Corse : Chiappini, l’homme aux deux visages

L’enquête sur l’assassinat du président du parc naturel régional de Corse s’oriente vers le traitement des déchets dans la zone de Vico. Une arme approvisionnée découverte dans la voiture de la victime semble indiquer qu’elle se sentait menacée.

C’est sur les accents déchirants du Dio vi salvi regina, l’hymne corse résonnant a capella dans la petite église de Letia, que Jean-Luc Chiappini a rejoint lundi sa dernière demeure.

Six jours après l’assassinat du président du parc naturel régional, et au-delà du traumatisme provoqué par cette nouvelle exécution de notable, l’enquête pourrait s’orienter vers une banale affaire de pots-de-vin. Elle éclaire d’un jour nouveau la personnalité complexe de cet homme de 65 ans, abattu sur la route qui relie l’aéroport Campo dell’Oro au cœur de la cité ajaccienne.

Côté face, Jean-Luc Chiappini apparaissait comme un ardent défenseur de l’environnement amoureux de ses montagnes, un élu comme on en connaît beaucoup ici, attaché à ses administrés et qui faisait la pluie et le beau temps dans ce que l’on appelait jadis la Terre des Seigneurs. Mais, côté pile, le seigneur de Letia avait semble-t-il ses failles et visiblement des comptes à rendre, comme en témoigne le pistolet CZ approvisionné retrouvé dans la boîte à gants de sa Citroën C5. De quoi avait-il peur ? Et de qui ?

Une déchetterie cernée d’ombres

Les enquêteurs de la PJ, désormais supervisés par le juge Christophe Perruaux de la JIRS de Marseille, se concentrent sur un élément précis de l’agenda de Chiappini : l’inauguration en grande pompe, le 19 avril dernier, du pôle environnemental de traitement des déchets de Vico. D’étranges événements ont en effet entouré l’édification de ce site, qui a soulevé durant des années l’ire de nationalistes et d’écologistes opposés à son implantation. Parmi les énigmes, figure l’assassinat en janvier 2009 de l’ancien maire de Casalabriva. La victime rentrait d’un jogging lorsqu’elle fut abattue dans le hall d’un immeuble d’Ajaccio. Reconverti dans le privé depuis 2002, Jean-Marc Nicolaï dirigeait la Ceci, une société de consulting en gestion qui s’était positionnée quelques semaines auparavant dans un appel d’offres relatif à cette déchetterie, au côté d’un poids lourd local. Les deux partenaires se trouvaient alors en concurrence avec le groupe Veolia. L’offre de la Ceci fut retirée quelques jours après l’assassinat…

Quatre ans plus tard, c’est au tour de Jean-Luc Chiappini, en sa double qualité de président du parc naturel régional et de président du syndicat intercommunal, de figurer en première ligne dans une affaire de versement de pots-de-vin autour de cette déchetterie. L’élu, par ailleurs maire de Letia, avait été entendu voici quelques mois à ce sujet par les enquêteurs de la DRPJ d’Ajaccio. Il est question de plusieurs dizaines de milliers d’euros disparus dans la nature.

Les mauvaises manières d’un élu

D’un coup, c’est tout le passé de Jean-Luc Chiappini qui remonte à la surface, et certains ne manquent pas de rappeler qu’il fut propriétaire de L’Empereur, un bar d’Ajaccio où il aurait été amené à avoir des fréquentations jugées aujourd’hui “embarrassantes”. Derrière l’assassinat de Jean-Marc Nicolaï, se profile l’ombre de La Brise de mer et de l’une de ses figures aujourd’hui disparue, Francis Mariani. D’autres sources évoquent une proximité de Jean-Luc Chiappini avec des membres de l’équipe dite du Petit Bar, qui défraye ces derniers temps la chronique puisqu’on lui attribue deux assassinats de notables ajacciens : l’avocat Antoine Sollacaro et le président de la chambre de commerce Jacques Nacer. L’assassinat de Chiappini pourrait résonner comme une sorte de réplique. Un parfum de soufre entoure cet élu, qui avait eu par le passé quelques mauvaises manières en faisant pression sur une jurée chargée de juger devant la cour d’assises trois braqueurs de banque. Faits pour lesquels il fut condamné en 1986. Enfin, pour clore ce volet “personnalité”, on lui prête selon Le Journal du dimanche des liens avec le nationaliste François Santoni, abattu en 2001 sur fond d’enjeux liés au grand banditisme.

Une autre piste est évoquée, celle de l’assassinat en mars 2011 de Dominique Domarchi, l’un des plus proches collaborateurs du président du conseil exécutif de Corse, à savoir le PRG Paul Giacobbi, lui-même auditionné sur un dossier de détournement de subventions au profit de gîtes ruraux. “Rien ne permet de rattacher cette affaire à Chiappini, cela n’a rien à voir”, rétorque un enquêteur spécialisé qui connaît le sujet sur le bout des doigts. Ce dernier n’exclut pas en revanche que l’assassinat de Jean-Luc Chiappini soit réellement lié aux responsabilités plus larges de la victime au sein du parc naturel régional et aux recompositions foncières des zones montagneuses insulaires actuellement en cours. Beaucoup d’argent est en jeu, ce qui éveille les convoitises.

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