Quand Interpol flique Lyon Capitale

En marge de la conférence d’inauguration du forum TAC avec Manuel Valls, Interpol a sorti manu militari un photojournaliste de la pièce et l’a sommé de montrer ses photos du secrétaire général de l’organisation, Ronald Noble.
Une atteinte à la liberté de la presse qui renforce un peu plus les doutes sur l’opacité de cette organisation internationale, déjà décrite dans notre enquête “L’immoral financement d’Interpol”.

Vous connaissez M. Martiniere et M. Schmidt ? Vous êtes avec eux ? Lyon Cap, c’est ça ? Nous sommes le 8 juillet 2013, au forum “Technology against Crime” (TAC), coorganisé à la Cité internationale de Lyon par Interpol et le ministère de l’Intérieur. Alexander Roth-Grisard est un jeune photojournaliste franco-allemand, accrédité par l’une des plus grandes agences de photo française. Avec plusieurs collègues, il se situe juste derrière la scène, et prend des clichés de la séance inaugurale avec Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, maire de Lyon, et Ronald Noble, secrétaire général d’Interpol. Soudain, un homme au visage sévère, costume sombre, pin’s bleu d’Interpol au poitrail, lui agrippe le bras. Le policier l’invite à quitter prestement la salle de conférence, pourtant ouverte à la presse, et l’emmène dans un couloir attenant. Un dialogue houleux s’installe.

“Simple contrôle des photos”

“Monsieur, vous savez pourquoi vous êtes ici”, menace l’homme. Il ajoute : “Allez, montrez-moi les images. Simple contrôle des photos.” Alexander Roth-Grisard refuse, montre ses deux cartes de presse, française et allemande, son accréditation. Le policier lâche alors, manifestement agacé par l’enquête de Lyon Capitale sur les conflits d’intérêts d’Interpol : “Vous connaissez M. Martiniere et M. Schmidt [les deux auteurs de l’enquête, NdlR] ? Vous êtes avec eux ? Lyon Cap, c’est ça ?

Alexander Roth-Grisard n’a pourtant rien à voir avec cette enquête. Photojournaliste indépendant, il a signé pour la première fois un reportage sur l’extrême droite dans notre dernier mensuel, mais il n’était pas au forum TAC à la demande de Lyon Capitale. Nous avions accrédité d’autres journalistes sur cet événement, qui ont d’ailleurs constaté que leurs moindres faits et gestes étaient épiés. Mais le policier semble convaincu qu’Alexander Roth-Grisard travaille pour nous et, manifestement, il a reçu l’ordre d’en savoir plus sur son travail. Arrive alors l’attachée de presse d’Interpol, Rachael Billington. Elle demande au jeune photojournaliste, poliment : “S’il vous plaît, vos photos de M. Noble, montrez-les-moi.” Le photographe n’en démord pas et s’indigne. Le ton monte, l’homme au pin’s bleu sort un portefeuille, le déplie dans le sens de la longueur. Alexander y lit “Police nationale” et le liseré bleu-blanc-rouge. Le policier menace, mais la discussion s’essouffle. Il quitte alors la pièce. Alexander Roth-Grisard montre en vitesse rapide ses photos à l’attachée de presse, pour en finir. Lorsqu’il retourne dans la salle de conférence, quelques confrères qui ont assisté à une partie de la scène s’enquièrent de ce qui s’est passsé, et s’offusquent. L’un d’eux, rédacteur en chef d’une télé nationale de tout premier plan, appelle Rachael Billington pour s’en plaindre.

“Nous sommes profondément ouverts aux médias”

Il est plus de 22 heures quand Alexander Roth-Grisard reçoit un appel surprise de Rachael Billington. “On a mal géré la situation. C’était pour nous un simple protocole de sécurité”, lâche l’attachée de presse de l’organisation mondiale de police. En guise d’excuses, elle propose au photojournaliste une séance privée avec Ronald Noble. Confiante, elle ajoute : “Nous sommes profondément ouverts aux médias.” À condition qu’ils n’aient aucun lien avec Lyon Capitale et qu’il ne soient pas trop curieux sur les financements privés et les conflits d’intérêts d’Interpol ?

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