Supplique pour être euthanasiées

Notre supplique sera courte. On vous en prie, vous en supplie et vous en conjure : faites-nous crever. Les « défenseurs des animaux » sont sans doute sincères, qui font circuler des pétitions ayant déjà recueilli 30.000 signatures, mais nous, ce qu’on veut vraiment, c’est crever. Ce n’est pas la tuberculose qui nous fait souffrir, et ce n’est pas la vieillesse. Mais, enfermées, nous sommes pleines de tics et de tocs, et puis, à force de vous voir vous extasier devant notre allure pachydermique, c’est le mot, qui n’est pas à l’échelle de votre tout petit monde si rationnel, on a vraiment envie d’en finir. Tous ces matins mornes, toujours identiques, ces yeux écarquillés et ces visages effarés, on n’en peut simplement plus. Faites-nous crever. Notre légendaire mémoire d’éléphant ne nous fait pas défaut, mais aussi loin qu’on se souvienne, on ne se souvient plus que de notre enclos, du seau rouge et du tuyau jaune.

Plus loin encore, un vague roulement de tambour. Un enclos. Un seau. Un tuyau. Un vague roulement de tambour. En liberté ? On ne survivrait pas une semaine. En captivité ? On pourrait vivre encore plus d’un demi-siècle. Vous parlez d’une vie… Je voudrais vous y voir, vous. Nous sommes déjà mortes. Mortes et condamnées à vivre. Connaissez-vous pire supplice ? Si vraiment vous aimez les animaux, si vraiment vous voulez protéger notre espèce, alors faites-nous crever : vous aurez enfin attiré l’attention sur nous et peut-être cela vous fera-t-il réfléchir sur vos pratiques, peut-être interdirez-vous définitivement les zoos, les corridas et les animaux dans les cirques.

Souvenez-vous, plus d’un milliard de personnes ont visité jusqu’en 1940 des « zoos humains », peuplés de « sauvages » comme vous : les femmes du Dahomey, les Zoulous, l’homme-chien, les trois grâces tigrées, la troupe de Samoans ou encore les Kanaks cannibales. Un enclos. Un seau. Un tuyau. Un vague roulement de tambour. Nous sommes pleines de tics et de tocs. Nous sommes tristes à en crever. Et ça devrait vous crever les yeux. Alors, faites-nous crever. Bientôt, on sera tellement cinglées qu’on ne pourra même plus vous le demander. On n’a même plus l’idée d’un ailleurs. Ce qu’on veut, c’est ne plus vous voir. Jamais. Alors, écoutez-nous, faites cela pour nous, sauvez-vous en nous libérant, faites-nous crever et comme votre Jésus mort sur la croix l’a dit à son Père, que certains d’entre-vous reconnaissent comme leur Dieu, « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».