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Le théâtre Les Ateliers dépose le bilan

Le théâtre Les Ateliers est dans une situation critique. La SARL qui gère ce valeureux théâtre lyonnais dédié aux écritures contemporaines doit déposer le bilan aujourd’hui. Un long bras de fer doublé d’un dialogue de sourd entre le directeur-fondateur de ce théâtre privé et les pouvoirs publics qui le financent a sapé toute solution d’avenir pendant plus d’un an. Alors que la situation semblait se dénouer, Gilles Chavassieux acceptant enfin de passer la main à Joris Mathieu, la survie du théâtre a été compromise par des incertitudes budgétaires : l’État hésite à s’engager. À quelques mois des élections municipales, la liquidation d’un théâtre au cœur de Lyon ne peut-elle susciter qu’un silence gêné ?

À Lyon, les fins de carrière des directeurs-fondateurs de théâtre – de Roger Planchon au TNP à Maurice Yendt au TJA – finissent mal, en général. Au théâtre Les Ateliers, cette fatalité se double d’une complication : le théâtre, créé en 1975 par une bande de copains emmenée par Gilles Chavassieux, militant du théâtre et forte tête, est une structure privée. Une SARL et une Scop se partagent la propriété du bail de cet ancien théâtre de Guignol de Lyon. Si État, Ville, Région et Département (ce dernier s’est retiré depuis) apportent 700 000 euros annuels environ (chiffres 2012), Gilles Chavassieux est bel et bien chez lui. Alors, comment lui demander de partir quand on estime qu’à l’approche des 80 ans il serait grand temps pour lui de passer le relais ?

Gilles Chavassieux avait pris les devants en 2008 en partageant la direction du théâtre avec Simon Delétang, puis en lui confiant début 2012 la pleine direction artistique du lieu. Mais le metteur en scène a jeté l’éponge en septembre 2012, sans doute peu à l’aise dans les fonctions de chef d’équipe, coincé par des contraintes budgétaires et lassé d’avoir toujours "le vieux sur le dos". Car, si Gilles Chavassieux n’est plus directeur, il reste cogérant et vient quotidiennement au théâtre, relégué dans un bureau du 3e étage mais bien présent. "Il est toujours là. C’est sa maison, son projet de vie", constate Vanina Chaize, l’une des trois derniers salariés du théâtre.

Imbroglio juridique ?

Au départ de Simon Delétang, Gilles Chavassieux questionne les pouvoirs publics sur leurs intentions et se met en tête de chercher un nouveau successeur : Philippe Delaigue. Mais les tutelles s’entendent sur une autre stratégie : "d’abord régler le problème juridique, ensuite aborder le projet artistique", résume Georges Képénékian, adjoint à la culture à la Ville de Lyon. En d’autres termes, le départ de Gilles Chavassieux est un préalable.

Méfiant, le directeur veut être associé au choix de son successeur avant de partir, alors que les pouvoirs publics estiment que ce choix relève de leur seule responsabilité : qui paie décide. Ils pensent à Joris Mathieu, qui avait été recalé pour la direction du théâtre du Point-du-Jour avec un séduisant projet de lieu de création dédié aux arts numériques.

"Deux légitimités sont à l’œuvre : le gérant de la Scop, titulaire du bail, et les tutelles qui financent. Comment travaille-t-on ensemble pour assurer la pérennité du lieu ? Si chacun fait son petit programme de son côté, ça ne marche pas. Or, on ne s’est jamais mis autour de la table pour se dire clairement les choses", résume maître Pierre Fronton, avocat de la Scop.

Le 10 avril, les pouvoirs publics rencontrent les deux candidats à la direction des Ateliers, Joris Mathieu et Philippe Delaigue, puis tardent à donner leur réponse. Deux mois plus tard, "ne souhaitant plus être (…) le protagoniste de cet inélégant et triste jeu de dupes", Philippe Delaigue se retire, mais le nom de Joris Mathieu n’est toujours pas annoncé. "Gilles Chavassieux bloquait en voulant rester gérant", justifie Bertrand Munin, directeur régional des affaires culturelles (Drac) adjoint.

Car, parallèlement, Gilles Chavassieux négocie les termes de son départ. Ses exigences paraissent exorbitantes, au vu de la situation du théâtre et des finances publiques. Il demande 40 000 euros et trois semaines par an pour ses créations. "C’est le jeu des négociations, plaide Pierre Fronton. Gilles Chavassieux doit partir dignement."

En juillet, face à cette situation de blocage, les pouvoirs publics mettent à exécution la menace de ne pas reconduire les subventions du théâtre. Le gérant décide de poursuivre l’activité du théâtre en accueillant des spectacles à la recette. Au risque de creuser le déficit. Depuis septembre, le théâtre tourne au ralenti et engrange de maigres recettes tandis que les charges de structure, certes allégées, continuent de peser. La démarche a quelque chose de suicidaire. Et beaucoup murmurent que l’obstination de Gilles Chavassieux signe la mort du théâtre : "On a le sentiment qu’il a tout fait pour couler le lieu : “après moi le déluge”."

Une partie de poker menteur ?

