mère

Adoption, PMA, GPA… Qu’est-ce qu’une mère ?

Bientôt, vous serez des milliers. Des milliers de femmes et d’hommes, des milliers de solitudes à vous poser cette question, encore insolite aujourd’hui dans la plupart des cas, des milliers donc à vous demander : qui est ma mère ? Et ce qui sera pour vous une question personnelle deviendra pour nous tous une question existentielle, philosophique, à savoir : qu’est-ce qu’une mère ?

Imaginons. Tu es une jeune fille de 14 ans. Tu as été élevée par un couple dont tu portes le nom, mais biologiquement, tu n’es pas leur enfant. Une inconnue a fait un don d’ovocytes à un laboratoire, et le spermatozoïde qui t’a engendrée provient d’un autre inconnu. Aujourd’hui, l’anonymat de cette femme et de cet homme, tes parents biologiques, est strictement préservé. Ils ne se sont eux-mêmes jamais rencontrés et ignorerons toujours ton existence ; je veux dire ta véritable existence de personne (personne ? Comme le double sens de ce mot prend là une consonance étrange…) Ils ne saurons jamais rien de toi, ni ton sexe, ni ton âge exact, et sous quelle latitude tu as vu le jour. Y pensent-ils seulement parfois ?

Après un court passage en éprouvette, ou peut-être même un séjour au congélateur, tu as logé environ 9 mois dans un ventre qui t’a expulsée, ce qui est là, pour l’instant, notre lot à tous. Cette femme-là t’a portée, et même si génétiquement elle ne t’est rien, 9 mois en communication aussi étroite, ce n’est pas rien.

Si je veux compliquer les choses, (mais la vie n’est jamais simple), j’imagine que la femme qui t’a désirée et accueillie dans son foyer dès ta naissance est morte brutalement quand tu étais encore un bébé. Son époux, ton père légal, s’est rapidement remarié ; peut-être en partie pour te donner une mère ?

"Ta question posée dans une assemblée provoquera immédiatement des réponses contradictoires et des débats passionnés où personne ne s’écoutera"

Te voilà donc, jeune fille de 14 ans, pourvue de quatre mères, à un âge où une seule est à la fois indispensable et de trop. Mais laissons de coté la psychologie dans cette question qui est la tienne mais te dépasse. Qu’est-ce qu’une mère, demandes-tu, et quelle est la mienne ? Celle qui m’a désirée et dont il me reste peut-être quelques photos, mais dont je n’ai aucun souvenir conscient ? Celle qui m’a portée, dont on m’a parlée ou non, qui ne fait pas partie de mon existence, mais dont j’ai probablement partagé, in utero, des joies et des soucis ignorés aujourd’hui de moi et de mon entourage ? Celle qui a fait ce que je suis, pour moitié, (n’oublions pas le géniteur) génétiquement ? Celle qui m’élève depuis que j’ai quelques mois, et que j’appelle maman ?

Ta question posée dans une assemblée provoquera immédiatement des réponses contradictoires et des débats passionnés où personne ne s’écoutera. Et dans ce brouhaha, tu distingueras çà et là des expressions diverses : enfant de l’amour, patrimoine génétique, vécu de la grossesse, éducation, droit de savoir ses origines, et d’autres encore… Et chacune te renverra à une partie de toi. Ou à un grand vide.

Peut-être alors te regarderas-tu dans la glace, recherchant dans l’illusion de l’image un indice, sinon un repère. D’où me viennent, te demanderas-tu, ces cheveux roux, ou frisés ? Et pourquoi ai-je tellement peur du noir ? Et de qui est-ce que je tiens ce drôle de rire, trop fort, dont l’irruption bruyante m’a fait coller plus d’une fois au collège ? Nature, culture, débat usé, ni psychologique, ni philosophique, et qui n’épuise pas ta question ; laquelle peut se dire : d’où est-ce que je viens ? Question guère différente, à première vue, de celle de tout un chacun.

Pourtant, je comprends que la tienne a quelque chose d’abyssale. Elle n’est pas celle des enfants adoptés, qui doivent accepter, parfois douloureusement, de vivre avec une part d’eux-mêmes partiellement ignorée : celle que leur ont légués des géniteurs inconnus ou perdus depuis longtemps. Ceux-ci, morts ou vivants aujourd’hui, ont cependant existé, et même brève, leur histoire laisse la marque d’une origine claire : au commencement, il y eut un homme et une femme.

"Trois ou quatre mères, deux ou trois pères, pourras-tu « faire avec » tout ça ?"

A ton origine à toi, il y a toute une machinerie qu’on appelle le progrès technique. Il y a aussi la tyrannie des envies devenues droits, envie d’enfant, droit à l’enfant. Et il y a, me semble-t-il, à toutes les étapes de ton début d’existence, l’absence de pensée qui accompagne l’euphorie de la toute-puissance. Mais, et c’est pour toi l’essentiel, existent aussi ces quatre mères successives : ne pourrait-on dire, en prenant une terminologie apparemment obsolète, que certaines te donnent du corps, et d’autres de l’âme ? Sans doute est-ce trop simple : car qu’en savons-nous, après tout, des motivations, ou plus exactement, du secret de ces quatre femmes et des traces qu’elles t’en ont laissées ?

Mais peut-être ta réalité est-elle encore un peu plus complexe. Imaginons que le père qui t’a élevée ne se soit pas remis en ménage avec une femme mais avec un homme. Pacsés aujourd’hui, mariés demain, ces deux hommes affirment t’élever avec amour et compétence, et il n’y a aucune raison de ne pas les croire. Trois ou quatre mères, deux ou trois pères, pourras-tu « faire avec » tout ça ? Il faudra bien. Ne parle-t-on pas couramment de la plasticité de l’être humain…

Il n’empêche que les questions sont là, persistantes, incontournables, universelles : qu’est-ce qu’une mère, qu’est-ce qu’un père, qu’est-ce qu’une filiation, qu’est-ce qu’une origine ; et mon identité, et mon humanité, d’où, de qui, de quoi procèdent-elles ? Ne répondons pas trop vite.

Marie-Catherine Ribeaud, psychologue, auteur de "Les enfants des exclus" et "La maternité en milieu sous-prolétaire", publiés chez Stock. Elle est aussi auteur d'un roman, "J'ai serré les poings et les dents", chez l'Harmattan (2013) et d'une nouvelle, "Mariage arrangé", chez JFE.

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