Stephan Eicher 2

Stephan Eicher pose son Envolée au Radiant

Stephan Eicher ()

De retour avec L’Envolée, album à la fois modeste et très abouti, Stephan Eicher poursuit un voyage musical entamé il y a près d’une trentaine d’années et qui semble vouloir ne jamais finir. Portrait d’un nomade qui vient se poser quelques heures au Radiant-Bellevue, le temps d’un voyage immobile.

Comme on parle d’écrivain-voyageur, il faudrait parler de chanteur-vagabond. À l’évocation de ce terme on pense autant aux voyages de jeunesse d’un Bob Dylan dans les trains de marchandises – même si cette période de sa vie semble avoir été considérablement romancée par Dylan lui-même – qu’aux tournées en roulotte de Nilda Fernández – beaucoup moquées mais qui avaient au moins le mérite de concrétiser la bohème dans ce qu’elle a de plus noble. À cette catégorie on ajoutera volontiers Stephan Eicher, qui n’a jamais vraiment tenu en place, que ce soit musicalement, linguistiquement ou géographiquement.

Longtemps, Eicher avoua n’avoir pour chez-lui qu’une valise et les chambres d’hôtel dans lesquelles ses tournées – mais aussi sa résistance à toute forme d’attachement matériel – l’emmenaient. Sans doute y a-t-il chez lui quelque chose d’un atavisme lié à ses origines yéniches, un peuple semi-nomade d’Europe centrale aux origines assez floues (celtes ? juives ? romanes ?), souvent hâtivement assimilé aux Roms, dont on retrouve des descendants en Allemagne, en Suisse, en Alsace et en Lorraine – ainsi qu’aux États-Unis en la personne de l’acteur Yul Brynner et en Hollande avec le footballeur Rafael Van der Vaart. Un atavisme également musical puisque la culture musicale yéniche est, comme c’est le cas de tous les peuples d’Europe centrale, particulièrement développée. Ce à quoi la famille Eicher n’a pas échappé.

Eldorado

Stephan Eicher 2 ()

S’il s’est aujourd’hui posé en Camargue – région prisée des gens du voyage car on s’en “échappe” facilement, à moins qu’on ne la choisisse pour qu’elle nous retienne par le col –, le fait est que la carrière de Stephan Eicher n’aura été qu’un long voyage parsemé de références géographiques jusque dans les titres de ses albums. De My Place à Hôtel S en passant par Carcassonne et Engelberg, sans parler deTaxi Europa – titre très wendersien – et d’Eldorado achevant la matérialisation du mouvement perpétuel et de la quête du chez-soi chimérique ultime – ce paradis à trouver dans son propre imaginaire –, Eicher a toujours semblé courir après quelque chose, pour ne pas dire après lui-même.

Musicalement, il aura touché à tout, avec plus ou moins de bonheur : du punk de sa jeunesse aux musiques synthétiques des années 1980 et même à l’électronique pure et dure, de la pop au folk. Et, malgré une carrière européenne riche, en France ce sont paradoxalement ses tubes Combien de temps, Déjeuner en paix, Pas d’ami (comme toi), qui l’auront à la fois élevé, ponctuellement, dans les charts et les cœurs, et condamné à l’étiquette de chanteur de variétés, à ne jamais véritablement “obtenir la carte”, comme on dit.

Disparaître

Une injustice que le soutien indéfectible d’une poignée de critiques prêchant dans le désert et de figures fidèles comme Antoine de Caunes, premier fan du Suisse, n’aura pas suffi à exorciser. Bien sûr, on se dit que le barde de Münchenbuchsee, doté de la discrétion des ambitieux et de l’ambition des discrets, n’a cure du succès et de la reconnaissance trop affichée. Au final, cet eldorado tant recherché n’est qu’un pays de musique et de mots. Un pays sans domicile ni langue fixes, où l’on ne sait trop si Eicher nous invite à le rejoindre ou à nous en échapper sur son dernier album en date, comme par hasard titré L’Envolée.

Il s’agit de son plus bel album depuis longtemps, cinq ans après le précédent – une éternité en temps eicherien –, resserré (34 minutes), largement mélancolique comme sur le tristissime Disparaître (texte signé Miossec), peut-être le fantasme ultime du musicien, mais pour autant enlevé (le superbe Dans ton dos, coécrit avec Mark Daumail de Cocoon, sur des paroles du fidèle Philippe Djian). C’est tout le talent d’un Eicher d’avoir toujours su habiter, en Stephan l’ermite, les maisons textuelles des autres comme s’il s’agissait de la sienne. Et de les trimbaler sur son dos jusqu’à bon port. Vers un eldorado qui pourrait être nos oreilles.

Stephan Eicher. Jeudi 7 février, à 20h30, au Radiant-Bellevue (Caluire).

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