Aulas (capture d'écran)

OL Groupe, une entreprise “en péril” ?

La holding qui chapeaute l’Olympique lyonnais (OL) a publié ses comptes vendredi 25 juillet. À l’exception notable de quelques bonnes nouvelles, notamment du côté des droits télé, ils ne sont pas brillants. Au point que les opposants au Grand Stade doutent de l’avenir du club. Est-ce justifié ? Décryptage avec l’aide d’un spécialiste.

Des transferts pas encore effectués et deux bonnes nouvelles, voilà ce que l’on peut retirer de la publication du rapport d’activités annuel de l’OL Groupe, publié le 25 juillet.

1. Deux bonnes nouvelles pour l’OL

aulas ()

Pour commencer, quelques chiffres qui donnent le sourire à Jean-Michel Aulas. Les rebonds conjugués de la billetterie et des droits télé produisent un bonus de 5,4 millions d’euros en un an. Ce n’est pas négligeable. Sur le plan de la billetterie, ce résultat a permis au club olympien de claironner qu’il avait battu le record absolu du nombre de spectateurs à Gerland. Petite précision qui n’aura pas échappé aux fans, il n’y a jamais eu autant de matchs qu’en 2013-2014. Ceci explique cela : le bon parcours de l’OL en Europa League, ajouté à l’accession en finale de Coupe de la Ligue (dont trois matchs disputés sur les bords du Rhône), a boosté les comptes. Les mauvaises langues diront que ce rebond n’était que conjoncturel. Sur l’ensemble de l’exercice comptable, hors transferts, la croissance de l’entreprise est de 3 %.

Côté transferts, en revanche, le compte n’y est pas. Mais les supporters lyonnais le savaient : il faudra vendre avant la fin du mercato. Au moins un joueur à forte valeur marchande (Lacazette ou Grenier) changera de tunique. Rien de nouveau de ce côté.

En millions d'euros Saison 2013/2014* Saison 2012/2013 Variation en M € Var. %
Partenariats et publicité 19,0 21,0 -2,0 -9,5%
Billetterie 13,0 12,3 +0,7 +5,7%
Droits marketing et TV 56,2 51,5 +4,7 +9,1%
Produits de la marque 16,2 16,6 -0,4 -2,4%
Produits des activités hors contrats joueurs 104,4 101,4 +3,0 +3,0%
Produits des cessions des contrats joueurs 16,1 36,2 -20,1 -55,5%
Total des produits des activités 120,5 137,6 -17,1 -12,4%
* Chiffres provisoires, estimés et non audités.

L’avis de Pierre Rondeau

Pierre Rondeau est professeur d’économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste des problématiques de l’économie et de la sociologie sportives, en particulier du football.

“L’OL a su conserver une ferveur populaire”

Pierre Rondeau, économiste et spécialiste du football ()

“L’OL reste un club attractif et réputé, ses nombreux titres glanés dans les années 2000 l’ont fait entrer dans le cœur des Français et cela se voit sur les droits de retransmission et la billetterie. Lors de la saison 2012-2013, le club avait un taux d’affluence de 78,2 % (5e club de France) et en 2013-2014 ce taux bondit à 83,8 %, le 3e au classement des fréquentations. L’OL a su maintenir un large panel de supporters et conserver une ferveur populaire.
Concernant les droits télé, c’est la même chose. Bien que le club ait fini 5e lors de cette saison, il a touché 56,2 millions d’euros contre 51,5 millions d’euros la saison précédente malgré une 3e place au classement. Certes, les gains de l’Europa League ont joué, mais c’est surtout la réputation et l’aura du club qui ont permis une diffusion continue et permanente à la télévision. De la même manière, les gains en Coupe de la Ligue sont très faibles, seulement 1,09 million d’euros pour une place en finale ; c’est grâce à sa représentativité et sa billetterie que l’OL a pu faire des bénéfices.”

--> p. 2 : Un chiffre d’affaires en baisse constante

2. Un chiffre d’affaires en baisse constante

Malgré deux lignes en vert, le moral n’est pas au beau fixe. Avec 120,5 millions de chiffre d’affaires au 30 juin 2014, l'OL Groupe a, depuis 2008, quasiment divisé son produit d’activités par deux !

