d'anthologie qu'on se repasse en boucle, des jours après la première vision du film qui en nécessite sans doute plusieurs.

La scène d'ouverture du film, pur moment de timing et de suspense sur roues, fait d'accélérations et de coups d'arrêt, au rythme du money time combiné d'une fuite en bagnole et d'un match de basket diffusé à la radio (on comprend assez vite d'où vient le parallèle), attrape le spectateur par le col pour ne plus le lâcher. Une fois installé dans le siège passager, la ceinture bouclée, impossible de descendre du manège. L'exploit est d'autant plus saisissant que le scénario n'a rien d'extraordinaire : l'histoire du type droit dans ses bottes que rien n'atteint et qu'une rencontre féminine conduit à la sortie de route, une vague histoire d'entourloupe entre mafieux minables et caricaturaux, une vengeance aussi froide que justifiée. Bref, la trame classique, pour ne pas dire tarte à la crème, d'un film de genre qui n'a qu'un but, et le remplit, s'en donner un, de genre.

Pilote sans nom

Ryan Gosling, fascinant de charisme froid, incarne un pilote sans nom et sans véritable psychologie,une sorte de bloc de marbre vivant, au sang-froid reconnu. Le jour, il fait des tonneaux comme cascadeur à Hollywood, la nuit il joue les chauffeurs pour des braqueurs, agence tous risques pour une fuite garantie, en cinq minutes montre en mains, au nez et à la barbe du LAPD. Conduire, c'est tout, la vie du "Driver" se résume à cela et à un code de conduite dont il ne dévie jamais, mi-samouraï de la route, mi-homme machine. S'il roule volontiers pour les autres, c'est avant tout pour mieux rouler pour lui, sans réelle destination, ni point de départ. Ni passé ni avenir, on ne sait pas d'où il vient, et il ne va nulle part.

D'autres décident pour lui : son ami Shannon (Bryan Cranston de Breaking Bad) entend même investir sur lui, avec l'aide de deux mafieux, pour en faire un pilote de stock-car. C'est sans compter sur la rencontre du "Driver" avec une jeune mère et son fils, qui ne tardent pas à fendiller l'armure. Par amour (?), il va même jusqu'à venir en aide au mari de cette dernière fraîchement sorti de prison et qui a quelques dettes de taulard à régler. Un braquage est en vue, le "Driver", se proposant pour l'échappée belle. C'est là que tout dérape, peu importe pourquoi et comment. Là n'est pas l'important.

Grâce psychotrope

L'important c'est que les circonstances, transforment l'animal à sang-froid en grenade dégoupillée. Car cet homme sans passé est un trou noir de violence rentrée qui ne reculera devant rien pour protéger jusqu'au bout sa bien-aimée désormais veuve et sa propre peau. D'un coup, Ryan Gosling, acteur exceptionnel de subtilité, explose puis se raidit à nouveau, mue par une détermination de prédateur implacable, se radoucit et ainsi de suite. Comme dans pas mal de ses films précédents (la trilogie Pusher, Bronson, Vahlalla Rising), Winding Refn continue d'explorer la figure du "guerrier solitaire "mais le traitement visuel est bien différent.

Ici, il procède par giclée d'ultra-violence et ralentissements cotonneux de romantisme un peu neuneu, menés avec une précision chirurgicale et un sens de l'atmosphère sans égal. Une sorte d'abstraction qui rend la forme totalement prédatrice du fond jusqu'à rendre jouissif un lyrisme qu'on ne souffrirait pas ailleurs. Longtemps le spectateur se souviendra de "la scène de l'ascenseur" qu'on ne racontera pas qui est un des sommets du film et sans doute l'une des plus belles scènes de cinéma qu'on ait vu. De ce genre de scènes, Drive est rempli, et l'on serait bien en peine d'en donner un aperçu. Si la drogue n'est guère compatible avec la conduite, Drive n'en est pas moins un pur moment de grâce psychotrope, du cinéma en intraveineuse.

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