ENTRETIEN – Habitué aux dossiers sensibles de la République, l’ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que la procédure de révision actuelle ne donne pas “unanimement satisfaction”.
Bruno Cotte a occupé pendant plus de quarante ans des postes sensibles de magistrat. Ce natif de Lyon a été, notamment, affecté à la section financière du parquet de Lyon, nommé à la chancellerie sous Badinter puis désigné procureur de Paris pendant cinq ans, entre 1990 et 1995. Il y connaît de multiples affaires, de Pechiney au sang contaminé. Il devient par la suite magistrat à la Cour de cassation. C’est à ce moment-là qu’il connaît nombre de demandes en révision : Patrick Dils en 2001, Omar Raddad ou l’affaire Seznec. Depuis 2008, Bruno Cotte est juge à la Cour pénale internationale, à La Haye.
Lyon Capitale : La justice peut-elle se tromper ?
Bruno Cotte : Oui, bien sûr ! Elle est loin d’être parfaite et personne, malgré toutes les précautions qui peuvent être prises, n’est à l’abri d’une erreur. L’important est de tout faire pour éviter qu’elle se trompe. Cela suppose que l’on améliore sans cesse la formation des magistrats et des enquêteurs, et que l’on favorise le développement de la police scientifique et des techniques d’analyse, car c’est bien souvent lors des premières constatations que tout se joue. Si, une fois qu’une condamnation a été prononcée et que toutes les voies de recours ont été rejetées, il apparaît qu’une erreur a pu être commise, il s’impose alors de tout mettre en œuvre pour la réparer. Mais il faut d’abord s’assurer qu’une erreur a bien été commise, car les décisions de justice devenues définitives ne peuvent être remises en cause que de manière exceptionnelle. C’est l’objet de la procédure de révision qui, le plus souvent, impliquera que l’on démontre l’existence d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu lors des débats qui ont précédé la condamnation et qui, l’un comme l’autre, sont de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.
Est-il nécessaire de réformer la procédure de révision des condamnations pénales ?
Dans la mesure où la procédure de révision telle qu’elle est mise en œuvre depuis une loi du 23 juin 1989 semble ne pas donner unanimement satisfaction, il faut tenter de comprendre pourquoi et, une fois diagnostiquées les raisons, il convient, si c’est possible, de l’améliorer. Car le but poursuivi n’est pas mince... c’est de mettre fin à une éventuelle erreur judiciaire !
Depuis 1989 aussi, la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg, a dégagé un certain nombre de règles avec lesquelles notre législation doit se mettre en conformité. Une mission d’information de l’Assemblée nationale est précisément en train d’examiner les améliorations qui pourraient être apportées aux textes en vigueur. Ce n’est pas une tâche aisée !
En effet, ce n’est pas parce que l’on soutient qu’une erreur a été commise ou que l’on invoque un fait nouveau ou un élément inconnu lors des débats que tel est obligatoirement le cas... Je le répète : il faut d’abord s’en assurer, au terme d’une démarche juridique, encadrée par des textes, d’une démarche objective et qui se tienne à une juste distance du climat très émotionnel qui entoure parfois la présentation de certaines requêtes en révision. Le métier de juge, dans le contexte très particulier des procédures de révision, n’est pas facile, et les décisions prises, quelles qu’elles soient, doivent être bien motivées pour être aussi bien comprises que possible.
Faut-il redéfinir ce “doute” que pourrait faire naître un fait nouveau ou un élément inconnu lors des débats ?
Il s’agit là d’une question très importante et je sais que certains souhaiteraient qualifier ce doute, le situer en quelque sorte sur une échelle d’importance. Je ne suis pas sûr que cela s’impose, car il faudra alors s’engager dans une double démarche : est-ce que je doute ? Puis : quel est le degré de ce doute ?
À mes yeux – mais je vous donne un avis très personnel –, rien n’est plus subjectif que le doute, et chacun en a sa propre perception. Aussi ne s’impose-t-il pas, me semble-t-il, de trop “intellectualiser” cette notion : si je doute, je doute, et je dois alors en tirer toutes les conséquences dans ce cadre bien spécifique qu’est celui d’une procédure de révision.