 

Une chute qui ne s’explique pas seulement par le coût du Grand Stade. L’un des plus farouches opposants au stade des Lumières, Jean Murard, de l’association Déplacements citoyens, n’y va pas par quatre chemins : “Le club est en difficulté importante.” Pour lui, c’est l’accumulation de plusieurs facteurs : “Il y a l’investissement colossal du Grand Stade à Décines, bien sûr. Mais aussi cette gestion de folie des grandeurs, sur le mode “j’achète des joueurs à des prix très élevés ou bien je propose des contrats longs avec un salaire élevé”.” Pour Jean Murard, c’est clair, “l’OL est en péril”. Mais alors, comment expliquer que le club passe chaque année sans problème l’obstacle de la DNCG* ? “Je n’en sais rien. C’est mystérieux. Je ne sais pas si vous vous rendez compte : on est sur cinq années successives de pertes. C’est incompréhensible !” s’étonne Jean Murard.

* Direction nationale du contrôle de gestion.

L’avis de Pierre Rondeau

Les dettes d’aujourd’hui sont les investissements de demain”

Pierre Rondeau, économiste et spécialiste du football ()

“Initialement, la stratégie de Jean-Michel Aulas (citée dans le livre Les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus des économistes Simon Kuper et Stefan Szymanski) était d’acheter puis de former des joueurs jeunes, à fort potentiel et à un prix d’achat très faible, puis de les revendre à un prix supérieur. Durant les années 2000, cela a parfaitement fonctionné avec Essien, Diarra ou encore Benzema. Les finances du club étaient dans le vert. Cependant, dès la fin des années 2000, la difficulté permanente à se qualifier en Ligue des champions et la hausse de la concurrence sportive en Ligue 1 ont bloqué cette stratégie.
 Aulas s’est alors tourné dans une logique de durabilité avec le projet de Grand Stade et, en même temps, a décidé de passer à la vitesse supérieure dans la construction de son club en achetant à prix d’or des joueurs de calibre international : Gourcuff, Lopez, etc.

Malheureusement, les résultats sportifs n’ont pas suivi. Depuis 2011, l’OL n’a pas participé à la Ligue des champions, compétition qui promet au moins 9 millions d’euros de gain sur l’année, quels que soient les résultats, et un million d’euros par match gagné. 
La DNCG, pourtant, maintient le club dans l’élite, malgré les pertes depuis 2008, car le club garantit une soutenabilité économique viable. Il a des recettes de billetterie, des joueurs performants représentant un actif élevé en cas de revente et une marque déposée, connue à travers l’Europe.
 Les économistes Kuper et Szymanski rappelaient, dans leur livre, qu’un club de football, par définition, ne peut pas faire faillite, sauf cas exceptionnel. Il y aura toujours des dirigeants, des chefs d’entreprise, des supporters qui, par passion, iront mettre de l’argent dans les caisses. Certes, tout le monde connaît le cas du Mans, de Strasbourg ou de Sedan, mais l’OL représente une ville de plus d’un million d’habitants et une très forte soutenabilité économique et sportive. D’ailleurs, la construction du stade des Lumières permettra d’assurer des rentrées financières importantes. Les dettes d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les résultats sportifs d’après-demain.”

--> p. 3 : Des pertes nettes depuis 2009-2010

3. Des pertes nettes depuis 2009-2010

Comme l’indique le graphique ci-dessous, l’OL Groupe perd de l’argent chaque année depuis le 30 juin 2010. Une date qui clôturait un exercice riche en transferts onéreux. Pour Étienne Tête, autre grand opposant à l’OL Land, “une société qui est en déficit est en difficulté. On est dans un modèle économique qui ne tient pas la route”.

 

Pour cet exercice, on ne peut qu’estimer ce chiffre. Pour l’association Déplacements citoyens, on serait aux environs de 20 millions de déficit, un peu plus que pour l’exercice 2012-2013 : “Le chiffre d’affaires est annonciateur d’un lourd déficit pour la cinquième année consécutive. Probablement supérieur à 20 millions. Ce qui conduirait à un total cumulé de plus de 130 millions de pertes au cours des cinq dernières années, explique ce collectif dans un communiqué.

L’avis de Pierre Rondeau

La variable “nouveau stade” ne garantit pas la hausse de l’affluence”

Pierre Rondeau, économiste et spécialiste du football ()

“Une société peut être en déficit sur une année comptable si elle présente des actifs symboliques élevés, comme les joueurs. En cas de difficulté économique, il y aura toujours la possibilité de les revendre et ainsi de récupérer sa mise sur le prix du transfert et le renoncement au salaire.
 Une entreprise peut investir, par la dette, afin de construire un projet, ici sportif, qui lui permettra de rembourser par la suite l’emprunt. En économie, on appelle cela les “stabilisateurs automatiques” de Keynes : on fait de la relance par la dette pour booster l’économie et, lorsque celle-ci va mieux, les gains permettent de rembourser les crédits de départ.


