Livraison d’armes aux rebelles syriens : inconscience française ou impérieuse nécessité ?

Il y eut d’abord la lune de miel de Nicolas et Bachar. Et, dans un couple, c’est bien connu, il y en a toujours un qui aime plus que l’autre. En l’occurrence, le plus mordu des deux fut Nicolas, jusqu’à la haine, expression violente des amours déçues. Aujourd’hui son successeur est “prêt à prendre ses responsabilités”. Jusqu’à armer des islamistes ?

Nous sommes en 2008, Nicolas invite son ami Bachar, pourtant au ban de toutes les nations, au défilé du 14 Juillet, devant une France ébahie et en dépit des protestations réitérées de notre diplomatie. Il faut tenter d’obtenir en retour un geste du raïs, pour l’affichage. La libération d’une poignée de prisonniers politiques malades comme, un peu plus tôt, la belle histoire des infirmières bulgares ?

Bachar, plus intraitable que Mouammar, balaie la demande d’un geste dédaigneux, lâchant un pff agacé. “Bon, nous ne ferons pas de la question des droits de l’homme une condition”, dira aussitôt l’émissaire de l’Élysée Boris Boillon, wonder boy se qualifiant lui-même de “pur produit Sarko”… qui se rendra célèbre quelques années plus tard chez un autre ami dictateur, en Tunisie, en refusant de répondre aux questions des journalistes sur la gestion de la crise par Michèle Alliot-Marie, traitant ces questions de “débiles” et de “nulles”. La diplomatie américaine, censée ne rien connaître au monde arabe, n’en est toujours pas revenue, qui a mis régulièrement en exergue “l’ignorance, les incohérences et les erreurs historiques d’appréciation” de l’apprenti diplomate, que Kadhafi appelait tendrement “mon fils”.

Sarkozy organise le retour en grâce d’al-Assad…

Recevant Bachar al-Assad à plusieurs reprises avec tous les honneurs dus à son rang de dictateur– car, il y a cinq ans, la communauté internationale connaissait déjà parfaitement la nature de son régime, les massacres, les condamnations d’opposants, la torture dans les prisons –, Nicolas Sarkozy a organisé seul contre le monde entier, Guéant à ses côtés, le spectaculaire retour en grâce du raïs. Puis il s’est fâché tout rouge et n’a pas eu de mots assez durs pour condamner son ancien grand ami, exactement comme il le fit avec Mouammar Kadhafi.

Pour comprendre cette histoire, il faut se souvenir que, place Beauvau, Claude Guéant – qui n’était encore que le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy – a noué une relation de confiance avec Assef Chawkat (grand patron du renseignement militaire syrien, tortionnaire numéro un du régime), l’objectif avoué étant d’échanger des informations sensibles et de barrer la route aux djihadistes de nationalité française en route vers l’Irak. Chawkat fut, pour mémoire, fortement soupçonné d’être le cerveau de l’attentat-suicide contre le Libanais Rafiq Hariri (grand ami de Jacques Chirac), qui tua au passage vingt personnes et en blessa plus ou moins grièvement une centaine d’autres, tant la charge explosive était importante (1.800 kilos). Sitôt Nicolas Sarkozy élu président de la République, Claude Guéant reprend (secrètement) contact avec le régime syrien. Mais Chawkat n’a plus vraiment la cote, et le nouveau secrétaire général de l’Élysée recourt alors aux services d’un homme d’affaires libanais, aujourd’hui mis en examen dans l’enquête sur l’attentat de Karachi, un certain Ziad Takieddine.

… et se voit en bienfaiteur de l’Orient

Au-delà de la lutte officielle contre le terrorisme, Nicolas Sarkozy est à la recherche de soutiens pour son grand projet d’Union pour la Méditerranée. Il espère aussi quelques contrats juteux avec la Syrie, car il est persuadé que son chef tyrannique lui renverra l’ascenseur, maintenant que, grâce à lui, il est en transit au purgatoire des nations. En même temps, M. Sarkozy rêve de jouer un rôle de premier plan dans le processus de paix avec Israël, histoire de passer pour un grand homme, qui certes se compromet un peu avec des dictateurs, mais seulement pour la bonne cause. Bachar al-Assad, voyant tout le bénéfice qu’il peut tirer de la situation, s’engouffre dans la brèche sans jamais cesser de flatter la vanité de Sarkozy, son assurance tous risques en quelque sorte. Il poursuivra d’ailleurs tranquillement son programme nucléaire militaire et la France n’y trouvera jamais rien à redire. De contrats, il n’y aura pas. Pas plus en Syrie qu’en Libye. Et Bachar al-Assad continuera d’exterminer son peuple…

