Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont-il enrichi leur ami Bernard Tapie ?

L’ex-chef de l’État et l’ancien secrétaire général de l’Élysée sont-ils intervenus dans la décision qui a rapporté la somme colossale de 285 millions d’euros- dont 45 millions au seul titre de "préjudice moral", soit au total 403 millions d'euros avec les intérêts- à Bernard Tapie, l’ami de trente ans de Nicolas Sarkozy, dans l’arbitrage de l’affaire Adidas ? C’est ce que la justice cherche à déterminer. Des perquisitions ont eu lieu ce matin au domicile et au cabinet de Claude Guéant.

Depuis quelques semaines, les juges ont conduit une série de perquisitions chez les personnages clés de la négociation : chez Bernard Tapie lui-même et chez Stéphane Richard (lire ici), chez les trois arbitres ayant pris une décision extrêmement favorable aux intérêts de l’homme d’affaires -Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et Pierre Estoup (ici)- chez les avocats des parties en conflit, maîtres Maurice Lantourne et Gilles August et, ce matin même, au domicile et au cabinet de Claude Guéant. Les magistrats s'interrogent en effet sur la légalité de la sentence et sur la répartition précise des rôles dans le processus qui a in fine abouti, en juillet et en novembre 2008, à un arbitrage exceptionnel pour l'homme d'affaires, aujourd’hui patron de La Provence et de Nice-Matin, arbitrage pour lequel chaque foyer fiscal français est mis à contribution à hauteur de 11 euros, selon un rapide calcul de l’Assemblée nationale.

2007, l’An I de l’arbitrage

En 2012, l’agenda de Nicolas Sarkozy est saisi par les policiers dans le cadre de l’affaire Bettencourt. Le juge bordelais Jean-Michel Gentil, chargé de l'instruction sur les abus de faiblesse dont a été victime la vieille dame milliardaire, exploite les données de cet agenda, avant de le transmettre aux trois magistrats parisiens chargés de l’affaire Adidas (voir encadré). MM. Tapie et Sarkozy se rencontrent beaucoup, notamment en 2007, année durant laquelle se dénoue cette ténébreuse affaire, digne d’un roman balzacien. Avant l'élection présidentielle, entre le 8 janvier et le 28 avril 2007, l’agenda de Nicolas Sarkozy fait ainsi état de six rendez-vous. Une fois élu président de la République, M. Sarkozy recevra M. Tapie une douzaine de fois, entre le 15 juin 2007 et le 21 novembre 2010. Ces rendez-vous recoupent parfois le calendrier des discussions autour de l'arbitrage. Par exemple, le 16 novembre 2007, un compromis est passé entre le Consortium de réalisation (CDR) et le liquidateur du groupe Tapie, les deux parties acceptant pour la première fois le recours au fameux arbitrage. Dès le lendemain, soit le samedi 17 novembre à 17h00, Bernard est reçu à l'Elysée par son ami Nicolas.

Les amis de mes amis sont mes amis

Ami, le mot n’est pas trop fort. Ami de trente ans même. Les deux compères se sont en effet connus en 1983, au cours d’un dîner chez Jacques Séguéla (déjà). Gonflés, gouailleurs et directs, recherchant tous deux les feux de la rampe au cours de ces années fric et paillettes qui semblent taillées pour eux, Bernard et Nicolas parlent le même langage et ne se quitteront plus. Au fil du temps, ils auront d’autres (nombreux) relations et amis communs, dans le désordre : Francis et Martin Bouygues, Patrick Le Lay, Jean-Louis Borloo (1), Brice Hortefeux, les époux Balkany, Gérard Colé (l’ex-patron de la FDJ, lire ici), Claude Guéant, Bernard Kouchner, Patrick Ouart (ancien magistrat puis ancien conseiller Justice d’Édouard Balladur à Matignon et de Nicolas Sarkozy à l’Élysée), Catherine Pégard (journaliste au Point puis conseillère de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, avant d’être nommée présidente du Domaine de Versailles) ou encore Jean-Michel Baylet (P-dg du Groupe La Dépêche et président du Parti Radical de Gauche), qui en coulisses s’active toujours pour aider Tapie dans ses nouvelles affaires de presse et tente de défendre leur cause commune auprès du gouvernement Ayrault, avec un succès pour le moins mitigé.

Trois voies

L’enquête en cours devra déterminer si, comme l’a concédé Pierre Mazeaud pour lui-même, quelque temps après la procédure arbitrale privée ("je me suis un peu fait avoir"), les Français ont eux aussi été les dindons de ce qui apparaît de plus en plus comme une farce… et si la proximité entre Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie a été l’élément déclencheur de l’indemnisation de ce dernier. Une chose est sûre : les mêmes Français n’avaient pas imaginé qu’on allait leur refaire les poches (lire ici), ni à quel point les frontières de la Sarkozie recoupaient précisément celles des intérêts de l’ex-patron de L’OM. Une vraie carte du Tendre, plus proche de La Clélie de Madeleine de Scudéry que de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette. A partir de la rencontre initiale, trois voies sont en effet offertes : la plus rapide, au milieu, conduit au désastre ; celles qui, de part et d'autre, l'encadrent, assurent la solidité des lendemains, pour peu que l’on ne s'échoue pas sur l'écueil Orgueil. Enfin, entre la Mer d'Inimitié et le Lac d'Indifférence, le fleuve Inclination mène tout droit à la Mer dangereuse et aux Terres inconnues.

(1) Champions des "reprises" d’entreprises en difficulté, Tapie et son acolyte Borloo, expert en montages financiers complexes, mettront même au point un mode opératoire : dépôt de bilan, gel du passif, licenciement puis emprunts auprès des banques –de préférence publiques- de sorte que les "repreneurs" ne sortiront jamais beaucoup d’argent de leurs poches.

------------------------

Quand on aime, on ne compte pas son temps

Voici la liste des 18 rendez-vous de Nicolas Sarkozy et de Bernard Tapie entre janvier 2007 et novembre 2010, telle qu'elle apparaît dans les agendas de l'ex-chef de l'Etat saisis par la police.

• Lundi 8 janvier 2007 à 18 h 30

• Mercredi 17 janvier 2007 vers 9 h 30

• Mercredi 31 janvier 2007 à 9 h 30

• Mardi 6 mars 2007 de 9 heures à 10 h 30

• Mardi 24 avril 2007 à 10 h 30

• Samedi 28 avril 2007 à 14 heures

Les rendez-vous suivants ont eu lieu alors que Nicolas Sarkozy est devenu président de la République.

• Vendredi 15 juin 2007 à 9 heures

• Lundi 30 juillet 2007 de 10 heures à 10 h 30

• Samedi 17 novembre 2007 à 17 heures

• Samedi 16 février 2008 à 19 heures

• Samedi 24 mai 2008 à 10 h 30