Dans le cadre de l’OL, les dirigeants s’autorisent un endettement pour financer un investissement afin de garantir des revenus conséquents par la suite. Le taux d’affluence du stade de Gerland est supérieur à 80 % pour 41 000 places ; le futur stade des Lumières aura une capacité de 58 000 places avec sûrement des tarifs plus importants en moyenne (plus de loges et de places prestige) : les gains seront donc plus élevés. 
Bien entendu, la variable “nouveau stade” ne garantit pas la hausse de l’affluence, ce sont les résultats sportifs qui jouent. Plus on gagne, plus on attire du monde et plus on gagne de l’argent. C’est un cercle vertueux. L’afflux de supporters permet une augmentation du budget et un réinvestissement dans un projet sportif conséquent.
Lyon devra donc continuer à être performant sur le plan sportif afin de garantir un effacement de sa dette, chose que le club parvient à réaliser depuis maintenant plus de quinze ans.
 On peut considérer que la dette de l’OL est une bonne dette, une dette “de relance” car elle n’est pas basée sur des actifs toxiques mais sur des projets sportifs ambitieux.”

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4. L’espoir du Grand Stade

Les supporters lyonnais doivent-ils craindre pour l’avenir de leur club ? Est-il “en péril”, comme l’affirment les opposants ?

Incontestablement, les résultats ne sont pas très bons. Le niveau médiocre de l’action OL Groupe en témoigne. Cependant, une bonne partie du déficit et de l’endettement s’explique par un investissement qui n’aura échappé à personne : le Grand Stade. Tout l’espoir de rebond du club tient dans ces deux mots.

Et c’est là que le mystère s’épaissit. Le stade, on en est maintenant sûr, verra le jour. Mais Jean-Michel Aulas n’a pas levé tous les doutes concernant l’amortissement de cet investissement colossal. On est aujourd’hui sur un rythme de croisière de près de 10 millions par mois dépensés, depuis le début des travaux de gros œuvre. Et l’OL s’est évidemment endetté.

Le Grand Stade c’est “70 millions de recettes sur cinq ans” en année de croisière, a promis le patron lyonnais à ses actionnaires. Le stade étant privé, c’est effectivement de l’argent sonnant et trébuchant qui va tomber dans la tirelire olympienne à chaque match joué à Décines. Sans oublier les autres événements (sportifs ou non) et les commerces autour (l’hôtel, le centre commercial, etc.). Mais Jean-Michel Aulas n’a jamais détaillé comment il arrivait à cette somme de 70 millions en plus sur cinq ans. Dans son dernier rapport annuel, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) écrivait au sujet des nouvelles infrastructures : “On rappellera que les pays concurrents de l’Europe de l’Ouest génèrent 25 % de leurs – importantes – ressources du “match day”, tandis que nous sommes confinés à un modeste 11 %. [La construction de stades neufs] est donc manifestement la bonne voie. Reste que les premiers résultats économiques de nos nouveaux stades ne nous apportent pas les confirmations de tendances que nous en attendions et espérions”. Étienne Tête résume la situation : “S’il est capable de générer 70 millions, il [J-M. Aulas, NdlR] pourra réussir à se désendetter. Mais il n’explique pas comment.”

Du coup, on a demandé à Olivier Blanc, directeur général adjoint de l’OL, de nous en dire plus : “Jean-Michel Aulas a effectivement déclaré qu’il espérait des recettes supplémentaires de 70 millions sur cinq ans en rythme de croisière, en décembre dernier, lors de l’assemblée générale des actionnaires. On n’a pas communiqué davantage de détails aux actionnaires, vous comprendrez donc qu’on ne peut pas vous en donner. Mais c’est une information officielle et je pense que c’est cela qui importe.” "70 millions sur cinq ans", que faut-il en déduire ? Il ne fallait pas comprendre que le stade rapportera, selon les prévisions du club, 70 millions d'euros en plus chaque année, mais 70 millions en plus étalés sur 5 années. Soit environ 14 millions d'euros en plus chaque saison, billetterie et "naming" confondus. Et encore, seulement quand le stade aura trouvé son public, d'où le "rythme de croisière" évoqué par Olivier Blanc.

L’avis de Pierre Rondeau

Le défi est de taille”

Pierre Rondeau, économiste et spécialiste du football ()

“Le risque de ne pas réaliser ces “70 millions sur cinq ans” est grand, tant il dépend surtout de la visibilité du club et de ses performances sportives. Le meilleur exemple est celui d’Arsenal qui, au sommet de sa gloire sportive, au cours des années 2000, a changé de stade pour l’ultramoderne Emirates Stadium. Or, sportivement, le club n’est plus champion depuis et a dû attendre la saison 2013-2014, soit huit ans après son déménagement, pour remporter la "Cup" anglaise. Néanmoins, Arsenal s’est à chaque fois qualifié en Ligue des champions et représente une marque connue à travers le monde. D’ailleurs, il reste à ce jour le club le plus cher d’Angleterre en terme d’abonnement, 2 540 euros par an en moyenne contre 719 euros pour l’abonnement à Lyon.