J’ajouterais que la proposition de loi débattue au Parlement en 1989 mentionnait que le doute devait être “sérieux” puis, au cours des débats, le Parlement a estimé devoir supprimer ce qualificatif. L’Assemblée nationale, si elle est saisie prochainement d’une proposition de réforme, aura, je pense, à se prononcer à nouveau sur cette délicate question.
Votre parcours de magistrat vous a fait connaître de différentes affaires de révision : Agret, Dils, Seznec... Que pouvez-vous nous en dire ?
Pour les affaires que j’ai connues en qualité de président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant comme Cour de révision, je suis tenu par le secret du délibéré, ne l’oubliez pas. Il demeure, c’est vrai, que ma vie professionnelle m’a conduit à connaître d’un certain nombre d’affaires de révision. Il s’agit, notamment en matière criminelle et lorsqu’ont été prononcées des peines de longue durée, de dossiers difficiles, juridiquement et humainement difficiles. On voit en effet se heurter des logiques bien différentes : celle d’un accusé qui veut voir dire qu’il a été condamné à tort et qui a parfois recours à des moyens extrêmes pour tenter d’en convaincre. Souvenez-vous à cet égard – j’étais alors directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice – de M. Roland Agret, condamné par la cour d’assises du Gard, qui était allé jusqu’à s’automutiler à plusieurs reprises et qui, au terme d’une procédure de révision, sera en définitive acquitté par la cour d’assises du Rhône en 1985.
Mais il y a aussi la logique des victimes et de leurs proches, qui voient avec effroi se rouvrir un dossier qu’ils s’efforçaient peut-être d’oublier. À cet égard, je pense à l’affaire de M. Patrick Dils, que j’ai connue au stade de la commission de révision, lorsque j’étais avocat général à la Cour de cassation et qui, au terme d’une procédure de révision complexe, sera lui aussi acquitté, par la cour d’assises du Rhône.
Et puis il y a encore la logique bien particulière de l’opinion publique, qu’alimentent, si je puis dire, des comités de soutien et certains organes de presse. J’ai également eu à connaître, au stade de la Cour de révision, des requêtes présentées par M. Omar Raddad et au nom de M. Guillaume Seznec. Après un travail très approfondi, la cour, au terme de ses délibérés, a rejeté ces deux requêtes. Elle s’en est expliquée en motivant longuement ses arrêts. D’évidence, ils n’ont pas été compris par tous. La démarche juridique, inévitablement un peu aride, et l’émotion qui entourent la présentation de certaines requêtes s’avèrent en réalité guère conciliables. C’est regrettable et cela demande, de la part des professionnels du droit et de la presse spécialisée, un effort pédagogique important et objectif. D’une certaine façon, n’est-ce pas ce que vous faites aujourd’hui ?
Durant les auditions auxquelles a procédé la mission d’information parlementaire, certains avocats ont déclaré que les juges de la Cour de révision ne connaissaient pas le dossier... Quelle est votre réaction ? Comment travaillent les magistrats ?
De tels propos me surprennent – le mot est très faible – et ceux qui les tiennent connaissent bien mal la Cour de révision et celles et ceux qui y siègent. Ils font aussi peu de cas de la conscience professionnelle des magistrats de la Cour de cassation ! Sachez-le, on n’arrive pas à une audience de la Cour de révision, pour débattre de la question de savoir si une erreur judiciaire a été commise, les mains dans les poches. Chacun a travaillé avant, étudié la requête en révision, les arguments qu’elle développe, le dossier de la procédure initiale ou les pièces utiles de ce dossier. Le conseiller rapporteur, pour sa part, y a consacré, bien sûr, plus de temps encore puisqu’il est censé “faire rapport” à la cour. Dans certaines affaires, il est même arrivé qu’il soit déchargé de toute autre tâche pendant plusieurs semaines, pour ne se consacrer qu’à ce dossier. Pensez-vous aussi que le président de la cour puisse présider correctement l’audience et animer le délibéré qui suit sans avoir pris une connaissance complète du dossier ? Soyons un peu sérieux, voulez-vous !
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Cet article est extrait d’un dossier paru dans Lyon Capitale n°727 (novembre 2013).
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Tout notre dossier sur les erreurs judiciaires et la révision de procès au pénal est en ligne ici.