Les catastrophes intérieures de Jean Raine

D’un côté, la librairie Michel Descours, de l’autre la galerie Michel Descours. Les livres et les toiles. Face à face. De part et d’autre de la rue Auguste-Comte. Ça tombe bien : Jean Raine était peintre et écrivain, lui dont l’œuvre réunit les mots et les formes. Tout l’été lyonnais, son œuvre est ainsi rendu lisible et visible.

Ça commence par une histoire belge, puisque Jean Raine est né en 1927 à Bruxelles. Il décédera avant ses soixante ans, en 1986, à Rochetaillée-sur-Saône, aux portes de Lyon où il s’était arrêté en 1968 pour rejoindre son épouse, Sanky Raine, qui défend toujours son œuvre. Entretemps, il aura côtoyé Pierre Alechinsky et le fameux groupe CoBrA, Henri Langlois, le cinéma et la cinémathèque de France, René Magritte, André Breton et le surréalisme, Louis Scutenaire, Marcel Broodthaers, l’Action Painting – notamment à San Francisco, où il vécut – et encore Théodore Koenig. De même, il s’intéresse de près à l’univers psychiatrique.

Il est donc l’un des très rares Lyonnais (d’adoption) à avoir participé aux aventures artistiques et intellectuelles majeures du XXe siècle. Voici une occasion de (re)découvrir les différents catalogues de Jean Raine (BM, Saint-Priest, MAC, celui de cette exposition), ses Œuvres poétiques, ainsi que des ouvrages sur CoBrA, Asger Jorn et autres, et, bien sûr, son travail pictural.

Encres, dessins, peintures

Du papier avant toute chose ! L’univers pictural de Jean Raine se construit toujours sur le papier, sur lequel il écrit, dessine, croque, trace, griffe, griffonne, peint à l’encre ou l’acrylique (surtout) ou au pastel, et que Sanky maroufle sur la toile. Une construction que l’on pourrait croire hasardeuse, tout en grouillements et enroulements centrés sur eux-mêmes. Une construction, surtout, qui fait jaillir des monstres en toute liberté, évasion et effusion, jusqu’aux gouffres. Henri Michaux parlait du “grand combat” dans son recueil La nuit remue. Il est là, fait de pulsions où évoluent monstres, ectoplasmes, maelströms et torrents, en autant de catastrophes intérieures et d’effrois devenus des apparitions grotesques. Ils côtoient des visions éthyliques et hallucinatoires en autant d’obsessions.

L’univers intérieur révélé de Jean Raine s’avère pour autant gaillardement baroque et impertinent, tant “le rire est une grimace de l’âme”, selon la formule de Fiodor Dostoïevski. Il suffit de se pourlécher des titres, tels Chimiquement vôtre, Regard sur le chaos, Radioscopie du chou-fleur, Escargots sans Bourgogne, Surrégression des débiles, ou La Morsure du destin. Tout qui surgit d’une énergie folle de vivre et créer, en noir et blanc comme en couleurs virulentes ; jusqu’à en mourir. Sans peur. Puisque la mort est en chacun et que Jean Raine semble en connaître spontanément le mystère ; sinon le défier. Lui qui écrivit : “Un amour sans fin : L’homme que je suis marche la tête dans les mains un long filet de sang sanctifie son chemin dans les rues qui l’éloignent.”

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Jusqu’au 14 septembre, à la galerie Michel Descours, 44 rue Auguste-Comte, Lyon 2e.

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