“La solution militaire en Syrie conduit à la dissolution de la Syrie”

Aujourd’hui, le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, estime que le conflit en Syrie a fait 70.000 morts, en à peine deux ans. “Je continue à exhorter les parties syriennes à trouver le chemin de la table des négociations. Les horreurs de ces derniers mois et années ne laissent aucun doute : la solution militaire en Syrie conduit à la dissolution de la Syrie”, a-t-il déclaré au cours d’une conférence marquant le dixième anniversaire de l’attentat de Bagdad contre l’Onu. “Quelle atrocité doit encore se produire pour que le monde bouge ?” s’est-il interrogé. La situation est extrêmement compliquée, car les membres permanents du Conseil de sécurité sont divisés sur la crise syrienne. Alors que Washington et ses alliés occidentaux souhaitent que Bachar al-Assad quitte le pouvoir, la Russie et la Chine refusent les ingérences étrangères dans le conflit et bloquent tous les projets de résolution contre Damas.

Qu’à cela ne tienne : la France, toute seule ou presque, est prête à prendre ses responsabilités et n’exclut pas de livrer des armes à l’opposition syrienne, si elle ne parvient pas à convaincre ses partenaires européens, a affirmé hier François Hollande. “Nous avons comme objectif de convaincre nos partenaires à la fin du mois de mai, et si possible avant. Nous allons employer notre sens de la diplomatie. Si, d’aventure, il devait y avoir un blocage d’un ou deux pays, alors la France, elle, prendrait ses responsabilités”, a déclaré M. Hollande à l’issue de la première journée du sommet européen à Bruxelles. “Pour le moment, malgré toutes les pressions, les solutions politiques ont échoué”, a ajouté le chef de l’État, concluant ainsi : “Nous devons aller plus loin car, depuis deux ans, il y a de la part de Bachar al-Assad la volonté claire d’utiliser tous les moyens pour frapper son propre peuple.”

L’exécutif doit convaincre

Si l’intention est louable, elle pose cependant des questions de fond. Tout d’abord, à quels rebelles allons-nous livrer des armes ? Alors que de nombreux islamistes combattent le régime de Bachar al-Assad, allons-nous prendre le risque d’armer ces derniers en masse ? Pour remplacer in fine un totalitarisme par un fondamentalisme ? Quelle cohérence y aurait-il alors avec le Mali, où nos soldats sont engagés pour mettre un coup d’arrêt aux exactions commises par les islamistes ? De plus, ne courons-nous pas le risque de l’escalade dans cette course folle à l’armement ? Alors qu’Obama a accordé son blanc-seing à ce que certains régimes islamistes du Golfe continuent de livrer des armes aux rebelles syriens et que David Cameron semble sur la même position que François Hollande, pensons-nous naïvement que l’Iran, la Russie – et dans une moindre mesure la Chine – nous laisseront faire sans réagir ?

Autant de questions que l’exécutif devra éclaircir la semaine prochaine devant la représentation nationale. Car nous atteignons là les limites du droit d’ingérence et, si la question est humanitaire, le pouvoir devra faire la démonstration que le remède préconisé n’est pas pire que le mal. À ce stade, nous ne pouvons qu’être troublés par les déclarations du président de la République et de son ministre des Affaires étrangères, tant les buts poursuivis et les moyens d’y parvenir sont nébuleux. Pour le dire plus directement, il ne faudrait pas que l’apprenti sorcier Hollande remplace l’apprenti sorcier Sarkozy, fût-ce au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Comme l’a dit avec justesse François Bayrou, ce matin, sur Europe 1 : “Il y a des gens très bien dans la résistance syrienne et puis il y a des fondamentalistes. On a vu en Libye ce que faisaient les livraisons d’armes et le fait que ça se répandait dans toute la région et que nous ayons ensuite à les affronter (…). Il ne s’agit pas dans ce pays seulement d’une guerre d’un dictateur contre un peuple, mais il y a surtout une guerre intracommunautaire, des communautés ethniques liées à une origine, à la religion.” En démocratie, justement, ces questions ne peuvent être balayées d’un geste dédaigneux.

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