Nouvel épisode de l’affaire Guérini. Cette fois, c’est la gestion du conseil général des Bouches-du-Rhône qui est épinglée par la chambre régionale des comptes. Nous avons consulté ce rapport. Extraits parfois détonants.
Le document ne devait être officiellement communiqué que le 25 octobre. Mais des fuites dans la presse ont poussé Jean-Noël Guérini à sortir du bois et à se justifier ce matin, lors d’une conférence de presse, sur les anomalies relevées par la chambre régionale des comptes (CRC) au conseil général des Bouches-du-Rhône. Si l’on en croit le président (PS) de ce conseil, qui est apparu détendu et souriant, rien à signaler au Paquebot (surnom de cet édifice à l’architecture controversée). D’où l’usage d’une terminologie de circonstance : “Je suis heureux des termes du rapport, la barre est bien tenue au conseil général.”
Ça, c’est pour la galerie car, derrière cet audit des magistrats de la CRC, se profilent les dossiers de corruption, trafic d’influences, association de malfaiteurs (entre autres…) menés par le juge d’instruction marseillais Charles Duchaine. Ils sont à l’origine des mises en examen du président du conseil général et d’une inspection poussée des arcanes financières de l’institution entre 2006 et 2011. Nous avons pu consulter ce rapport définitif.
Défaillances et irrégularités
Si la chambre donne quitus sur la situation financière globale de l’institution, jugée “satisfaisante” (d’où le satisfecit de Guérini), elle n’en relève pas moins des anomalies, notamment en ce qui concerne deux domaines sensibles : la gestion des associations et celle des marchés publics. Dans un climat qui n’est pas sans rappeler le dossier de la députée (PS) Sylvie Andrieux, récemment condamnée à une lourde peine de deux ans de prison ferme, les magistrats ont épluché les comptes de 69 associations, pour un total de 60 millions d’euros de subventions. Leur verdict est sévère, car les contrôles “révèlent diverses défaillances ou irrégularités”. Notamment : “Les exigences de la collectivité en matière de production d’information financière sont insuffisantes : la production des comptes n’est pas toujours exhaustive, les comptes rendus financiers sont rarement fournis et ne permettent pas un réel contrôle de l’utilisation des crédits.”
Un conseiller très spécial
Le rapport relève un nombre impressionnant d’associations sur le département (35 000 à 40 000). Le conseil général débloque quant à lui annuellement 100 millions d’euros et examine 12 000 dossiers de subventions. Après avoir relevé nombre de dysfonctionnements techniques, la CRC s’étonne de certains processus d’intervention, notamment celui d’un personnage présenté comme un conseiller du président. Il s’agit de Clément Yana, ancien président du Crif : “Il ne figure dans aucun des organigrammes officiels transmis par la collectivité et concernant le cabinet de la présidence ou les directions de la culture et des relations internationales pour la période contrôlée (…) Il se présente toutefois comme “conseiller du président” et intervient directement dans la procédure d’instruction des subventions.” Le document dissèque ainsi plusieurs centaines de milliers d’euros distribués sous les bons offices de ce conseiller très spécial.
L’“absence d’exhaustivité des documents comptables” des associations concernées interpelle également, tout comme l’“absence des informations relatives aux rémunérations des cadres dirigeants”.
50 000 euros de robe
Mais la nature même des subventions allouées laisse songeur, à l’image des 80 000 euros de “frais de représentation” alloués entre 2005 et 2009 à la présidente de l’Institut de la mode Méditerranée, dont 50 000 pour l’achat de robes destinées à être versées – après usage – au fonds du musée de la mode… transformé ainsi en annexe de la garde-robe de la responsable de l’institut ? Cette dernière, qui n’est autre que Maryline Vigouroux, ex-épouse de l’ancien maire de Marseille, a en outre bénéficié de frais de déplacement pour plus de 30 000 euros.
Que penser encore des 200 000 euros annuels alloués à la mystérieuse association Échange et Diffusion de Savoirs, qui organise des conférences plutôt onéreuses. La CRC se livre par ailleurs à une analyse complexe des défauts de contrôle des subventions d’investissement, particulièrement dans le domaine de l’action sociale.
Un certain Bernard Barresi
Le gros point noir de ce rapport touche à certains marchés de travaux publics et de gardiennage octroyés notamment aux sociétés Alba Sécurité et ABT, connues pour leur proximité avec le grand banditisme. Alba Sécurité, qui englobe d’autres sociétés adjudicataires, était en effet gérée jusqu’à sa liquidation en 2010 par la compagne de Bernard Barresi, l’un des parrains présumés du milieu local. Quant à ABT, au cœur de l’affaire Guérini (notamment dans le dossier des maisons de retraite), il semble établi par la procédure Duchaine que cette société de travaux publics – elle aussi en liquidation – était supervisée en sous-main par ce même Bernard Barresi, par ailleurs considéré comme un proche d’Alexandre Guérini, le frère du président du conseil général. Le verdict de la chambre est sévère. La CRC note que ces marchés “révèlent une forte dispersion des offres et des prix unitaires aberrants qui auraient dû constituer de possibles pratiques anticoncurrentielles. Ils dénotent également un suivi insuffisant de la sous-traitance”.
Qui a favorisé l’immixtion d’ABT et d’Alba Sécurité dans l’institution ? Si les juges ne se prononcent pas sur ce point sensible, ils ont désormais transmis le bébé au parquet de Marseille aux fins d’y donner les suites judiciaires appropriées. L’analyse du marché du collège Monticelli relève ainsi une sorte de dumping sur certains prix proposés par ABT. A contrario, de prétendus concurrents ont proposé des prix caricaturalement trop élevés, ce qui laisse penser à certains arrangements suspects.
“Je ne connais pas ce monsieur”
Encore une fois, quelle fut la responsabilité de Jean-Noël Guérini dans ces attributions présumées douteuses ? La question se pose autour de l’attribution à Alba Sécurité du gardiennage de l’hôtel du département et d’autres marchés pour un total de plus de 7 millions d’euros. Sur l’un des lots, la CRC s’interroge : “Le prix proposé ne respecte pas les dispositions de la convention collective (prix inférieur au coût de revient minimum d’un agent de sécurité privé) ni celles du cahier des charges, la décomposition du tarif étant de surcroît aberrante.” Le document relève une autre anomalie : sur le marché octroyé le 11 août 2009, Alba Sécurité était la seule candidate…
Questionné hier sur ses relations avec Bernard Barresi, Jean-Noël Guérini eut une réponse péremptoire : “Je n’ai rien à dire. Je ne connais pas ce monsieur.” Quant au choix d’Alba Sécurité, il affirme que ces marchés de gardiennage ont été octroyés avec l’agrément de la préfecture et du parquet de Marseille. Ce qui laisse songeur.