Judith Butler
Judith Butler © DR

L’“idéologie du genre”, un repoussoir polémique

Comment les études sur le genre en sont venues à être dénoncées en France comme une “idéologie” suite à une directive de l’Éducation nationale concernant les manuels de biologie.

Tout a commencé le 30 septembre 2010. Le bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale incite alors les professeurs de biologie à distinguer l’identité sexuelle (mâle/femelle), l’orientation sexuelle (homo/hétéro) et la représentation sociale du genre (masculin/féminin) dans leurs cours. Certains manuels (Bordas, Hachette, Hatier...) s’adaptent, induisant que ces trois facettes peuvent se combiner de toutes les façons possibles et qu’il n’y aurait pas de lien essentiel entre les unes et les autres. Des associations de parents et organisations catholiques dénoncent une négation pure et simple de la différence des sexes, qu’ils assimilent à l’irruption d’une “théorie du genre” à l’école.

La polémique resurgit à la rentrée 2011 : 80 députés UMP demandent ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Luc Chatel, d’interdire ces manuels, arguant que “l’éducation à sexualité doit avant tout reposer sur une démarche éducative qui répond à la fois à des questions de santé publique et à des problématiques concernant les relations entre garçons et filles, non à des théories fumeuses”.

La controverse explose lors du débat sur le mariage gay, entre 2012 et 2013 : des militants de la Manif pour tous accusent le Gouvernement de soumettre la société à une “idéologie du genre” qui, selon eux, pourrait favoriser le développement de troubles de l’identité sexuelle chez l’enfant. Elle fédère depuis de larges mouvements d’opposition au Gouvernement.

Études/idéologie

Le problème de ce débat, c’est que chacun voit midi à sa porte : pour de nombreux partisans, les études sur le genre consistent à analyser la représentation sociale du masculin et du féminin sans nier la différence sexuelle. Pour leurs opposants, c’est une idéologie laissant entendre que le sexe n’a pas de fondement naturel et qu’on peut en changer selon son bon vouloir. Dans les deux cas, c’est réducteur, voire caricatural : il y a de tout dans les études sur le genre ; certains chercheurs admettent l’existence d’une différence sexuelle, d’autres la nient, et beaucoup ont une position plus nuancée.

L’anthropologue américaine Gayle Rubin, qui fut l’une des premières à utiliser le concept, dans les années 1970, distingue l’identité biologique et les stéréotypes sexuels : “Le genre est une division des sexes socialement imposée, écrit-elle. Il est le produit des rapports sociaux de sexualité (...). Ils transforment donc des mâles et des femelles en “hommes” et en “femmes”.” D’autres universitaires sont davantage enclins à tout mettre dans le même sac.

“Si l’on mettait en cause le caractère immuable du sexe, glisse Judith Butler, on verrait peut-être que ce que l’on appelle “sexe” est une construction culturelle au même titre que le genre ; en réalité, peut-être le sexe est-il toujours déjà du genre et, par conséquent, il n’y aurait plus vraiment de différence entre les deux.”

De multiples variantes existent ! Leur seul point commun, éventuellement, serait de remettre l’identité sexuelle en question plutôt que de l’admettre comme une évidence, mais aucune idéologie commune n’en découle. “Je ne sais pas ce que serait LA théorie du genre, renchérit la philosophe Fabienne Brugère, spécialiste du féminisme politique. Pour la recherche scientifique, le concept de “genre” est un champ d’investigation, pas une valeur ou un dogme.” C’est comme la philosophie morale, par exemple : elle ne défend pas une conception du bien et du mal, mais elle les analyse toutes, même si certains théoriciens ont des positions tranchées.

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Cet article est paru dans Lyon Capitale 725 (septembre 2013).

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