Il a vécu trois années extrêmement compliquées. Critiqué pour ses prestations au sein d’une équipe lyonnaise en déliquescence, le défenseur central brésilien n’avait plus le goût au football en raison de ses rapports conflictuels avec Claude Puel. Une période difficile dont Cris dit avoir tourné la page. Désormais, malgré un début de saison marqué par des blessures, le “Policier” souhaite recouvrer son lustre des années glorieuses. (Article paru dans le mensuel Lyon Capitale daté de décembre 2011).
Lyon Capitale : Comment jugez-vous votre début de saison ?
Cris : Le début de saison a été difficile puisque je n’ai disputé qu’un match avant de me blesser à une cuisse. Puis j’ai rechuté [lors d’un entraînement avec l’équipe réserve, le 24 août]. J’ai passé deux mois sans jouer. J’ai été absent durant la meilleure période de l’équipe. Mentalement, c’était difficile. J’ai fait une bonne préparation avec le désir d’oublier les trois années précédentes et, malheureusement, cette blessure m’a empêché de repartir de l’avant.
Lors du stage d’avant-saison en Autriche, vous vous étiez lâché au sujet de Claude Puel*. Avec du recul, le regrettez-vous ou au contraire cela vous a-t-il libéré ?
C’est difficile de répondre à cette question. C’était un moment difficile pour moi. J’étais le capitaine de l’équipe, j’ai vécu ça différemment par rapport à mes coéquipiers. Avec tout ce que j’ai connu à Lyon, les titres... Le club n’avait pas l’habitude d’être géré de la sorte. Ça me gênait de voir tous ces problèmes et que personne ne dise rien. Mon problème, ce n’était pas avec le club ou avec mes partenaires, mais bel et bien avec l’entraîneur. Pour répondre à votre question, des fois, il m’arrive de regretter d’avoir parlé, car parfois c’est mieux de ne pas dire la vérité. Je sais bien que, dans certaines circonstances, il faut savoir fermer sa bouche (rires). Maintenant, j’ai dit ce que j’avais à dire, je ne peux pas revenir en arrière. Et puis cela m’a permis de tourner définitivement la page, de passer à autre chose.
Sans vouloir remettre de l’huile sur le feu... Claude Puel a déclaré au Journal du dimanche : “Ses propos de fin de saison illustrent le personnage. Il n’y a pas grand-chose à en dire. Pour le reste, le groupe est sain." Comment avez-vous perçu les déclarations de votre ancien entraîneur ?
J’ai lu cette interview. Il le sait très bien : le souci, ce n’était pas moi. En trois ans, avec lui, on n’a rien gagné ! On a disputé la demi-finale de la Ligue des champions, mais c’est grâce aux joueurs. On s’est unis entre nous. Ce qui est surprenant, c’est de voir que je ne suis pas le seul à avoir eu des soucis avec lui. Fabio Grosso, champion du monde, Fabio Santos, Fred, Juninho... La liste est longue des joueurs qui ont eu des difficultés avec Claude Puel. Si je vous donne le nom de tous les joueurs, on va y passer toute la journée (sourire). Donc, ce n’est pas moi qui foutais le bazar dans le vestiaire. J’ai au contraire, à mon humble niveau, essayé d’arranger les choses. À chaque fois que j’avais des choses à dire, je me rendais dans son bureau et je les lui disais. Je n’ai jamais été malhonnête. Ce n’est pas moi qui avais sans cesse le visage fermé... Bien au contraire, vous me connaissez, je suis plutôt souriant, détendu, je parle avec tout le monde. Je le répète, je n’ai jamais eu de souci ni avec le président, ni avec les dirigeants, ni avec un joueur, seulement avec lui. Ce fut vraiment trois ans difficiles.
Vous avez été très critiqué durant ces trois années. On croit même savoir que vous êtes fâché avec certains journalistes...
Déjà, même si j’ai été blessé par ce qu’ils ont pu dire ou écrire, je ne leur en veux plus. J’ai pardonné. Les critiques sont normales dans le football. Je les accepte, ça fait partie du jeu. Mais, à un moment donné, c’étaient des critiques qui ne concernaient pas le footballeur mais l’homme. C’étaient des attaques personnelles. Je vous le dis franchement, j’ai eu du mal à le digérer. Je suis conscient que je n’étais pas à mon niveau, au même titre que l’équipe, puisque ça fait trois ans qu’on n’a rien gagné. C’est un fait. Mais de là à me mettre tout sur le dos... Je l’explique par le fait que je suis l’un des plus anciens au club, j’ai tout gagné ici. Vous avez vu un Cris exceptionnel, avec des équipes de l’OL extraordinaires, des joueurs de caractère, et aujourd’hui, comme ça marche moins bien, le club est en train de reconstruire une équipe avec des jeunes joueurs, qui viennent de rejoindre le club, vous pensez qu’on va obtenir les mêmes performances. Mais il faut être réaliste, ce n’est pas possible !
