André Bouchut, porte-parole de la Confédération paysanne Rhône-Alpes, et sa collègue de Provence-Alpes-Côte-d’Azur ont envoyé une lettre ouverte aux candidats aux élections européennes le 19 mai. Ils les exhortent à ne pas voter les accords de libre échange transatlantiques et à réformer la PAC en mettant fin “aux aides injustes à la surface”. Nous en publions ci-dessous les détails.
Le 19 mai 2014
Lettre ouverte aux candidats de la circonscription du Sud-Est
“Madame, Monsieur,
Vous êtes candidat à la fonction de député européen. Si vous êtes élus, vous devrez vous positionner sur un certain nombre de sujets agricoles. Au travers de ces décisions, vous influerez non seulement sur l’agriculture européenne, l’une des plus importantes politiques de l’UE, mais aussi sur l’emploi, l’environnement, l’alimentation et la santé. Ces enjeux sont essentiels pour l’avenir de l’Europe.
Les Etats membres achèvent en ce moment leurs travaux sur l’application de la Politique agricole commune. Sous des airs de fausse équité, la PAC 2015-2020 ne répond pas à ses objectifs. Malgré de bons outils (majoration, convergence…), ni la souveraineté alimentaire, ni l’emploi paysan, ni l’environnement ne seront favorisés par cette nouvelle mouture.
Au cours de votre mandat, vous devrez vous prononcer sur la prochaine PAC (2020). Vous pouvez changer l’orientation de la politique agricole européenne ! Arrêtons de courir derrière les chimères des exportations. Il faut promouvoir la relocalisation des systèmes, le respect de l’environnement et la vie des territoires.
Une PAC qui favoriserait le revenu et l’emploi paysan devrait reposer sur la régulation des prix et la maîtrise des productions permettant d’assurer la stabilité des quantités produites et des prix à la production.
La PAC 2020 doit mettre fin aux aides injustes à la surface. Elle devra mettre en place des aides significatives ciblées aux productions fragilisées dégressives et plafonnées à l’actif, ainsi que des aides aux zones défavorisées et aux petites fermes, essentielles au dynamisme des territoires.
En prenant les bonnes décisions sur les politiques publiques, notamment la PAC, vous pourriez être réellement acteur d’un changement dans l’orientation de l’Europe, pour que la construction communautaire se fasse au profit du plus grand nombre et non pas de quelques multinationales bien placées.
Mais cela ne sera pas simple car vous devrez aussi être extrêmement fermes face aux différents accords de libre-échange qui vous seront proposés. Entre autres, l’accord avec le Canada devrait vous être soumis sous peu, et celui avec les Etats-Unis devrait être voté avant la fin de votre mandat. Si vous les laissez passer, tout le travail que vous aurez accompli par ailleurs ne servira à rien. Au-delà, de nombreux autres accords de libre-échange avec l’Europe sont en discussion ou en cours de ratification et doivent faire l’objet d’une grande vigilance : Conseil de coopération du Golfe, Chine, Inde, Japon, Jordanie, Malaisie, Mercosur, Singapour, Thaïlande, Tunisie, Vietnam.
Ces accords, en particulier ceux avec les Etats-Unis et le Canada, pourraient remettre en cause toute possibilité de faire évoluer l'agriculture européenne et mondiale vers des modèles plus respectueux des hommes et des ressources naturelles. Ils rendront impossible toute tentative de réglementation européenne ou nationale qui irait à l’encontre de la sacro-sainte liberté des marchés, accélérant donc la disparition des paysans, la concentration des fermes et l’industrialisation de l’agriculture.
L’accord de libre-échange avec les USA baissera voire supprimera les droits de douanes, globalement supérieurs en Europe (notamment pour les produits laitiers et les viandes). L’Europe devra s’engouffrer davantage dans le modèle agro-exportateur au détriment de la relocalisation des productions et de la souveraineté alimentaire. Les aides de la PAC risquent d’être la cible d’attaques pour concurrence déloyale par les Etats avec lesquels nous aurons signé les accords.
L’harmonisation des normes sanitaires, sociales et environnementales se fera par le bas, au détriment des paysans et des consommateurs.
