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Les animaux, des hommes comme les autres ?

La question du statut juridique des bêtes revient sur le devant de la scène : les philosophes Élisabeth de Fontenay et Peter Singer font le point sur les enjeux conceptuels du débat.

Les militants de la cause animale sont peu nombreux, mais ils savent se faire entendre. Dernièrement, le très médiatique avocat Arno Klarsfeld a demandé d’inscrire le droit des animaux dans la Constitution. Le but : en finir avec la souffrance animale dans les corridas, les laboratoires ou encore lors d’abattages rituels. “Si l’on doit manger de la viande, écrit-t-il, la moindre des reconnaissances, c’est d’abattre l’animal en lui causant le minimum de souffrance.” Une prise de position jugée trop nuancée par les végétariens, qui assimilent toute alimentation carnée à la torture et au meurtre d’êtres vivants.

“Il n’y a rien de plus incohérent qu’un écolo qui mange de la viande”, a ainsi affirmé la vedette de la série Bones, Emily Deschanel. D’autres people donnent ainsi de la voix, assurant une certaine visibilité médiatique au mouvement. Le cinéaste James Cameron a ainsi révélé qu’il était devenu végétarien, le mois dernier, à l’occasion du 125e anniversaire du magazine National Geographic. Leonardo di Caprio, Nathalie Portman, Alyssa Milano… Les “vegans” ont la cote à Hollywood. Kristen Bell et Dax Shepard ont été élus végétariens les plus sexy du cinéma par l’association Pour une éthique dans le traitement des animaux (Peta).

Outre le star system, il y aurait 25 millions de végétariens aux États-Unis et 15 millions en Europe. La demande de produits spécialisés reste marginale en France : mois de 2 % d’adeptes, selon une enquête des Échos confirmée par le magazine Marianne. Les militants de la cause animale acquièrent cependant une visibilité grandissante à force de campagnes de communication choc (voir celle d’Animal Equality), taillées pour buzzer, d’autant que le terrain est propice : la question du “mieux manger” préoccupe de plus en plus les Français, crise économique et écologique oblige.

Libération animale

Les récents débats sur l’égalité de droit offrent aussi un tremplin inattendu aux militants antispécistes. Critiques radicaux des concepts de “sujet” ou de “personne”, ces derniers assimilent toute exploitation des bêtes à une forme de racisme, d’esclavage même, et réclament un traitement plus égalitaire. Cette tendance du végétarisme peut surprendre, mais pose des questions de fond sur le statut juridique des animaux, la nature humaine ou encore l’idée de “contrat social”.

Des philosophes font le point dans Les animaux aussi on des droits*. Pour Peter Singer, fondateur du Mouvement de libération animale, les traditions cartésienne et kantienne ont implanté durablement, en Europe, l’idée que les animaux n’étaient pas des sujets de droit puisqu’ils n’avaient pas la conscience de soi. Lui défend au contraire un point de vue utilitariste, résumé par Jérémie Bentham en une phrase : “La question n’est pas “Peuvent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ?” Mais : “Peuvent-ils souffrir ?”” De ce point de vue, toute action qui provoque de la souffrance est immorale, quels que soient l’agent et le patient.

“Il n’y a pas deux éthiques, l’une humaine, l’autre animale, renchérit Élisabeth de Fontenay. Il y a éthique ou il n’y a pas éthique.” Si la philosophe condamne toute atteinte au bien-être des bêtes, notamment les dérives de l’industrie agroalimentaire, elle reste néanmoins hostile à l’antispécisme de Singer : “Du point de vue de l’avenir de notre civilisation, tellement marquée par l’élevage, je m’interroge sur l’abstinence de viande et de produits laitiers (…) On dit que ce qui a différencié l’homme du chimpanzé, alors qu’il dispose d’un capital génétique à peine supérieur, c’est qu’il a mangé de la viande.”

Tous deux défendent néanmoins un nouveau statut juridique pour protéger les animaux – actuellement, ils sont considérés comme des meubles dans le Code civil français (voir Le Monde, 30/04/2012). La principale difficulté, c’est que la loi reste fondée sur la notion de pacte social, or un animal serait bien en peine de signer un contrat… Pour Peter Singer, la solution consiste à leur accorder des droits similaires à ceux de personnes “très handicapées”, quitte à ce que la justice désigne des gardiens légaux “dont le rôle serait de représenter les intérêts ou les droits de ladite personne non humaine”. Pour Élisabeth de Fontenay, néanmoins, il ne faudrait pas verser dans un anthropomorphisme précipité, en affirmant d’emblée que les animaux seraient des hommes comme les autres. Ils ont besoin de notre bon sens autant que de notre pitié, résume-t-elle, “et je ne trouve de solution satisfaisante que dans un compromis”.

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* Boris Cyrulnik, Élisabeth de Fontenay et Peter Singer, Les animaux aussi ont des droits, Seuil, 2013.

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