Je suis défenseur, on a pris beaucoup de buts, donc c’est plus facile de me tomber dessus. En France, j’ai appris une chose : vous êtes vraiment trop exigeants, vous ne laissez rien passer... Il m’arrive d’aller sur Internet, de lire les journaux et de voir que certains de vos confrères écrivent :“Il est trop vieux. La retraite, c’est pour quand ?” Franchement, c’est un manque de respect. Ça m’agace, car je ne suis pas le genre de joueur à faire l’année de trop. Mais je me sens bien, j’ai encore les jambes pour continuer. Je me sens bien, en forme physiquement. En France, un jeune joueur, on va dire qu’il manque d’expérience ; s’il a plus de 30 ans, on va dire qu’il est vieux et doit prendre sa retraite... C’est dommage de penser comme ça.
Actuellement, vous vous sentez bien dans votre peau ? Avez-vous le sentiment d’avoir recouvré votre niveau d’antan ?
Pour retrouver son niveau, ça prend du temps. Contre Saint-Étienne, lors des deux derbys, c’était magnifique pour moi. Je me sentais bien. Contre Sochaux, à l’image du reste de l’équipe, c’était moins bien. C’est le contrecoup de mes mois d’absence en raison de mes blessures. Mais je suis sur le chemin du retour, je dois désormais enchaîner les matchs. Maintenant, je ne vais pas mentir, je ne vais pas retrouver le niveau que j’avais lors de mon arrivée à Lyon, à 27 ans. Avec l’équipe qu’on avait, c’était formidable. Ceci dit, je pense que je peux encore apporter des choses à l’OL.
Rémi Garde a déclaré que le titre à l’OL n’était pas tabou*. Pensez-vous que l’OL puisse remporter le championnat ?
Il faut penser à être sur le podium. Bien sûr, il a raison : ce n’est pas tabou, le titre est jouable. On a une équipe compétitive, mais on a été handicapés par de nombreuses blessures - de joueurs importants pour le collectif. Le titre va se jouer à la fin, sur le sprint.
Dans ce même entretien, Rémi Garde dit qu’il aime ses joueurs. Est-ce que c’est important pour un joueur de se sentir aimé, apprécié par son entraîneur ?
Bien sûr. L’entraîneur, il doit s’entendre, être proche avec tous les joueurs tout en étant respecté. Rémi, c’est un coach qui aime bien parler, discuter. Il aime la communication. C’est primordial, surtout pour les jeunes joueurs, qui aiment être encadrés, soutenus, motivés... Quant aux joueurs plus anciens, ils aiment bien que l’entraîneur vienne leur parler, leur faire partager des informations liées à la vie de l’équipe. De ce point de vue, depuis le début de la saison, cela se passe à merveille.
Le fait d’avoir été nommé capitaine vous a-t-il donné davantage confiance en vous ?
Vous savez, je ne fais pas une fixette sur le brassard. Je n’ai rien demandé à qui que ce soit. On ne va pas se battre pour le brassard. Je suis fier et honoré d’avoir été désigné, mais, si je ne l’avais pas été, je n’aurais pas été malheureux. Avec votre statut, votre palmarès, on peut imaginer que vous êtes assuré de jouer... Mais c’est faux. Certes, j’ai un statut, mais je n’ai aucun passe-droit. La seule chose que je demande à un entraîneur, c’est simplement de faire preuve de clarté. Que les choses soient claires, que la concurrence soit saine. Et c’est ce qui se passe depuis la nomination de Rémi Garde. Ce sont les meilleurs qui jouent. Je vais vous faire une confidence. À mon retour de blessure, je suis allé voir Rémi Garde et je lui ai dit : “Dejan [Lovren] et Bakary [Koné] jouent bien, ils ont fait un bon début de saison. Je suis de nouveau opérationnel, mais je n’exige rien du tout. Je ne veux pas te mettre de pression pour jouer. C’est à toi seul de décider qui doit jouer.”
