Selon Harlem Désir, l’esprit munichois serait de retour parmi ceux – dont pourtant des socialistes, des Verts et des communistes – qui hésiteraient devant une intervention en Syrie.
La question mérite mieux qu’un anathème réducteur ; le droit ou le devoir d’ingérence nécessite une réflexion. Munich, en septembre 1938, marquait la dérobade de la France et de l’Angleterre devant l’Allemagne, et l’annexion par celle-ci des Sudètes, un territoire de la République indépendante de Tchécoslovaquie ; Churchill a constaté : “Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre, ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre.”
Mais, à Munich, il était question de la guerre et de la paix entre États. Dix-huit mois plus tard ce serait d’ailleurs la guerre lors de l’invasion de la Pologne par le IIIe Reich, une vraie guerre, longue, cruelle, inévitable, avec la victoire ou la défaite en perspective.
Le problème de la Syrie est d’une autre nature, la crise est interne. À cet égard, les démocraties se sont abstenues d’intervenir dans la guerre d’Espagne, en novembre 1938, quelques semaines après Munich, lorsque la Nuit de Cristal a rendu manifestes et publiques les exactions des nazis à l’égard des Juifs allemands, de même lorsque fut connue l’horreur absolue des camps d’extermination. Il en est allé également ainsi durant les longues années de goulag imposées au peuple russe par Staline ; personne ne songea à intervenir, il n’en fut tout simplement pas question. Plus près de nous, il y a quarante ans, Pol Pot anéantissait 1 500 000 hommes, femmes et enfants (20 % de la population cambodgienne), sans ingérence.
Il nous faut donc réfléchir et répondre à trois questions essentielles :
– Qui est en droit de s’ingérer : un pays, une coalition, une organisation internationale ?
– Sommes-nous prêts à intervenir même en présence d’un véritable risque stratégique – en d’autres termes, agirions-nous en risquant une vraie guerre et alors une vraie défaite ?
Les “ingérences” récentes ont consisté en des opérations de police parfois à grande échelle, en exposant l’existence de nos soldats, mais aucun acteur de l’ingérence ne risquait de perdre la guerre, de se voir détruire ou envahir. Il en va aussi ainsi pour la Syrie. Nous devons donc nous interroger et c’est une question aussi bien politique que morale : sommes nous prêts à intervenir contre un pays capable de lutter contre nous et alors de nous battre ? Si la réponse est négative – ce qui est probable – avons-nous le droit d’agir contre des pays dont la puissance est asymétrique ?
– L’objectif de l’ingérence enfin est une question cruciale. Il semble acquis qu’en Syrie l’intervention, si elle a lieu, se résumera à des frappes ciblées et limitées dans le temps alors qu’un objectif utile serait l’élimination de Bachar el-Assad et de son régime. Ne sommes-nous pas en l’occurrence dans une posture dans laquelle nous tentons de nous donner bonne conscience ?
L’alternative semble être la suivante : combattre partout, toujours et surtout efficacement les tyrans meurtriers en assumant alors tous les risques, ou se contenter de les isoler diplomatiquement, économiquement et financièrement en aidant et soutenant les résistances intérieures. La politique, dans ce domaine comme en d’autres, doit évidemment être morale mais demeurer essentiellement réaliste et pragmatique, ce qui sera en définitive le cas.
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