Cannes port

Yes we Cannes

Cannes et sa Croisette tapissée de dames âgées trop maquillées, liposucées, liftées et botoxées promenant leur chihuahua. Depuis le succès de The Artist, notons que la marque du chien a changé.

Cannes et ses bataillons de prostituées de luxe, dont la nationalité suit l’évolution du Dow Jones. Ici, le CAC 40 ne vaut pas tripette.

Cannes, chiquissime, où les enfants apprennent à marcher chez Dior ou Hermès et à manger chez Tétou et à La Colombe d’Or en accompagnant le shopping de leur maman.

Cannes, sa baie et ses belles qui bronzent sur la plage et son sable artificiel que les dragueurs de fond réinstallent à chaque printemps pour maintenir l’illusion.

La Croisette et son petit noir à 10 euros, Cannes et sa rue commerçante, la rue d’Antibes que l’on nomme ici rue d’Antube.

Cannes, ce mouroir tranquille garni de milliardaires français qui tentent d’exister, coincés entre des milliardaires exotiques, des mafieux en tout genre ou des tyrans retraités. On y attend prochainement Bachar al-Assad, après avoir manqué Ben Ali ou Khadafi, nos vrais amis.

Cannes et sa Méditerranée polluée par les égouts d’Antibes, le pétrole de ses yachts et la crème solaire de ses poulettes. Du 15 mai au 15 septembre, la mer brille d’un arc-en-ciel mazouté qui flotte au gré des vaguelettes.

Cannes et ses étals de poisson en provenance directe de l’aquaculture locale... La chair des dorades et des loups y est jaune, comme cirrhosée par les farines animales qu’ils ingurgitent dans des caissons immergés dignes d’un camp de transit.

Cannes, ses tics et ses tocs gérés aujourd’hui par un ex-pubeux au business plan lumineux pour que “les riches se sentent bien et en sécurité”. Ici les ballottages politiques se font entre UMP et FN, François Hollande c’est Raspoutine.

Cannes et ses hordes de voyeurs qui viennent renifler chaque week-end du people, de la starlette et du merlan pas frais.

Cannes et ses feux d’artifice somptueux, ses festivals divers, ses congrès et ses touristes que déversent chaque jour des immeubles flottants qui font le tour de la Méditerranée pour 600 euros mais tout compris.

J’adore Cannes avec ses massifs de bougainvilliers et ses palmiers dont la seule vue rend paisible comme un gagnant du loto. Tout a vraiment commencé par une légende, celle du masque de fer qui fut détenu par un roi jaloux sur l’une des îles de Lérins, celle qui flotte face à la plage du Palm Beach d’aujourd’hui.

Au commencement, Cannes n’était qu’un minable port de pêche situé sur la colline du Suquet, mal desservi et pauvre. Et puis Zorro est arrivé et je ne parle pas d’Henri Salvador, roi de la pétanque sur la place de l’étang... En l’occurrence, un Anglais mais un gentleman génial comme seul le Royaume-Uni de l’époque était capable d’en produire, lord Henry Brougham and Vaux, un ambianceur ami de toute l’aristocratie européenne. Lord Henry tombe fou d’amour de la baie et de ses collines environnantes couvertes de mimosa et de lavande. Esprit ouvert, lord Henry le sybarite invite ses amis à venir découvrir ce paradis ignoré des Français. Nous sommes au XIXe siècle. Des Scandinaves, des Allemands, des Italiens et des Turcs débarquent des quatre coins d’une Europe qui s’ignore encore et ils inventent le spot de la Riviera française. L’argent tombe du ciel et se ramasse à la pelleteuse, surtout celle des architectes qui truffent les environs de palais exotiques, faisant cohabiter châteaux écossais, palais florentins et riads marocains. Cannes devient un condensé de l’architecture mondiale de l’époque, un impressionnant catalogue des différentes manières de concevoir la vie, donc les plaisirs.

Deuxième étape marquante, au début du XXe siècle : l’arrivée des Russes blancs chassés par ces immondes bolcheviques. Les princesses de la famille du tsar s’amourachent à leur tour et construisent des demeures et des églises orthodoxes où aucune Pussy Riot ne s’est jamais produite. Un palais pour la princesse Alexandra et un palais pour ses domestiques. Histoire d’abriter tous ces gens qui faisaient construire, le Carlton fut le premier des hôtels de luxe à s’installer au milieu de la baie et ce qui allait devenir la Croisette avec le Martinez, le Miramar, l’hôtel Gonnet et de la Reine, le Majestic ou le Grand Hôtel. Picasso travaille alors sur la colline de la Californie puis celle de Mougins. Henri Matisse est à Saint-Paul et à Vence... Monte-Carlo, Villefranche, Beaulieu, Nice, le cap d’Antibes et Cannes, voilà ce qu’on appelle la French Riviera. Une French Touch au goût de melting pot, déjà l’art du mélange.

Depuis toujours, des édiles sont corrompus. Souvenons-nous avec émotion de Jacques Médecin à Nice ou de Michel Mouillot, le Pierre Botton local, qui se fait coincer ici dans un parking avec une valise pleine de billets de 500 et les quelques années de prison qui vont avec. Ici, les permis de construire se traitent directement aux Bahamas ou aux Bermudes grâce au clic d’un ordinateur. Certains bâtiments de la Croisette, comme l’ex-Noga Hilton, aujourd’hui Mariott, n’ont jamais obtenu leur permis d’ouverture mais ils existent quand même. On en a profité pour exécuter l’ancien palais des Festivals et le Blue Bar pour construire cet immonde bunker de maçon qu’utilise aujourd’hui le festival du cinéma. Heureusement pour nous et le commerce du luxe, ses promoteurs ont respecté l’esprit des marches et du tapis rouge, ce qui nous permet d’admirer le meilleur de la mode, de la joaillerie mais aussi de la chirurgie plastique.

Chaque année, vers la mi-mai, comme un vol d’étourneaux, le movie business s’y donne rendez-vous pour quinze jours... Les huit premiers, il pleut. Les huit suivants, il fait beau, le temps qu’il faut pour accoucher d’une palme. Les hélicoptères, les Riva et les limousines déversent leur cargaison de happy few au dress code immuable qui font leur promo entre deux rangées de flashs crépitants, de cagoles hystériques et d’aficionados numérisés. C’est sur ces marches que le photographe Mario Gurrieri s’est rendu célèbre en enrichissant la langue française de son célèbre “Sourissez, sourissez”. Vu d’en haut, c’est très rigolo, et il faut louer le flegme du délégué du festival, notre ami Thierry Frémaux, d’acter comme s’il s’agissait de sa première fois.

Cannes, la seule ville au monde où l’on devient suspect dès lors que l’on y achète Le Monde, Libération ou même Lyon Capitale. Cannes, la seule ville au monde où je n’ai jamais croisé un gauchiste dans un dîner. Cannes, l’une des rares villes où l’immobilier comme le foncier ne souffriront pas de la crise financière qui n’a pas fini de s’abattre sur le vieux monde et vos si jolies épaules. Cannes, c’est une réserve naturelle pour les retraites chapeau ou parapluie, deux accessoires parfaitement inutiles par ici. Allez, il est temps pour nous d’en finir avant que la bile ne monte.

Yes we Cannes !

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