justice

Erreur de procédure : des figures du milieu en liberté

Quatre hommes fichés au grand banditisme avaient été arrêtés en février 2013 après la découverte d’une cache d’armes dans l’Ain. Ils ont été remis en liberté contre l’avis du parquet et des juges d’instruction. Où l’on reparle de la Dream Team...

La juridiction interrrégionale spécialisée (Jirs) de Lyon, qui gère les affaires de délinquance organisée les plus sensibles, voulait les garder à l’ombre en attendant un éventuel procès. Mais, lundi, la cour d’appel de Lyon a ordonné la remise en liberté de ce que l’on appelle communément des “figures du grand banditisme”, dont des anciens du fameux gang de braqueurs surnommé “la Dream Team”. Quatre hommes en tout, qui étaient détenus depuis deux ans, après la découverte d’un véritable arsenal dans un hangar de Tramoyes (Ain). Si les frères Bellanger, Karim Maloum et Jean-Marie Struffi* sont libres aujourd’hui, c’est à cause d’une “nullité de procédure”, d’après leur défense, ou d’une “divergence d’appréciation de la loi”, pour une source judiciaire. C’est selon.

Une différence d’interprétation qui a tout même le goût d’un camouflet pour la Jirs. En découvrant armes et explosifs, policiers et magistrats ont assez logiquement pensé qu’un mauvais coup se préparait : braquage(s), évasion de détenu ? Mais, après deux ans d’enquête ils peinent à le démontrer. Surtout, pour les vols “en bande organisée”, le Code de procédure pénale stipule qu’avant le procès la durée maximale de la détention provisoire ne peut dépasser deux ans.

La “nullité” a été soulevée par Me Emmanuel Marsigny, l’avocat de Daniel Bellanger, dit Babar : “Il y a eu une erreur grossière du parquet et des juges d’instruction, qui ont considéré que la mise en examen de mon client pour vol de véhicules leur permettait de dépasser les deux ans de détention provisoire, explique l’avocat. Ce n’est pas possible. J’ai interjeté appel. La chambre de l’instruction n’a pu que le constater et l’a remis en liberté.” Un coup imparable, dont trois complices présumés ont aussi profité, par ricochet…

* Jean-Marie Struffi reste cependant détenu, après avoir été condamné en décembre à Marseille à 6 ans de prison, dans une autre affaire d’association de malfaiteurs et détention d’explosifs.

Un avion attaqué à l’atterrissage

La Dream Team, l’“équipe de rêve” en anglais, c’est le nom que lui ont attribuée les policiers espagnols en référence à l’extraordinaire sélection américaine de basketball aux JO de Barcelone (avec dans ses rangs Michael Jordan, Magic Johnson, etc.). Considérée à son époque, c’est-à-dire dans les années 1990-2000, comme “la bande la plus dangereuse d’Europe”, selon Interpol, l’autre Dream Team s’est illustrée à travers une série d’attaques de fourgons blindés et de “centres forts”, ces petits Fort Knox où les compagnies de transport de fonds stockent l’argent en transit vers la Banque de France. Des cibles de choix pour ces braqueurs émérites, qui leur donnaient l’assaut à grand renfort d’explosifs et de camions à béton, pour défoncer les portes blindées.

Sans oublier ce singulier et incroyable fait d’armes qui remonte à août 1996 : un Airbus A320 stoppé à l’atterrissage sur le tarmac de l’aéroport de Perpignan et vidé de sacs remplis de pesetas. Leurs coups étaient toujours audacieux, millimétrés et menés façon commando. Les gangsters, gonflés, se savaient sous surveillance policière constante mais, le moment venu, disparaissaient des radars pour “taper” au nez et à la barbe des flics de l’antibanditisme.

“Cette équipe particulièrement organisée”, selon l’élite de la PJ française, avait la particularité de recruter ses membres un peu partout en France. Ainsi, son noyau dur était composé de voyous parisiens, provençaux et perpignanais. Une bonne partie de ses membres originels a disparu ces dernières années, sous les balles. Parmi les survivants, Daniel Bellanger a toujours réfuté avec véhémence appartenir à l’“équipe de rêve”. Le Grand Dan, 57 ans, 1,98 m sous la toise pour 108 kilos, ex-cuisinier, ex-videur et vendeur de voitures en Espagne, surnommé aussi “Jospin”, pour sa poigne, n’a pas hésité pourtant à s’afficher avec quelques vétérans de la bande sur un projet de film racontant les exploits du gang et l’indéfectible amitié qui lie ses membres.