"On est tous d’accord pour partir, assure Pierre Daclin, membre fondateur de la SARL. Mais on est coincés par les pouvoirs publics, qui ne nous donnent pas de réponse claire et précise. Il y a une grande incohérence des pouvoirs publics, qui seraient malvenus de tout mettre sur le dos de Gilles. Ce qui nous importe à tous, c’est la pérennité de ce lieu en tant que théâtre, et pas d’en faire un cabaret, un café-théâtre ou je ne sais quoi", poursuit-il.

Gilles Chavassieux n’en peut plus de "cette partie de poker menteur". Au festival d’Avignon cet été, il a longuement discuté avec Joris Mathieu, qui lui a expliqué sa démarche, au croisement de la littérature, des technologies et du théâtre. Gilles Chavassieux l’a invité en octobre à rejoindre la Scop qui gère le théâtre. De leur côté, les salariés des Ateliers assurent partager "une vraie excitation à travailler avec Joris Mathieu et défendre son projet".

Acculé par les difficultés financières du théâtre, Gilles Chavassieux assure vouloir passer la main, manifestement sans conditions. Mais c’est sans doute trop tard. Lundi 18 novembre, une assemblée générale extraordinaire de la SARL a conclu "à la nécessité de déposer les comptes au tribunal de commerce", confirme Pierre Daclin. Ce mercredi, doit se dérouler une assemblée générale de la Scop, lors de laquelle Gilles Chavassieux devrait abandonner la gérance au profit de Joris Mathieu.

Mais, pour Joris Mathieu, il n’est évidemment pas question de s’engager "tant que les choses ne sont pas clarifiées financièrement". Joris Mathieu sait qu’avec un déficit à combler d’au moins 200 000 euros, ce sera très dur, même si les pouvoirs publics maintiennent leurs financements. "La Région a prévu d’assurer la continuité de ses financements",promet Isabelle Chardonnier, directrice de la culture au conseil régional. "Si tout le monde joue le jeu, il pourra rattraper le déficit et remettre en place une activité, après une année de transition en 2014", poursuit-elle. La Ville de Lyon est sur la même ligne.

Le silence gêné des acteurs de la culture

Mais l’État, via sa direction régionale des affaires culturelles, n’apporte aucune garantie quant à sa subvention annuelle de 300 000 euros. "En l’attente de la dotation 2014, qui arrivera début décembre, nous n’avons aucune certitude", explique Bertrand Munin, Drac adjoint. En sus de ces difficultés budgétaires, la Drac doute que le volume d’activité – forcément au ralenti en 2014 – permette de justifier une subvention d’un tel montant. En d’autres termes, pourquoi verser de l’argent pour combler un déficit quand il n’y en a pas assez pour créer ? "Parce qu’il s’agit de la survie d’un théâtre, bon sang !" s’emporte Georges Képénékian, adjoint à la culture à la Ville de Lyon, qui rappelle qu’en coupant les subventions aux Ateliers, les pouvoirs publics prenaient le risque de provoquer un déficit.

Mais qui se préoccupe aujourd’hui de la survie d’un théâtre ? Pas grand monde, manifestement. À quelques mois des élections municipales, aucun élu ne s’est fait entendre. Même les artistes et directeurs de structures culturelles sont étrangement silencieux. Beaucoup sont gênés par l’obstination jugée "pathétique" de Gilles Chavassieux. Mais certains confient que, au nom de la justesse de la répartition territoriale des moyens ou au vu des contraintes budgétaires actuelles, le sacrifice des Ateliers ne les ferait pas pleurer. De fait, la plupart osent à peine avouer qu’ils pensent avant tout à leurs propres galères : si les pouvoirs publics remettent au pot pour Les Ateliers, où sera pris l’argent, sinon dans leurs propres poches ?

Responsable des relations publiques aux Ateliers, Vanina Chaize se dit "chagrinée par le très petit nombre de retours et de témoignages de gens de théâtre. Quand je pense à toutes les compagnies, tous les jeunes professionnels qui ont été accueillis et soutenus par ce théâtre !" se désole-t-elle.

Seule bonne nouvelle dans cette triste débinade : la création, le 23 octobre dernier, d’une association des Amis du théâtre Les Ateliers.

"Nous voulons défendre la pérennité de ce théâtre et de son projet autour des écritures contemporaines",explique le président de l’association, Nicolas Jouvenceau. Ce professeur de philosophie au lycée Ampère fait le lien entre le sujet de sa thèse (L’importance d’un travail sur la langue pour éviter l’aliénation politique) et la mission des Ateliers : "L’appauvrissement linguistique, sémantique et syntaxique peut être préjudiciable à la démocratie : une jeunesse apathique, incapable de trouver les mots pour exprimer ses désirs et ses révoltes, c’est potentiellement une dérive vers les extrêmes. Or, le théâtre Les Ateliers est un instrument de liberté linguistique tout à fait essentiel. Il faut faire entendre l’importance politique au sens noble qu’a ce théâtre dans la ville !" explique-t-il. Heureuse irruption du sens dans un débat obnubilé par les chiffres. Si les pouvoirs publics et les gens de culture se noient dans les comptes, des citoyens leur rappellent la noblesse de la politique.

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