Mardi 11 juin, un amendement au projet de loi relatif à la consommation (loi Hamon) va être déposé à l'Assemblée nationale pour réserver l'appellation “restaurant” aux seuls établissements qui servent à leur clientèle des plats cuisinés sur place, à base de produits bruts. Un débat est prévu jusqu'en fin de semaine.
La députée socialiste de la Gironde Pascale Got dépose, ce mardi 11 juin, devant l'Assemblée nationale un amendement au projet de loi consommation (loi Hamon) afin que l'appellation “restaurant” soit encadrée et que seuls les professionnels qui proposent des plats cuisinés sur place, à base de produits bruts, dans des conditionnements non jetables, puissent en bénéficier.
“Les produits pouvant être qualifiés de “produits bruts” sont des produits qui ne peuvent pas être consommés en l’état et qui nécessitent une préparation et/ou d’être cuisinés sans ajout d’agent chimique”, explique la parlementaire. “Les cartes devront ainsi contenir une signalétique permettant au consommateur de savoir si un plat a été cuisiné à base de produits surgelés ou frais et si la préparation a été faite sur place ou s’il s’agit d’un plat industriel réchauffé.”
Le Synhorcat, l'un des principaux syndicats français de la restauration et de l'hôtellerie, défend l'amendement. Interview de son président, Didier Chenet.
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Lyon Capitale : En avril dernier, 15 des plus grands chefs de l'Hexagone, emmenés par Alain Ducasse et Joël Robuchon, ont lancé l'appellation “restaurant de qualité” pour promouvoir le “fait maison”. Quelle est la différence avec l'appellation “restaurant”, que vous souhaitez voir rectifier ?
Didier Chenet : C'est très simple. “Restaurant de qualité” est un label privé. Il n'a donc aucune justification autre que celle que veut bien lui donner l'association privée qui l'a créé. En l'occurrence, le Collège culinaire de France, cofondé par Alain Ducasse et Joël Robuchon [et qui regroupe 15 des plus grands chefs français, NdlR].
Ce que porte le Synhorcat, c'est l'appellation “restaurant”. On veut qu'elle soit juridiquement protégée par la loi et qu'elle n'appartienne à aucun club.
L'appellation “restaurant” ne sera accordée qu'aux seuls établissements qui servent à leurs clients, dans des conditionnements non jetables, des plats cuisinés sur place à base de produits bruts.
Toujours selon Alain Ducasse, sur les 150 000 restaurateurs de l'Hexagone, les trois quarts ne feraient que de l'industriel. Le syndicat que vous présidez donne des chiffres bien en deçà (31% précisément). Qui croire ?
On est les seuls, au Synhorcat, à avoir fait une étude d'impact. Les seuls. On s'est basés sur une enquête réalisée auprès de 1 001 restaurants de toutes tailles, de tous types et situés dans toute la France.
Les chiffres qu'avance Alain Ducasse ne reposent sur rien. Ou alors qu'il le dise. On en a ras le bol des gens qui balancent des chiffres comme ça.
Donc, selon vous, 30 % des restaurateurs français ne peuvent plus appeler leur établissement “restaurant” (et 75 % pour Alain Ducasse) ?
Si ces restaurants-là ne modifient pas leur mode de plat, c'est-à-dire s'ils n'arrêtent pas les plats emballés tout faits, oui, ils ne pourront plus prétendre à l'appellation “restaurant”. Mais, ce qui est intéressant, dans notre étude d'impact, c'est que demain, parmi les restaurateurs qui perdraient l'appellation, 67 % d'entre eux se disent prêts à abandonner les produits industriels.
Comment s'appelleraient-ils alors ?
Pour la plupart, la puissance de la marque ou du nom est telle qu'ils n'ont pas besoin d'adosser le mot “restaurant”... Il n'y a qu'en France où on a autant galvaudé le mot “restaurant”. Aux États-Unis, un grill s'appelle un grill, et il n'y a rien de dévalorisant à s'appeler grill. Sauf qu'il ne s'agit pas de la même chose qu'un restaurant.
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Et les emplois ?
Vous avancez que cette appellation “restaurant” pourrait potentiellement créer 27 000 emplois. Avez-vous, en revanche, estimé la perte d'emplois ?
De deux choses l'une : ou bien ce sont des affaires qui “bricolent”, ou bien, et c'est le cas de la très grande majorité de ces “restaurants”, il n'y a qu'un chef en cuisine et un micro-ondes. Donc, pour le coup, la perte d'emplois est minime.
Le consommateur ne risque-t-il pas de s'y perdre dans la profusion des labels : “maîtres restaurateurs”, “restaurants de qualité”, “restaurants”... ?
A force de créer des labels de partout, oui, on s'y perd. Mais le mot “restaurant”, c'est universel. Ça se prononce pareil dans toutes les langues de tous les pays. Une fois que le client sait qu'un restaurant est un lieu où le cuisinier prépare des plats cuisinés sur place à base de produits bruts, on a tout dit.
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Quid du lobbying ?
Les députés et sénateurs ne vont-ils pas être fortement approchés par les industriels de l'agroalimentaire pour tenter de les convaincre de ne pas voter votre amendement ?
Bien sûr que si ! Bien sûr qu'ils vont se faire approcher. Pourquoi croyez-vous que certaines associations sont déjà main dans la main avec l'agroalimentaire ? Par exemple, Alain Ducasse et Brake sont partenaires...
Ou les Toques Blanches lyonnaises, l'une des plus anciennes associations de chefs cuisiniers de France...
Oui, les Toques Blanches lyonnaises chez vous.
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“L'industrie agroalimentaire a tout faux”
Les émissions de téléréalité culinaire comme TopChef ou MasterChef jouent également la carte des industriels. Leurs revenus publicitaires proviennent d'ailleurs majoritairement de l'agroalimentaire...
Exactement. Je le sais bien. De toute façon, dans cette histoire, chacun va jouer sa carte. Et je me doute bien que chacun est à la manœuvre. Après, si le fait d'être honnête vis-à-vis du client dérange certains...
Mais l'industrie agroalimentaire a tout faux : c'est un acteur formidable en France, mais qui n'a rien à faire chez nous, chez les restaurateurs. Il est par exemple aberrant que le scandale de la viande de cheval ait pu toucher les restaurateurs. Notre boulot, c'est pas de réchauffer des lasagnes !
La profession est divisée. De nombreux syndicats concurrents se sont massivement opposés à ce projet, prétextant la “diversité” comme “vraie richesse de la restauration française”. Que leur répondez-vous ?
La diversité restera, mais les “vrais” restaurants s’appelleront restaurants. C’est bien pour cela que le Synhorcat a le courage de la transparence, contre les adeptes de la “diversité”... Mais de quelle diversité parlent-ils ?
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Pour aller plus loin, lire les enquêtes de Lyon Capitale :
> Gastronomie : le grand tabou
Plongée dans les coulisses et les arrière-salles des restaurants lyonnais. Un monde où les méthodes restent encore largement méconnues du grand public.
> 100 idées contre la malbouffe
Mieux manger, c'est possible. Nous avons réalisé un dossier sous forme de "règle de 6". Rien de mathématique, simplement six recettes pour manger plus sain, plus équilibré, plus local et aussi bon marché.
> Vidéo : Quand les cuisines ouvrent leurs portes à l'agroalimentaire