Est-ce que vous vous êtes fixé une date de fin ? Pensez-vous à l’après-carrière ?
Si j’arrive à rester ici, à Lyon, jusqu’à l’âge de 36 ans [il en a actuellement 34], à la date de la fin de mon contrat, peut-être que je mettrai un terme à ma carrière. Mais on verra à la fin de cette saison, comment ça va se passer. Dans mon esprit, je ne me vois pas arrêter à 35 ans, j’ai encore envie de jouer au plus haut niveau. Concernant l’après-carrière, j’aimerais rester dans le milieu du foot, j’aimerais bien devenir entraîneur, ça me botte vraiment. D’ailleurs, je souhaiterais passer les diplômes. Mais, avec les matchs, les déplacements, c’est compliqué de trouver le moment pour le faire. Dans ma tête, mon envie, c’est de rester à Lyon. Le club a un bon projet avec le stade des Lumières, a de l’ambition sportivement...
Oui, en somme, c’est le club de votre vie.
Je n’ai pas joué dans beaucoup de clubs. Lyon, c’est mon quatrième. Dans toutes les équipes, si je ne compte pas le Bayer Leverkusen, je suis resté longtemps. À Lyon, j’entame ma huitième année, ce n’est pas rien. Ma femme se plaît ici, mes deux filles sont nées dans cette ville. Ça me touche beaucoup de parler de ça [il soupire et marque un léger arrêt], le jour où je serai contraint de partir, je vais... (Il se reprend.) Moi et ma famille, on aura le cœur déchiré. Lyon, c’est chez nous. Je vais essayer de tout faire pour rester. Mais, dans le football, il peut se passer beaucoup de choses, on a vu avec Jérémy Toulalan, qui a prolongé, et trois mois après il est parti...
Malgré le fait que certains supporters ont critiqué vos performances individuelles, on a le sentiment qu’ils n’ont cessé d’être derrière vous. À Gerland, ils vous encouragent, scandent votre nom. Comment expliquez-vous ce lien qui vous unit à eux ?
C’est une relation d’amitié qui s’est construite au fil du temps et qui a débuté lors de mon premier match avec Lyon contre Lille à Gerland [le 28 août 2004, victoire de l’OL 1-0]. Quand je suis sur le terrain, je joue pour le club, pour moi et pour les supporters. J’échange beaucoup avec eux et je sais qu’ils font des efforts considérables pour venir au stade. Certains se sacrifient financièrement, passent de nombreuses heures dans leur voiture ou dans des bus pour venir nous encourager. Je sais que beaucoup de footballeurs oublient tout ça, mais, sans aucune démagogie, ce n’est pas mon cas.
Même si vous êtes encore en activité, qu’aimeriez-vous laisser comme trace ? Que souhaiteriez-vous qu’on dise à votre sujet ? Que Cris était un bon défenseur ? Un bon mec ? Un bon coéquipier ?
J’avoue que je ne m’attendais pas à une telle question. C’est original ! (Rires.) Sur le terrain, je ne suis pas quelqu’un de forcément gentil. Ceux qui ne me connaissent pas en dehors des terrains, ils doivent penser que je suis méchant, etc. C’est vrai que j’ai deux personnalités. Sur le terrain, je me donne à fond, je ne fais aucun cadeau, alors qu’en dehors je pense être quelqu’un de plutôt sympa, souriant... J’aimerais qu’on dise de moi que j’étais un bon défenseur. Lors des trois dernières années, mon image a beaucoup changé, et pas dans le bon sens. Ce n’était pas le vrai Cris. Le vrai Cris, c’est un mec qui arrive à l’entraînement avec le sourire, qui raconte des blagues... Ça fait trois ans que je ne le faisais plus. Ça me fait mal, rien que d’y repenser. Je n’avais pas envie de venir m’entraîner, d’être sur le terrain, alors que le football c’est censé être que du bonheur, du plaisir. Malgré cela, j’aimerais bien que les gens disent de moi que j’étais “le Policier”, un vrai guerrier sur le terrain, que j’ai tout donné pour le club. Oui, ça serait magnifique, un beau cadeau, qu’ils disent ça de moi...
* Cris avait déclaré : “S’il était resté, j’aurais demandé à partir... On n’avait pas de pouvoir et d’ailleurs cela nous a blessés... Aujourd’hui encore, on a du mal à s’exprimer. On est encore tendus.”
** Lyon Capitale, novembre 2011.