Collomb
©Tim Douet

Non-cumul des mandats : quatre universitaires servent de béquille aux cumulards

Pierre Avril, Olivier Beaud et Laurent Bouvet, professeurs de droit ou de sciences politiques, ainsi que l'historien et politologue Patrick Weil, viennent d’écrire à François Hollande et aux présidents de l'Assemblée, Claude Bartolone, et du Sénat, Jean-Pierre Bel, pour les mettre en garde contre les méfaits, selon eux, de l'interdiction du cumul des mandats pour les parlementaires, nuisible à leurs yeux à "l'équilibre des pouvoirs". Défendre de telles idées est de mon point de vue, au contraire, un total dévoiement du rôle des parlementaires en même temps qu’un encouragement indirect à la corruption.

Dans leurtexte, les universitaires soutiennent que les parlementaires qui sont à la tête d’exécutifs locaux (maires, présidents de conseils généraux ou régionaux) doivent continuer à cumuler avec leurs mandats de parlementaires, parce qu’ils "sont aussi un atout pour la démocratie". En effet, expliquent-ils, "l'équilibre des pouvoirs est une des conditions fondamentales de la démocratie". Or, "dans notre régime trop présidentialisé, la présence d'élus locaux au Parlement contribue à cet équilibre. (…) D'abord, leur statut d'élu ne dépend pas que du seul mandat parlementaire ; face au pouvoir exécutif, ils ont donc plus de puissance et d'indépendance que ceux de leurs collègues qui ne sont que parlementaires. (…) Ensuite, écrivent nos universitaires, (…), il serait malsain que (…) les députés élus n'aient exclusivement qu'une base partisane" alors que "notre culture politique est d'affrontement" et que "son paroxysme est atteint au moment de l'élection présidentielle" dans la foulée de laquelle ont lieu les élections législatives.

Une curieuse conception de notre Constitution

Collomb ()

©Tim Douet

Voilà qui va certes faire plaisir à Gérard Collomb. Curieuse conception en vérité et curieuse lecture de notre Constitution, car, si l’équilibre des pouvoirs est une condition sine qua non du bon fonctionnement d’une démocratie, on ne voit pas en quoi un élu local rééquilibrerait un tant soit peu un régime encore davantage présidentialisé depuis l’adoption du quinquennat. Si l’on peut comprendre le fait que les sénateurs, élus par des édiles locaux –des grands électeurs- soient en quelque sorte également les représentants des territoires, cela se défend de façon beaucoup plus scabreuse pour les députés. Rappelons que la Constitution de 1946 avait institué une Assemblée de l’Union française, consultative, dont les membres étaient élus au suffrage indirect, membres qui eurent la lumineuse idée de se nommer députés de l’Union française. Aussitôt, les députés à l’Assemblée nationale, emmenés par un certain Édouard Herriot, réagirent heureusement avec force et adoptèrent dans l’urgence une loi leur réservant l’exclusivité du titre de député (L. n° 47-2395 du 30 décembre 1947).

Deputatus erat

Cette exclusivité doit rester la règle. Le terme de député est un participe passé, substantivé, qui vient du participepassé latin deputatus. Il signifie envoyé, délégué -député donc-, à l’accomplissement d’une mission, en l’occurrence la confection de la loi, le plus significatif des actes de la puissance publique. Si la loi est l’expression de la volonté générale, elle se contente, dans notre régime, de la majorité (et non de l’unanimité, quasiment impossible à obtenir). De plus, le domaine législatif est déjà nationalement rogné par le Gouvernement (la plupart des initiatives sont des projets et non des propositions de loi) qui légifère de plus en plus, mais il l’est également, de façon supranationale, par l’Europe, avec la nouvelle tutelle budgétaire de Bruxelles (lire ici). Par conséquent, le député doit conserver ses dernières prérogatives, car il est un représentant de la souveraineté nationale, de la République indivisible, et certainement pas le député de Lyon ou le député du conseil général des Alpes maritimes, parce que cela est constitutionnellement impossible - et d’une certaine manière, le cumul des mandats y a introduit une brèche qu’il faut définitivement refermer.

Indivisible, cela signifique qu’aucune partie du peuple, ni aucun individu, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale. Seul le peuple exerce cette souveraineté par la voie de ses représentants (en l’occurrence les députés) ou du référendum (et malheureusement Nicolas Sarkozy n’en a tenu aucun compte après le rejet massif du projet de constitution européenne). L’unité et l’indivisibilité garantissent une application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire national. La France est partout la France et toute exception ne doit être accordée qu’avec les plus grandes réserves, tant elle n’est souvent aujourd’hui que clientélisme et porte ouverte au communautarisme.