À ses côtés, Karim Maloum, 51 ans, ancien rugbyman et garde du corps, condamné à 13 ans de réclusion criminelle pour la spectaculaire attaque de deux fourgons de la Brink’s en décembre 2000 à Gentilly, en banlieue parisienne. Un hold-up à 6 millions d’euros, qui avait sonné le glas de la Dream Team. Le noyau dur du gang avait été arrêté dès le lendemain, avec butin et armes. Sorti de prison en 2008, le Gros affirmait s’être réinséré et œuvrait dans une association avec le préfet Prouteau et l’escroc Christophe Rocancourt.

Kalachnikov, explosifs et grenades

Évidemment, quand les profils génétiques de ces vétérans du milieu sont ressortis dans la cache de Tramoyes, les policiers spécialisés y ont vu la reconstitution d’une ligue dissoute. D’autant qu’ils ont trouvé aussi l’ADN de Jean-Marie Struffi, dit Bouclettes, 39 ans. Ce proche de la bande bastiaise de la Brise de Mer est le compagnon d’Aurélie Merlini, fille de Daniel, membre éminent de la Dream Team, assassiné en 2010.

Les gendarmes ont débarqué à Tramoyes après le vol d’une BMW. Dans un hangar, les militaires ont aperçu la grosse cylindrée au milieu de plusieurs autres, volées elles aussi dans le sud de la France. Ils ont constaté que les véhicules avaient été “pulvérisés avec de l’eau de Javel à l’intérieur comme à l’extérieur”. Sans doute pour effacer toute trace. Ça n’a pas suffi.

Sur place, les gendarmes ont rassemblé neuf kalachnikovs, douze armes de poing, 1 465 munitions de différents calibres, douze gilets pare-balles, des gants, des cagoules, des perruques, des brassards “police”, des brouilleurs de téléphones portables et deux “couvercles métalliques artisanaux servant probablement à amplifier l’action d’un explosif”. Le tout assorti de 4 kilos et demi d’explosif fabriqué au Monténégro, un pain de tolite, des détonateurs, des grenades défensives… De quoi faire sauter quelques épaisseurs de blindage.

Profils génétiques : “personnes très défavorablement connues”

La police scientifique a ensuite mis au jour plus d’une quarantaine de profils génétiques, dont une partie correspondant à des “personnes très défavorablement connues des services de la police, de la gendarmerie ou de la justice” et faisant “partie du milieu du grand banditisme français”. Sur des plaques d’immatriculation, ils ont ainsi collecté les ADN de Struffi, de sa compagne Aurélie Merlini et de Daniel Bellanger. “Babar” a également laissé son ADN sur des gants et Karim Maloum le sien sur un holster et un gilet pare-balles.

En épluchant les listings téléphoniques, les enquêteurs de la PJ lyonnaise et de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) sont tombés sur des appels vers un club libertin de Lyon, un sex-shop de Villeurbanne, des rendez-vous dans plusieurs brasseries lyonnaises et un hôtel de la Part-Dieu. Ils ont remarqué encore que des téléphones portables se déplaçaient du sud de la France vers l’Ain, comme s’ils circulaient dans les voitures volées.

Les suspects ont finalement été arrêtés un an plus tard à Givors et dans le Sud. Depuis, ils n’ont pas fourni d’explications extrêmement convaincantes sur la présence de leur ADN dans le hangar. En janvier, les juges d’instruction ont bouclé leur enquête. “Cette affaire est bâclée depuis le début, dégaine Me Marsigny. On a trouvé un dépôt d’armes puis des ADN et il n’y a eu aucune autre investigation depuis les mises en examen. On a artificiellement criminalisé ce dossier.” Le parquet de Lyon n’a pas souhaité faire de commentaires.

Pour Daniel Bellanger, la baraka continue. Acquitté devant les assises de Paris pour le braquage d’un camion Brink’s, relaxé en décembre dernier à Marseille dans une autre affaire de stock d’armes, il n’a finalement eu à purger “que” trois ans de prison (pour trafic de cocaïne, à Lyon).

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