Scinder les banques : le remède risque de tuer le malade

L’affaire semble entendue : il faut protéger les épargnants en séparant les banques de dépôt du “casino” des banques d’affaires. Or, les réformes proposées pourraient bien s’avérer inutiles… voire mauvaises pour l’économie.

En France, les partisans d’une révolution antispéculation en seront pour leurs frais. Foin d’une scission pure et dure des banques “traditionnelles” et de leurs consœurs à risque ! Le projet de loi du ministre des Finances préserve le modèle “universel” défendu bec et ongles par les banques françaises, tout en forçant celles-ci à stocker leurs activités spéculatives dans des entités séparées.

Pierre Moscovici veut “faire référence en Europe”. Il risque d’être déçu. Frédéric Oudéa, le patron de la Société Générale, a lui-même avoué que cette loi de séparation ne l’obligerait à isoler que 0,75% de ses activités. Cette nouvelle doxa ne laisse, en tout cas, guère de place aux voix critiques – à part celles des banquiers eux-mêmes, bien sûr. Pour lancer le débat, voici néanmoins trois arguments contre.

Argument n°1 : Scinder les banques est mauvais pour l’économie

Isoler la banque de détail des activités risquées – l’essence même du Glass-Steagall Act, loi américaine de 1933 enterrée en 1999… et un mythe par bien des côtés – déséquilibrera l’ensemble du système, arguent des économistes. Le modèle de banque “universel” permettrait en effet d’étaler les risques entre activités “spéculatives” et divisions de dépôt “simple”. D’autres trouvent même de sérieux avantages à prolonger le contrat de mariage, parmi lesquels : économies d’échelle, efficacité accrue en matière de collecte d’informations, optimisation de l’allocation de capital aux PME.

Scinder les banques impliquerait donc de renoncer à ces atouts… et engendrerait des désavantages certains, dont un affaiblissement intolérable des banques françaises face à leurs concurrentes étrangères en cas de réforme trop sévère, ce qui entamerait forcément les capacités de crédit des institutions hexagonales et frapperait, par ricochet, l’ensemble de l’économie du pays. On agite le spectre d’une concurrence américaine sur le sol national. Shocking… et particulièrement ironique, quand on sait d’où est venue la crise.

Argument n°2 : Vouloir protéger les banques d’elles-mêmes est une illusion

Aux yeux d’observateurs avisés, espérer qu’une banque commerciale abandonne une filiale en difficulté serait surtout une illusion. En outre, on ne peut que perdre à ce petit jeu : si l’on cloisonne de façon étanche une banque et sa filiale spéculative, on supprime tout bénéfice tiré d’un système intégré ; si l’on rend ce pare-feu “perméable”, il devient impossible d’empêcher une banque de dépôt de venir en aide à une filiale au bord du gouffre, et c’est reparti pour un tour.

En cas de scission totale, l’argument selon lequel on pourra laisser tomber une banque d’affaires en chute libre pour protéger les banques traditionnelles ne tient pas non plus. Souvenez-vous de l’affaire Lehman Brothers. Le gouvernement américain, en choisissant de la laisser s’effondrer, voulait donner une leçon à tous les financiers en roue libre. Problème : les homologues de Lehman à Wall Street n’ont pas été plus désireux que Washington d’intervenir. À l’époque, on croyait que la banque d’affaires n’était pas too big to fail et que sa chute ne menacerait pas l’ensemble du système. Erreur.

Argument n° 3 : Toucher aux banques traditionnelles, c’est rater la vraie cible

Une scission du système bancaire ne règle pas le problème du shadow banking, au contraire. Cette activité inclut des placements, autres que les dépôts bancaires, effectués le plus souvent par des fonds spéculatifs, banques d’affaires, etc. Autrement dit, des firmes déjà libres du diktat des régulateurs, puisqu’elles ne reçoivent pas de dépôts. La “finance de l’ombre”, qui représenterait 20% de l’activité bancaire globale, échappe à tout contrôle. Et ce n’est pas la réforme Moscovici qui lui fera peur.

L’économiste Frédéric Lordon, dans un post rageur, n’entrevoit qu’une solution, forcément radicale : plus encore que l’“indigente loi de séparation” concoctée par le gouvernement Hollande, il préconise une “loi d’apartheid”. À ses yeux, “il faut couper absolument toute connexion entre les institutions de dépôt et les banques de marché, non seulement, évidemment, tout lien capitalistique du type holding-filiale, mais tout lien de crédit ou de contrepartie avec n’importe quel acteur spéculatif”. On en est loin, très loin.

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