Bocuse
Paul Bocuse entouré de sa brigade, dont Christophe Muller, situé à sa gauche.

La capitale de la gastronomie… c’est Tours ou Versailles ?

Mi-octobre, la France choisira où implanter la Cité de la gastronomie, espace unique au monde destiné à “incarner” le classement au Patrimoine mondial de l’Unesco du repas gastronomique français. Dégustations, cours de cuisine, découverte des produits du monde entier… le tout dans un espace grand comme sept fois la brasserie Georges. Rien qu’en parler donne faim ! La ville qui recevra cette institution sera de fait proclamée capitale de la bonne chère et du bon vin en France… et donc dans le monde ! La candidature de Lyon, plus que légitime, sera-t-elle un nouveau fiasco ?

Après Édouard Herriot et Louis Pradel, Raymond Barre avait à son tour présenté la candidature de Lyon aux Jeux olympiques de 2004. Un fiasco. Lyon n’avait même pas été retenue pour représenter la France, honneur qui revint à Lille. Son successeur, Gérard Collomb, s’était assigné un objectif plus raisonnable : la Capitale européenne de la culture 2013. Mais, en fonctionnant seul, barricadé avec son cabinet, il avait pris le dossier à l’envers, et c’est Marseille qui l’a emporté. On risque de s’en souvenir amèrement dans 
les mois qui viennent… Tant pis, il y aura d’autres Jeux olympiques, et
 d’autres capitales européennes dans les décennies à 
venir. Il n’y aura en revanche qu’une Cité de la gastronomie.

Pour une fois, Lyon n’a pas à pousser son avantage. Certains membres du jury estiment même que la ville de Rabelais et Bocuse pourrait pratiquement avoir un droit de préemption sur le projet. Le repas français, reconnu par l’Unesco, c’est avant tout des recettes qui se transmettent et s’enrichissent, de bons produits locaux, des accords mets-vins, le plaisir du goût et celui d’être ensemble… Sans fausse modestie, quelle autre ville que Lyon l’incarne le mieux ?

Le “garde-manger de la France”

Ce sont les mères lyonnaises, quittant les maisons bourgeoises pour s’établir à leur compte, qui ont inventé la gastronomie moderne en adaptant leurs recettes aux ressources de leur nouvelle clientèle. C’est l’une d’elles qui a formé le premier chef star, celui qui a fait sortir les cuistots de leur cuisine, et dont la silhouette est connue dans le monde entier : Paul Bocuse.

L’enfant de Collonges ne cesse de vanter le “garde-manger de la France” que constitue la région lyonnaise, idéalement située au point de rencontre des trois grands climats méditerranéen, océanique et continental, et offrant une variété de produits sans commune mesure. Lyon est un point cardinal, béni des dieux, dont les hommes ont appris, siècle après siècle, à tirer la sève la plus onctueuse. Au nord, le gibier des Dombes, la volaille de Bresse, la viande charolaise, le beurre, la crème, les champignons des bois et la finesse des bourgognes classifiés par les moines de Cluny. Au sud, les primeurs, les cerises, les abricots, les châtaignes, la truffe, l’huile d’olive et la puissance des vins de la vallée du Rhône. À l’est, les cardons, les poireaux, le gratin dauphinois, les écrevisses de Nantua, puis les fromages des Alpes et la liqueur des pères chartreux. À l’ouest, les maraîchages des monts du Lyonnais, les fromages de chèvre, déjà les premiers foies gras et le fruité du beaujolais. Et, partout, de la cochonnaille à foison. (Voir le dossier “Terroir” de Lyon Capitale n° 713)

Trois semaines pour réveiller la flamme

Aussi incroyable que cela paraisse, Lyon est en train de perdre la compétition. Deux rivales – Tours et Versailles, qui n’ont a priori rien d’effrayant – se sont donné les moyens de griller la “capitale mondiale de la gastronomie” proclamée il y a quatre-vingts ans par Curnonsky, le Prince des gastronomes, qui y descendait faire ripaille tous les hivers. Alors, qu’ont donc Tours et Versailles de plus que Lyon ? L’envie, l’énergie, l’étincelle… Comme Lille pour les JO en 1997. Ou Marseille pour la culture en 2008. Un nouvel échec ne serait pas le fruit d’une malédiction. Mais le signe d’une ville complexée qui a décidément du mal à faire savoir son savoir-faire…

Rien n’est encore perdu. Il reste trois semaines pour réveiller la flamme. Mobiliser enfin tout ce que la ville compte de chefs étoilés et de cuistots du dimanche, de producteurs, de vignerons et d’épicuriens. C’est le rôle du maire de Lyon, incroyablement en retrait jusqu’à présent, s’il ne veut pas devenir le maire des occasions manquées.

Raphaël Ruffier-Fossoul, rédacteur en chef

À lire : Cité de la gastronomie : Lyon va-t-elle louper le coche ? dans Lyon Capitale-le mensuel n° 714, en vente en kiosque jusqu’au 28 septembre et dans notre boutique en ligne.

Et la série “Cité de la gastronomie” ici-même.

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