« L’absente de toute enfance » : belle et énigmatique formule qui surgit dès la première ligne de la réponse de Jeanne-Claire Fumet à mon article « qu’est-ce qu’une mère »Elle intitule le sien », clin d’œil bienvenu au peintre Magritte car sur ce terrain-là, les certitudes vacillent et le soupçon domine.
En effet, des psychanalystes, le plus souvent femmes, telle Mélanie Klein, nous ont montré l’envers de la « tendre maman », incitant certains à pousser cette face sombre jusqu’à la caricature. Bien moins absentes dans la réalité que beaucoup de pères, les mères ont dû encaisser, souvent injustement, la responsabilité du malheur des enfants.
Ne confondons pas toutefois fantasme et réalité, et je crois comprendre que J.C.Fumet évoque surtout, à travers cette image de l’absente, les manques qui accompagnent nos vies, traces des inévitables frustrations vécues par le petit humain au début de son existence.
Revenons à la question : qu’est-ce qu’une mère. Elle était, dans mon article, posée du point de vue des enfants et non de celui des mères. Il s’agissait d’une sorte de fiction où j’imaginai les interrogations pouvant se poser à une adolescente d’aujourd’hui prise, grâce ou à cause du progrès technologique, dans une situation complexe mais aucunement invraisemblable. Loin de moi l’idée d’une compétition entre différentes « figures » de mère (donneuse d’ovocytes, porteuse, biologique, adoptive…). Le roi Salomon n’est plus là pour trancher, mais s’il arrive que plusieurs d’entre elles interviennent dans l’histoire de l’enfant, elles prendront place dans son vécu.
En reformulant autrement cette interrogation : « qu’est-ce qui rend mère une femme, qu’est-ce qui rend père un homme », J.C. Fumet ne parle plus tout à fait de la même chose, elle adopte le point de vue des hommes et des femmes, de tout ceux que tente cette aventure humaine à deux « qui ouvre en creux la place pour un nouvel être ». Une aventure, en effet, souvent pleine des surprises qui en font la beauté. Et dans cette histoire-là, dans ces histoires, il est question de rencontre, de temps et de patience, et aussi parfois de ratage, bref de tout ce qui marque l’existence au singulier.
Attardons-nous pour l’instant à un niveau plus général. Examinons par exemple le terme de parentalité.
C’est un mot récent, créé pour souligner le sérieux de la fonction parentale et laisser entendre qu’elle ne va pas de soi, qu’elle exige travail et réflexion. Soit. Mais est-ce pour autant un mot innocent ? « Les mots père et mère n’ont plus cours au 21ème siècle, seul le mot parent doit désormais être employé » a fustigé avec sévérité un lecteur de Lyon-Capitale. À chaque époque ses censeurs, mais cette remontrance n’illustre-t-elle pas le fait que paternité et maternité disparaissent et que le mot « parent » avale et digère père et mère… transformant chacun d’eux en parent indistinct ? Est-ce à dire que je deviendrai un parent des mes enfants ? Un parent ? Nous nous sommes efforcés de féminiser la langue (écrivaine, professeure, policière, bientôt pompière…), n’allons pas maintenant masculiniser ce qui semble réduit à une fonction. Une parente, alors ? À ce mot j’associe instantanément « éloignée » ou « proche ». Les mots sont malicieux : un parent et une parente, ça n’a pas tout à fait la même connotation, ça ne nous renvoie pas forcément à des images identiques. Chassez la différence…
Je n’ai jamais rencontré Elisabeth Badinter mais je l’admire beaucoup. Je me souviens que dans son livre si important « l’amour en plus » elle avait mentionné fort aimablement l’essai que j’avais écrit à la même époque sur « la maternité en milieu sous-prolétaire ». Cependant je ne la suis pas lorsqu’elle déclare que « l’un est l’autre », même si chacun aujourd’hui reconnaît le poids sociologique et culturel que portent les concepts femme et homme ou père et mère. Comment ne pas se réjouir de l’évolution des relations entre les hommes et les femmes …dans certains coins du globe, ne l’oublions pas, et surtout grâce aux luttes incessantes des femmes mais aussi des hommes qui soutiennent leur combat.
Mais je pense que toute une réflexion reste à faire sur les nouvelles figures des fonctions maternelles et paternelles, inévitablement questionnées et transformées par l’évolution de la société. Loin de moi l’idée de figer des rôles, mais aussi loin la soumission à la pensée politiquement correcte du moment. Et je suis entièrement d’accord avec J.C. Fumet lorsqu’elle déboulonne la statue Nature et surtout Biologie. Surtout parce que, chez les humains, petits et grands, nous sommes toujours dans le champ symbolique.
Mais si symbolique et imaginaire nous façonnent, le corps, lui, est toujours là : pétri de langage et des rêves, il est ce réel qui ne se laisse réduire ni à l’organisme, ni aux gènes. Et même si la différence des sexes est plus complexe qu’elle n’apparaît au premier regard, si les notions de genre aujourd’hui mises en avant ont quelque peu fait vaciller les certitudes, le déni n’a jamais enrichi la pensée. La censure des mots non plus. Que gagnerons-nous à transformer père et mère en parent neutre ou indistinct, faut-il cesser de questionner cette différence sous prétexte qu’elle a lourdement pesé sur nos passés ? Est-ce ainsi que nous servirons les aspirations bien légitimes de ceux qui souhaitent, dans ce monde cruel, apporter leur amour à des enfants délaissés ? En remplaçant un modèle par un autre au lieu de continuer à réfléchir sur le meilleur à leur apporter ? Ne faisons pas du passé (même proche) table rase, les apports philosophiques, psychologiques, psychanalytiques des siècles précédents ne sont pas tous à jeter au panier. Les questions persistent, laissons-les ouvertes.
Marie-Catherine Ribeaud, psychologue, auteur de "Les enfants des exclus" et "La maternité en milieu sous-prolétaire", publiés chez Stock. Elle est aussi auteur d'un roman, "J'ai serré les poings et les dents", chez l'Harmattan (2013) et d'une nouvelle, "Mariage arrangé", chez JFE.