Pour l’OL, le défi est de taille. Le club devra continuer à être performant et tenter, malgré la nouvelle concurrence de Paris et de Monaco – sans oublier Marseille, Lille ou encore Saint-Étienne – de se qualifier pour les compétitions européennes tous les ans. 
Il ne suffit pas seulement d’avoir un grand stade pour le remplir, encore faut-il justifier le prix des billets. Tant que le club reste attractif sur le plan sportif, les supporters répondront présents. Mais c’est là que se situe le danger.
 Reste que le club sera, contrairement à beaucoup d’autres équipes, propriétaire de son stade. Un actif non négligeable à intégrer à sa comptabilité.”

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5. Un endettement, mais de qui ?

Un investissement tel que le Grand Stade nécessitait évidemment des emprunts à la hauteur. L’OL a révélé vendredi qu’un emprunt de 34 millions d’euros a été contracté. Il arrivera (déjà !) à échéance en 2017. Pour le reste, le club a privilégié l’émission d’obligations. Une obligation, qu’est-ce que c’est ? C’est un titre échangeable sur les marchés que l’acheteur peut transformer en part quand bon lui semble. Deux exemples parmi d’autres :

  • Le 28 février 2014, l’OL a obtenu l’émission de 51 millions de prêts obligataires auprès de Vinci (40 millions avec garantie du conseil général) et de la Caisse des dépôts (11 millions).
  • L’émission Osrane, de 78 millions d’euros hors charges. Cette émission, essentielle au plan de financement du stade, s’est révélée relativement peu efficace puisqu’elle a peu attiré de nouveaux investisseurs. C’est le groupe de Jérôme Seydoux, Pathé, pour 42 millions et Jean-Michel Aulas (via ICMI) pour 33 millions qui ont fouillé leurs fonds de tiroirs. Osrane, c’est donc à plus de 95 % Aulas et Seydoux, alors qu’ils pèsent “seulement” 72 % du capital de l’entreprise.

Résultat : pour bâtir l’écrin tant désiré par l’homme fort de l’OL, c’est moins le club qui s’est endetté que ses deux principaux actionnaires. Ce qui ne signifie pas que l’OL Groupe n’est pas endetté. Il l’est, et très sensiblement. Si l’on ne peut pas dire avec assurance, comme certains opposants, que le club lyonnais est “en péril”, on peut affirmer en revanche que le désendettement et la remise à flot des comptes seront longs. Heureusement, les supporters sont fidèles !

L’avis de Pierre Rondeau

Le pari de Jean-Michel Aulas”

Pierre Rondeau, économiste et spécialiste du football ()

“L’Olympique lyonnais a contracté une dette, par l’intermédiaire d’émission d’obligations, afin de financer le stade des Lumières, à très fort potentiel économique. Ainsi, sur l’année comptable en cours, le club est endetté. Or, dès la fin des travaux et l’ouverture du Grand Stade, le déficit sera couvert par les gains. La dette elle, restera soutenable, car le rééquilibrage des comptes permettra de fractionner le remboursement et d’alléger les charges.

C’est par exemple le cas pour les clubs espagnols et anglais qui, malgré la mise en place du fair-play financier par l’UEFA et l’explosion de leurs dettes, peuvent continuer à acheter des joueurs. Leur équilibre comptable de l’année en cours est garanti, contrairement au passif financier des années précédentes. Si je dois 100 euros à autrui mais que, sur l’année T, j’ai plus gagné que je n’ai perdu, toutes choses égales par ailleurs, je peux continuer à rembourser ma dette et à être solvable. Le Real Madrid, malgré une dette de plus de 500 millions d’euros peut débourser 80 millions pour James Rodriguez car, durant la saison 2013-2014, le club a plus gagné qu’il n’a dépensé.

C’est ici le pari de Jean-Michel Aulas et des dirigeants de l’OL : la dette continuera à être soutenable tant que la comptabilité du club sera dans le vert après 2016, date de l’ouverture du stade des Lumières. Le désendettement sera long, mais un club a une viabilité durable, il faudrait une catastrophe sportive pour que l’OL descende en Ligue 2 et perde de son aura sportive. D’ailleurs, pour Simon Kuper, “les clubs de football sont remarquablement stables”.

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