Ukraine : “Chaque jour est historique depuis trois mois”

INTERVIEW – Samedi 22 février, le Parlement ukrainien a voté la destitution du président Ianoukovitch, qui s’est réfugié dans l’est du pays. Dans la journée, le palais et la résidence présidentiels ont été envahis par les manifestants. Dans la soirée, son opposante historique, Ioulia Timochenko, a été libérée et acclamée par la foule à Maïdan, la place de l’Indépendance de Kiev. Porte-parole* du mouvement Euromaidan, qui embrase l’Ukraine depuis trois mois, Kateryna Maksym revient pour Lyon Capitale sur cette journée décisive et le rôle fondamental de la société civile dans la chute du président.

De notre envoyé spécial à Kiev (Ukraine).

Lyon Capitale : Samedi 22 février, coup sur coup, le Parlement ukrainien a destitué Viktor Ianoukovitch et libéré son opposante historique, Ioulia Timochenko. Peut-on parler d’un jour historique en Ukraine ?

Kateryna Maksym : Chaque jour est historique depuis trois mois ! C'est sûr que chacun de nous salue et attendait la destitution du président. Mais il faut que tout le monde comprenne qu'il y a encore beaucoup de travail pour changer, réformer le système. Sur la libération de Ioulia Timochenko, on ne pense pas que Maïdan l'attendait. On pense plutôt que c'est un acte politique qui a été initié par le parti de Ioulia Timochenko au Parlement.

Arrive-t-on à la fin de cette révolution ukrainienne ?

Tout dépend ce que l'on entend derrière le mot "révolution". Pour le moment, je ne peux pas dire que l'on peut fêter notre victoire. Qu'il y ait urgence à quitter Maïdan. En plus, on a l'annonce de Ianoukovitch aujourd'hui, disant que les événements à Kiev sont contre l'Etat. Il y a des gens qui sont prêts à faire la fête, mais il est trop tôt pour annoncer victoire, ce sont seulement des premiers succès. En réalité, il y a les déclarations sans les actions. Nous allons initier des élections (NDLR : le 25 mai, le même jour que les élections européennes), mais qui va le faire et comment va-t-on s'organiser ? Et une autre question : qui va punir les responsables des violences ? Pour l'instant, rien n'est fait.

Si je résume, vous avez mis la vodka au frais, mais il n’est pas encore temps de la boire...

(Rires.) Ça va prendre du temps ! Il est très difficile de donner un calendrier, car, chaque heure, la situation peut changer. Quand j'ai commencé à travailler dans le mouvement Euromaidan, je venais du marketing et j'ai dit qu'on devait élaborer une stratégie. Les gens m'ont répondu que c'était impossible. Et j'ai vite compris qu'ici, une stratégie, ça ne marche pas !

“Nous avons vu la naissance d’une société civile en Ukraine. Elle a joué un rôle clef dans cette révolution”

La société civile a-t-elle eu un rôle très important dans la chute du président Ianoukovitch ?

Nous avons vu la naissance d'une société civile en Ukraine. Elle a joué un rôle clef dans cette révolution. Sans les leaders de l'opposition, il n'y aurait pas eu un tel succès. Mais nous pouvons dire, en effet, que Maïdan a été dirigée par la société civile.

Euromaidan est une véritable mosaïque, on y recense près de 100 associations. Mais qui sont les personnes qui se mobilisent dans cette société civile ? Des pro-Européens ? Des habitants de Kiev, des provinciaux ? Des personnes plutôt éduquées, ou non ? Qui sont-ils ?

Si je cite les études des sociologues, plus de 70 % des manifestants à Maïdan ont une éducation. La moitié vient de l'Ukraine de l'Ouest, l'autre moitié de l'Est. Au début des manifestations, on avait plus de femmes, mais, après les dispersions, il y avait plus d'hommes. La moyenne d'âge est de 30-35 ans. Si on parle des organisations, ce sont plutôt des jeunes, certains ont 25 ans, et ils sont en majorité pro-Européens.

Lorsqu’on observe les camps de fortune, les associations, les réseaux sociaux, on est surpris de voir une telle organisation autour d’un chaos ambiant. Comment réussissez-vous à fédérer Maïdan ?

Il y a peut-être une culture de l'organisation en Ukraine. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Ukrainiens s'entraidaient dans les villages pour construire les maisons. On peut dire que les Ukrainiens ont su s'organiser en 2004, pendant la Révolution orange. Mais ici, en Ukraine, personne n'attendait une telle organisation.

La fin est proche pour Viktor Ianoukovitch. Si la foule quitte la place de l’Indépendance demain, l’esprit de Maïdan, cette flamme qui s’est embrasée pendant trois mois, va-t-il subsister ?

Certaines associations vont survivre et d'autres, bien sûr, vont mourir. De notre côté, nous avons accordé nos actions avec d'autres organisations, nous avons initié un plan de réformes. La question, maintenant, c'est qui va le mettre en place et quel politicien va l'appliquer.

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* Kateryna Maksym est l'une des nombreuses porte-parole de Maïdan, qui possède des milliers de visages. Elle représente le "Secteur civil", l'une des plus grandes organisations de la place de l'Indépendance, très active sur les réseaux sociaux.

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