Lolita Kubrick
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L'École en bateau : le procès d’une époque où la pédophilie était "défendable" ?

Accusé d’abus sexuels sur mineurs, Léonid Kameneff s’est défendu en rappelant que la pédophilie pouvait être considérée comme une cause défendable jusque dans les années 1990. Si cela n’excuse rien, l’existence d’un mouvement propédophile en France est confirmée par un ouvrage de sociologie publié mercredi.

La pédophilie a-t-elle été considérée comme “normale”, en France, dans les années 1970 à 1990 ? C’est ce qu’a laissé entendre le fondateur de L’École en bateau, Léonid Kameneff, dont le procès pour viols et agressions sexuelles sur mineurs s’achève vendredi. Interpellé en 2008, il a d’abord nié la gravité des faits. “La société a vraiment changé, relativisait-il. Des choses qui paraissaient normales à l’époque, éducatives, sont regardées avec suspicion.” Même son de cloche au procès : “J’étais peut-être de l’autre côté de la ligne sans m’en rendre compte, confiait-il au président de la cour d’assises de Paris. (…) Vous avez raison de dire qu’on était à la frontière et que la frontière n’était pas très nette.”

Neuf victimes ont témoigné. Au fil des auditions, Kameneff a fini par reconnaître des “jeux” à caractère sexuel à l’origine de leurs blessures. “Le flou que j’ai laissé s’installer dans les relations à bord a permis des débordements pour lesquels nous sommes là et donc les souffrances des plaignants”, a-t-il concédé au deuxième jour du procès. Face à l’étonnement du président devant le temps qu’il a fallu à cette prise de conscience, l’accusé a répondu “n’avoir jamais été cuisiné” comme il l’avait été la veille : “La journée d’hier m’a fait mieux comprendre que j’aurais dû mettre des limites et que cette absence de limites conduit au procès d’aujourd’hui.”

Vendredi 15 mars, l’accusé a finalement reconnu les faits : “Je prends tout en bloc”, a-t-il déclaré. À l’issue de l’audition du dernier des neuf plaignants, une déposition de plus de deux heures, entrecoupée de sanglots, Kameneff dit “avoir entendu la souffrance, la détresse, la culpabilité”. L’avocat des parties civiles lui demande alors à quel moment il a décidé de faire cette déclaration. Pendant l’audition de la victime, répond Kameneff. Ce revirement peut sembler opportuniste, le jugement ne faisant plus guère de doute. Il est pourtant emblématique d’une période trouble de la société française.

Autres temps

Le procès de L’École en bateau n’est que le “haut de l’iceberg”, a déclaré un ancien élève. Il en veut pour preuve le bulletin d’information de l’association, où l’on pouvait lire en juin 1980 des textes banalisant les relations sexuelles entre adultes et enfants. “Nos parents lisaient tout ça”, a déploré ce quadragénaire que sa famille avait retiré de l’association sans alerter la justice. Il n’hésite pas à faire le lien avec les discours faisant l’apologie de la pédophilie dans les années 1970. Le sociologue Pierre Verdrager, qui vient de publier un essai sur le sujet, L’Enfant interdit, confirme l’existence de ce mouvement, ajoutant qu’“il a fallu du temps, en France, pour que les victimes soient reconnues comme telles”.

En effet, dans cet ouvrage fouillé et s’appuyant sur des archives, l’auteur montre comment la pédophilie fut considérée comme une cause défendable jusque dans les années 1980 voire 1990. “Dans la foulée de la libération sexuelle, explique Pierre Verdrager, certains ont pensé que son interdiction était un réflexe bourgeois, familialiste, et qu’il fallait en finir.” Comme le montrent ces archives, des intellectuels, des journalistes et des militants politiques ont pris la plume pour exiger l’abaissement de l’âge de la majorité sexuelle, voire sa suppression, dans les grands médias de l’époque. “C’était considéré comme un point d’étape vers la banalisation des relations sexuelles entre adultes et enfants”, poursuit le sociologue. Des psychologues et psychanalystes soutiennent même que ces derniers pourraient être consentants dès 6 ans. Le vrai problème, concluent-ils, serait celui du viol et non la question de l’âge.

Ce mouvement n’était pas marginal, poursuit Pierre Verdrager. “Des journaux comme Libération ont publié des textes faisant l’apologie de la pédophilie, des témoignages ou encore des pétitions.” Serge July, directeur du quotidien à l’époque, reconnaîtra d’ailleurs, avec le recul, que son journal a pu “légitimer des pratiques parfois criminelles”. Des écrivains aussi réputés que Gabriel Matzneff ou Tony Duvert ont publié des textes enflammés dans Le Monde ou aux éditions de Minuit. Des philosophes aussi éminents que Michel Foucault ou François Châtelet déclaraient que les enfants étaient à même de consentir au sexe : “On peut faire confiance à l’enfant pour dire si oui ou non il a subi une violence”, tranchait Foucault. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’a éclaté l’affaire Polanski.

Victimes

Même la pédiatre Françoise Dolto, “qui rejetait sans ambages la pédophilie”, remarque le sociologue, a signé une pétition pour la dépénalisation des rapports sexuels entre les mineurs de moins de 15 ans “consentants” et les adultes. “Tous étaient emportés dans un débat qu’on du mal à comprendre aujourd’hui, analyse le sociologue, parce que le résultat a été la condamnation radicale de la pédophilie.” Pierre Verdrager se défend cependant, avec vigueur, de relativiser cet interdit. “Je n’ai aucune arrière-pensée déconstructionniste, insiste-t-il. En tant que sociologue, j’essaye de comprendre les controverses de l'époque et aussi pourquoi les pédophiles ont perdu la bataille.”

De fait, à partir des années 1980 et surtout 1990, ce mouvement “pro-pédophile” s’est étiolé. Entre autres causes, “on a laissé parler les victimes”, observe Pierre Verdrager. La multiplication de témoignages accablants a conduit la société française à confirmer que de tels rapports ne pouvaient qu’être nocifs : non, les plus jeunes ne devaient pas être considérés comme des adultes. La législation s’est durcie pour protéger cette période de la vie, tandis que les associations de protection de l’enfance se sont multipliées. Aujourd’hui, la pédophilie est considérée comme un tel crime que ce passé semble en grande partie occulté. “Pour les acteurs de l’époque, ça n’est pas un héritage facile à assumer”, remarque le sociologue. Le procès de L’École en bateau confirme d’ailleurs qu’un certain déni peut perdurer.

À lire : L’Enfant interdit – Comment la pédophilie est devenue scandaleuse, Pierre Verdrager, éd. Armand Colin, 352 pages.

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