D’ailleurs, on tente déjà d’anticiper la ratification des accords. La Commission européenne a, par exemple, cédé à la pression des Etats-Unis, en 2013, en autorisant l’utilisation de l’acide lactique sur les carcasses de bovins.
De la même manière, pour les poulets décontaminés à l’acide péroxyacétique, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments) vient de déclarer qu’ils ne présentent pas de risque sanitaire pour les consommateurs européens.
Autre exemple, pour les OGM, il vous sera proposé de faciliter leur autorisation au niveau européen. En échange, les Etats pourraient les interdire sur leur sol (en négociant avec les industriels semenciers). Mais, une fois les accords ratifiés, quel pouvoir auront-ils face aux multinationales ?
Les accords ne sont donc pas encore signés que les normes régressent déjà ! Et les points sensibles ne manquent pas : indications géographiques protégées, hormones de croissance, traitement au chlore, clonage, réglementations sur les pesticides…
Autre outil au service des multinationales : les droits de propriété intellectuelle (brevet, droit d’obtention végétale…) seront renforcés et élargis. En ce qui concerne les semences, une nouvelle réglementation Commercialisation des semences vous sera proposée. Vous aurez donc la possibilité de permettre clairement aux paysans de ressemer et d’échanger leurs semences, mais aussi de préserver les semences des contaminations par des brevets ! Pourtant, encore une fois, un travail en ce sens serait immédiatement remis en cause par les accords de libre-échange. En effet, tout agriculteur qui n’aura pas acheté ses semences risque d’être considéré comme contrefacteur à la demande des multinationales. Les accords avec le Canada prévoient d’ailleurs un ensemble de mesures draconiennes : saisies ou destruction des outils de travail et des récoltes, comptes bancaires gelés, obligation de cesser de travailler avec des semences de ferme ou paysannes.
L’élevage devrait être le secteur agricole le plus impacté par ces accords. On l’a compris, les normes sanitaires sont progressivement assouplies pour laisser rentrer en Europe le bœuf aux hormones ou le poulet chloré, et ce avec peu ou pas de droits de douanes. Actuellement, l’Europe n’importe quasiment pas de bœuf et de poulet des USA, et l’industrie volaillère américaine compte sur 600 millions de dollars d’exportation en Europe avec la signature des accords. L’élevage est un secteur très sensible, particulièrement en France, et ne pourra résister à une telle concurrence !
Enfin, à l'heure actuelle, la majorité des accords signés ou en cours de négociation font appel à un mécanisme dit de règlement des différents Investisseur-Etat. Ce mécanisme déjà présent dans l'accord UE-Canada, et prévu dans celui avec les Etats-Unis, donne la possibilité aux entreprises de porter plainte contre un Etat ou une collectivité si elle considère qu'une réglementation entrave ses investissements.
C’est sur cette base que des investisseurs européens ont attaqué l’Egypte pour avoir osé augmenter son salaire minimum ou qu’une entreprise américaine demande 250 millions de dollars au Canada en raison de son moratoire sur la fracturation hydraulique.
Les accords de libre-échange ne laisseront plus de marge de manœuvre aux parlementaires européens pour construire une réglementation en faveur de l’emploi, de l’environnement et de la vie des territoires. Tout votre travail pourra être invalidé au nom du “libre-échange” !
Vous l’avez compris, votre mandat sera d’une importance capitale pour l’avenir de l’Europe et notamment de son agriculture, d’autant plus que le rôle du Parlement européen est renforcé. Le rôle de l’Union européenne doit être d’assurer à ses habitants une alimentation de qualité, de l’emploi, un environnement sain. En devenant député européen, vous devrez en devenir garant. Faire le choix d’une agriculture au service des multinationales serait aller à l’encontre de votre mission. Vous devez prendre position avant le 25 mai sur ces thèmes.
Nous nous tenons à votre disposition pour plus d’information et vous prions de recevoir nos meilleures salutations.”
Geneviève Savigny, porte-parole de la Confédération paysanne Provence-Alpes-Côte-d'Azur, déléguée à la coordination européenne Via Campesina
et André Bouchut, porte-parole de la Confédération paysanne Rhône-Alpes.