L’élection présidentielle aura bien lieu au Mali les 28 juillet et 11 août prochains. Un scrutin dont l’un des prestataires techniques est la société française Safran. Ce qui attise déjà critiques et polémiques.
Il règne une certaine confusion devant le consulat général du Mali en France, situé à Bagnolet, en région parisienne. Des dizaines de personnes attendent leur tour, avec plus ou moins de patience, un ticket à la main. La campagne pour la prochaine élection présidentielle est ouverte depuis le 7 juillet. Mais ce n’est pas pour parler politique que les Maliens de France se pressent devant le consulat, comme dans dix-neuf autres lieux de France.
Pour eux, le plus urgent est d’obtenir un précieux sésame : leur carte “Nina” (pour “numéro d’identification nationale”). Un document électronique dernier cri comportant code-barres et flash-code qui, comme la plupart des passeports dans le monde, est “biométrique” : la puce contient une photo numérisée du visage et les empreintes digitales du titulaire. C’est le document choisi par le gouvernement intérimaire de Bamako – contrôlé par des militaires depuis le coup d’État du 22 mars 2012 – pour servir de carte d’électeur.
Des délais “intenables” imposés par la France et l’Onu
“Les délais sont quasiment intenables, explique à Lyon Capitale un membre d’une des commissions électorales d’ambassade, chargées d’organiser le scrutin pour les Maliens de l’étranger. Nous regrettons cette précipitation, imposée par la France et l’Onu. Trois mois à peine pour préparer des élections dans un pays aussi vaste que quatre fois la France, qui compte une importante diaspora et d’innombrables réfugiés, c’est du jamais vu… Et on a un peu l’impression d’être pris pour des cobayes…”
Le scrutin est en effet le résultat d’une très grande improvisation. Dès le 29 janvier, à la suite des premières incursions militaires françaises, les autorités maliennes s’engagent à organiser un scrutin avant le 31 juillet. Mais la loi électorale, base légale du scrutin, n’est modifiée que le 27 mai, soit deux mois avant la date butoir. Et les premières cartes d’identité ne sont éditées que le 24 juin. Au même moment, la Ceni, une commission électorale indépendante mise en place avant le coup d’État, réclame, en vain, un report. Un collectif de candidats fait la même requête le 9 juillet. D’autant qu’ensuite doivent avoir lieu des législatives (8 et 29 septembre). Le déroulement du scrutin est compromis dans les villes du Nord, comme Kidal, anciennes places fortes des groupes djihadistes.
Mais la France insiste – le président Hollande l’a répété devant l’Unesco le 5 juin – pour tenir le délai. Le retrait du gros de ces troupes, important en termes diplomatiques, ne sera accepté que si la place est faite à un gouvernement légitimement élu. Reste à savoir si une telle précipitation pourra mener à une quelconque légitimité.
300 000 jeunes exclus du scrutin
Nos sources estiment que plus de la moitié des citoyens en âge de voter ne seront sans doute pas en mesure de le faire. Le corps électoral compte en théorie 6,9 millions de personnes sur une population de 16 millions d’habitants. Exemple : la juridiction englobant la France (qui comprend aussi les Maliens du Portugal) rassemble environ 80 000 électeurs ; or, selon les derniers pointages, il n’y aura guère plus de 32 000 électeurs recensés. Les cartes sont en effet émises sur la base d’un recensement datant de trois ans. Ce qui pose un gros problème pour les jeunes qui étaient alors mineurs : ils n’ont fourni ni photo ni empreintes digitales, données indispensables pour confectionner les fameuses cartes. Résultat : pas moins de 300 000 jeunes électeurs seront ainsi mis de côté, soit 5 % du corps électoral.
La question se pose aussi pour les personnes déplacées ou réfugiées. Celles-ci avaient jusqu’au 27 juin – un mois à peine après le vote de la fameuse loi électorale – pour se déclarer auprès des autorités, passablement désorganisées depuis les événements de ces derniers mois.
Un marché attribué à une société française dans des conditions douteuses
Dernière ombre au tableau, qui entache symboliquement la souveraineté du scrutin : les cartes biométriques sont émises depuis son ex-puissance coloniale. C’est en effet le groupe Safran, via sa filiale Morpho (ex-Sagem Sécurité), qui a obtenu le précieux marché de 8,5 milliards de francs CFA, soit 13 millions d’euros. L’appel d’offres, lancé en avril – dans la même précipitation –, s’est révélé infructueux un mois plus tard. Le Gouvernement a alors décidé, de manière totalement discrétionnaire, de confier l’affaire à Safran, en l’occurrence l’un des treize candidats éconduits. Chose curieuse, ce candidat n’aurait même pas dû postuler. C’est en effet le même groupe qui s’est chargé, en 2009, du recensement biométrique servant de socle aux cartes Nina. Or cette double compétence est interdite, comme l’ont rapporté plusieurs médias maliens. Ce semblant de favoritisme semble malvenu, car Safran (résultat de la fusion en 2005 de Sagem avec le groupe public Snecma) est toujours contrôlé à 30 % par… l’État français.