Bertrand Cantat, en face à face avec la tragédie

CHRONIQUE - Bertrand Cantat sera sur les planches du théâtre des Célestins, pour Des femmes, un spectacle de Wajdi Mouawad qui réunit trois tragédies de Sophocle à partir de ce mercredi soir. Le metteur en scène a-t-il désiré offrir la possibilité d’une rédemption par le théâtre à son ami musicien ?

Homicide involontaire. Condamné. Peine purgée. Bertrand Cantat a payé sa dette à la société. Néanmoins, subsiste aujourd’hui un éternel dilemme moral dès que le musicien exerce à nouveau son métier, qui le conduit à être en représentation, sur scène. Claudia Stavisky, la directrice du théâtre des Célestins, assume le choix d’accueillir la création de Mouawad, telle qu’il l’a voulue, avec le musicien Bertrand Cantat.

Contactée par Lyon Capitale, elle maintient la position qu’elle défendait en mai dernier : “C’est la même que celle de la dizaine des coproducteurs du spectacle en France : Bordeaux, Nantes, Brest, Reims, Bourges, etc. Nous sommes tout à fait d’accord avec l’abolition de la double peine : cet homme a commis un crime certes terrible, mais il a été jugé, condamné et a purgé sa peine. Du point de vue de la justice, il a payé sa dette vis-à-vis de la société. Il a désormais la possibilité, la nécessité de se réinsérer dans la société à travers son métier : musicien*.” Le théâtre des Célestins n'a pas eu de réaction de ces abonnés à notre connaissance … Les spectateurs auront d’ailleurs la possibilité de voir la pièce avec ou sans Bertrand Cantat, puisqu’il sera présent en alternance.

La polémique à Lyon ?

Verra-t-on alors à Lyon des réactions d’indignation quant à la présence de Bertrand Cantat sur scène ? Presque partout où la pièce passe, c’est le cas. Après le scandale de Québec et d’Avignon, Nantes a été, il y a quelques semaines, touché par la protestation de l’Espace Simone-de-Beauvoir, association militante féministe dont la présidente, Michèle Franguel, affirme : “Cette trilogie met en scène des femmes en butte à l’ordre patriarcal et qui en mourront. Fallait-il choisir précisément ces pièces de Sophocle, qui traitent notamment de la violence faite aux femmes, pour réhabiliter un homme qui a tué sa compagne **?

Michèle Franguel soulève ici un problème intéressant puisque, au-delà de la seule présence sur scène de Cantat, elle met directement en question le choix, justement, de ces tragédies de Sophocle qui mettent en scène des femmes : Les Trachiniennes, Antigone et Électre. Néanmoins l’interprétation des œuvres de Sophocle par cette militante féministe apparaît anachronique et ne rend pas justice à l’audace de l’auteur qui écrit au ve siècle avant Jésus-Christ. Ces tragédies portent le destin de femmes hors du commun, des femmes fortes, défiant lois et autorités par courage, des héroïnes et non des victimes, qui certes évoluent dans un climat où règne la mort, mais qui s’illustrent par leur grandeur tragique et leur puissance tellurique.

Art tragique, miroir du tragique réel

Pourquoi Wajdi Mouawad a-t-il convoqué sur scène Bertrand Cantat ? Le musicien a écrit la musique et il interprète le chœur. Un rôle déterminant dans la tragédie grecque puisqu’il résume les situations, il oriente le public, il est l’incarnation d’une sorte de guide dont la présence révèle les travers, les violences, l’hybris de personnages toujours tentés par la vengeance plutôt que par la justice et prônant sans vergogne la loi du talion… En cela peut-on voir chez Mouawad la volonté d’offrir une rédemption à Cantat en lui donnant le rôle dominant, celui de la raison dans un étonnant théâtre de cruauté semblable à son tragique destin d’homme ?

Le metteur en scène s’en défend : “J’insiste sur le mot. C’est pas pardon, ce n’est pas rédemption, alors là pas du tout… Je ne voulais pas imposer le pardon. Ce n’était pas ça le but. […] On ne peut pas imposer le pardon, c’est impossible***.” Quoi qu’il en soit, Des femmes a le mérite de soulever un vrai débat et une profonde réflexion sur la tragédie et la puissance de son propos aujourd’hui encore dans une société qui semble ne pas pouvoir répondre à toutes les interrogations fondamentales que se pose l’homme. Rédemption ? La question demeure, les passions se déchaînent, l’art est plus que jamais nécessaire et prend avec ce spectacle une fonction hautement symbolique de catharsis.

Des femmes. Du 9 au 19 novembre, au théâtre des Célestins.

* Propos recueillis par Libélyon le 27/05/2011.
** Extrait de “Bertrand Cantat indésirable à Nantes”, par Nicolas de La Casinière, Evene.fr.
*** Entrevue accordée à Anne-Marie Dussault sur les ondes de RDI au Canada.

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