Ciao Bella : les fantasmes de la beauté

Dans Ciao Bella, le chorégraphe Herman Diephuis pointe, avec jubilation et intelligence, les stéréotypes de la représentation de la femme. A voir au Toboggan.

Ciao Bella est interprété par cinq danseuses dotées d’une sacrée personnalité, qui leur permet d’aborder ce sujet un brin féministe avec humour et volupté. Cette pièce est dans la continuité du travail que mène Herman Diephuis depuis plusieurs années, principalement inspiré par la peinture, la photo, l’image et aussi par sa précédente création, D’après J.-C. Le chorégraphe avait travaillé pour celle-ci sur la vie du Christ et de Marie, leurs gestes, leurs postures, en étudiant la peinture de la Renaissance.

“Ce qui m’avait frappé, dit-il, c’était la représentation de la femme, toujours dans l’ombre de l’homme, et bien sûr dans des tableaux peints uniquement par des hommes. J’ai eu envie d’approfondir cette projection masculine de la femme et de l’élargir à d’autres périodes dans l’histoire, le cinéma ou la publicité. Dans les stéréotypes de la représentation des corps, je vois du mouvement, de la danse, cela me raconte quelque chose sur une culture, l’humain, notre patrimoine politique. Ciao Bella fait référence à la peinture religieuse, avec les femmes souffrant, pleurant la mort du Christ, à l’hystérie féminine du XIXe selon Charcot, aux films de Bardot, à des jeunes femmes contemporaines comme Beyoncé ou des mannequins, toute une représentation très fantasmée et peu naturelle de la femme qui bouge d’une façon très stylisée, et qui émane souvent du désir masculin. Ces images font partie d’une mémoire collective et je pense que chaque femme a affaire avec, doit se positionner par rapport à cela : soit jouer avec, soit être en opposition ou dans le refus. Et les hommes, si ouverts soient-ils, ont aussi encore à évoluer dans ce sens.”

Un spectacle cinématographique et réjouissant

Ciao Bella démarre par des poses, là où on craint le pire. Genre caricature ou “non-danse” mal inspirée. Mais très vite on est happé par la présence des danseuses, par une écriture qui se révèle précise et très cinématographique. Chacune de ces femmes aux corps si différents semble s’être approprié des images pour les porter sur scène, en nous offrant la possibilité de revoir celles dont nous sommes nous-mêmes victimes. Le chorégraphe, malgré un rythme globalement lent, met leurs corps dans un mouvement continu qui évoluera au fil des émotions et des scènes.

La lenteur est bien le parti pris qui transporte le spectacle, mettant en exergue la qualité, l’authenticité du geste et les expressions du visage. Dans cette pièce sans chronologie particulière, on passe sans hésiter du classique à la pop, avec des scènes minimalistes et surprenantes. Un play-back sur Olivia Newton-John se transforme en scène d’hystérie qui elle-même se transforme en défilé de mannequins, en avancée de femmes modernes, cheveux au vent et tout en séduction. Plus loin, elles deviennent stars de cinéma ou vierges éthérées. La fin est un pur moment de régal, où chacune se moque d’elle-même et décide de balancer tous les stéréotypes qu’elles subissent, s’enlaidissant, en riant et en jouant avec leur poitrine, haut symbole de féminité et de maternité.

Ciao Bella est certainement la surprise chorégraphique de ce mois, un cadeau que nous offrent cinq femmes qui n’ont finalement peur de rien, ni d’être belles, ni d’être moches.

Ciao Bella, d’Herman Diephuis. Le 2 décembre, au Toboggan.

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