Des universitaires déconnectés du monde réel

Par ailleurs, comment l’addition des différents intérêts ainsi discriminés, comment les desiderata des différents territoires contribueraient, de quelque façon que ce soit, à renforcer l’intérêt général ? Nous sommes en République, pas dans un régime féodal dans lequel des suzerains disparates viendraient une fois l’an baiser la main du souverain suprême pour lui promettre allégeance. Faut-il rappeler à nos éminents universitaires cette simple réalité ? Eux qui n’hésitent pas à écrire : "la pratique des fonctions locales, celle de maire en particulier, habitue à gérer, dans l'intérêt général, pour tous les citoyens, et pas simplement pour les électeurs de son parti. (…) L'exception française du cumul des mandats est donc un contrepoids à l'exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême de ces pouvoirs entre les mains du président de la République. Elle contribue – imparfaitement certes – mais sûrement à l'équilibre des pouvoirs".

Je ne sais dans quelle France vivent nos universitaires, mais, sans vouloir leur faire offense, ils semblent très largement déconnectés des réalités du quotidien, car l’essentiel des scandales et des dérives –nous en savons quelque chose à Lyon Capitale !- ont lieu dans les collectivités locales, où les tentations sont inversement proportionnelles à l’efficacité des procédures de contrôle et à la présence toute relative de contrepouvoirs, notamment en matière de presse. Les chambres régionales des comptes ont beau tirer la sonnette d’alarme et noircir des milliers de pages par an sur ces dérives de plus en plus délirantes, leurs avis sont rarement pris en compte et font l’objet d’âpres discussions, voire de marchandages assez inconvenants (lire ici notre enquête).

Un Parlement vide, sauf les jours de télé

Enfin, l’absentéisme parlementaire est un véritable fléau contre lequel il est temps de lutter. Il est triste en effet de voir les bancs du Parlement clairsemés –voire presque vides- à l’occasion des textes les plus importants. Il est tout aussi triste de voir les mêmes bancs se remplir durant une heure les mardis et mercredis après-midi, parce que les caméras de télé sont présentes et que les députés font leur cirque en posant des questions généralement en étroite relation avec les intérêts particuliers de leur territoire et de ses habitants, avant de se presser au devant des journalistes dans la salle des quatre colonnes, espérant une interview. C’est un dévoiement.

Du même acabit que le temps passé par le député à visiter dans sa circonscription la kyrielle de clubs, associations et amicales en tout genre et à recevoir dans sa permanence ceux qui ne sont en rien ses administrés, se transformant pour la peine en (mauvais) assistant social - avec au final et en tout et pour tout, une lettre de circonstance rédigée par leurs assistants et envoyée à l’élu local concerné sur papier à en-tête de l’Assemblée. Il faut que les élus locaux se consacrent pleinement à leur territoire et les élus nationaux pleinement à la nation –en tout cas à ce qu’il en reste. Car on n’élit pas un député pour qu’il s’occupe d’obtenir un logement social au petit dernier ou une aide ménagère à la mamie. On l’élit sur la base d’un programme national. Si même les universitaires se mettent à tout mélanger et font de la politique politicienne, ça devient préoccupant…

Cumul ()

Une vocation, pas un métier

Le seul point sur lequel le texte des universitaires est positif, c’est quand il rappelle qu'un président de la République ne peut accomplir plus de deux mandats successifs, et qu’il conviendrait de s’en inspirer pour les autres mandats. "Pourquoi, par exemple, n'imposerait-on pas aux maires, aux présidents de conseil généraux et régionaux une limitation à trois mandats, à dix-huit ans ?", demandent-ils. Encore que leur préconisation soit pour le moins timorée, et qu’il conviendrait, de mon point de vue, de la limiter à deux mandats, c’est-à-dire à douze ans. Douze ans, à la tête d’une commune, d’un conseil régional ou d’un conseil général, c’est bien suffisant. Car ensuite les édiles s’enkystent, les mauvaises habitudes s’installent et, inéluctablement, la corruption se développe, sans qu’elle soit toujours souhaitée ou organisée par lesdits élus locaux, d’ailleurs. Il faut par conséquent renouveler, faire émerger de nouvelles équipes et de nouvelles idées.

Le meilleur moyen de rechercher l’équilibre des pouvoirs, cher à nos quatre universitaires, n’est donc pas de consolider les mauvaises habitudes sous des motifs fallacieux, mais au contraire d’interdire strictement le cumul d'un mandat parlementaire avec un mandat exécutif local, recommandation qui figurait d’ailleurs dans la liste de la commission Jospin sur "la rénovation de la vie publique", et dont les préconisations, publiées en novembre, semblent déjà renvoyées aux calendes grecques. Ajoutons qu’on a rarement vu le maire d’une grande ville être un parlementaire hors pair, ou simplement assidu. Ce serait même plutôt le contraire. Il suffit, pour qui en douterait encore, de questionner, les yeux dans les yeux, les collègues de Gérard Collomb, de Christian Estrosi ou d’Hubert Falco, pourtant élus et réélus dans leur commune.

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