Jean-François Carenco 02
@ Etienne Bouy

Catastrophe nucléaire au Japon : faut-il avoir peur en Rhône-Alpes ?

EXCLUSIF – Après le tremblement de terre au Japon et les incidents dans les centrales nucléaires qui sont en cours, faut-il avoir peur des conséquences en Rhône-Alpes ? Réponses de Jean-François Carenco, préfet de région et ancien directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo d'avril 2008 à novembre 2010 au ministère de l'Ecologie. Interview.

@ Etienne Bouy

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Lyon Capitale : Allez-vous prendre des mesures spécifiques en Rhône-Alpes après l'incident survenu au Japon ?

Jean-François Carenco : J'ai demandé ce mercredi 16 mars à tous les préfets de réunir les commissions locales d'informations par centrale dans les plus brefs délais. Non parce que je suis inquiet, mais parce que c'est ma responsabilité en matière nucléaire de vérifier, vérifier et re-vérifier. Il y a aujourd'hui un événement extérieur, donc je vais vérifier encore une fois. Je vais par ailleurs réunir tous mes responsables extérieurs sur le sujet : la police de l'eau, l'autorité régionale de l'ASN, la santé, si jamais, la gendarmerie, etc. On va refaire un tour de piste, le gouvernement va me le demander de toute façon, donc autant le faire tout de suite. Je vais refaire un tour de piste général sur les quatre risques qu'on voit aujourd'hui au Japon : risque d'inondation, sismique, coupure électrique et fusion nucléaire.

Deuxièmement, je rappelle, qu'en terme de sécurité des centrales en Rhône-Alpes, tous les dix ans, il y a une grande visite. Je peux vous donner les dates des grandes visites. Globalement, la moitié a été révisée depuis plus de cinq ans et l'autre moitié depuis moins de cinq ans. On est tout à fait sur le rythme des grandes visites une fois tous les dix ans, je l'ai vérifié. Et puis, il y a des visites qui sont réalisées par l'Autorité de sureté nucléaire (ASN) sur chacune des centrales de la région : 10 à 15 par an.

Ce qui n'a pas empêché la fuite de matière radioactive l'année dernière à la centrale de Tricastin ?

Cet incident n'avait rien à voir avec la centrale nucléaire. Il s'agissait d'une fuite à la Socatri, filiale d'Areva qui gère la station de retraitement de Tricastin. Le mec qui a commis la faute a été viré. Jean-Louis Borloo a demandé à ce qu'il soit viré. Il s'agissait d'un liquide visqueux, dans lequel il y avait de l'uranium naturel, qui n'a pas de risque majeur pour la santé. Les mecs faisaient des travaux sur les cuves et pour faciliter les travaux, ils avaient enlevé le bac de rétention. Le directeur avait pris sur lui d'enlever le bac de rétention. Il y a eu un incident de manoeuvre de vannes, et le liquide n'est pas tombé dans le bac de rétention. C'est une faute professionnelle caractérisée, mais cela n'a rien à voir avec un incident sur une centrale nucléaire … Et puis il y a des révisions chaque année.

@ Etienne Bouy

@ Etienne Bouy

Vous êtes donc serein sur l'état de nos centrales en Rhône-Alpes ?

Je suis très serein parce que j'ai confiance dans ce qui a été fait, et dans la rigueur de l'autorité de sureté nucléaire que j'ai côtoyée pendant trois ans. Je peux vous dire que durant trois ans (au ministère de l'écologie, NDLR) jamais, je n'ai proposé à Jean-Louis Borloo et jamais, bien sur, il ne l'a décidé, d'aller contre une décision de l'Autorité de sureté nucléaire (ASN). Et ce ne sont pas des rigolos, c'est ce qu'on leur demande d'ailleurs.

Nos centrales sont donc sûres ? Elles sont construites pour résister au choc d'un petit avion, mais en cas de tremblement de terre que se passerait-il ? Nous ne sommes pas non plus à l'abri de mouvements tectoniques …

La centrale la plus sûre, construite pur résister à tout, c'est l'EPR, construite pour résister au crash des plus gros avions. On n'a pas d'EPR en Rhône-Alpes. En revanche, on a des centrales de première et deuxième génération : Bugey, avec quatre réacteurs de 900 mégawatts, Saint-Alban (38) avec deux réacteurs de 1300 mégawatts, Triscatin (26) et Cruas (07) avec chacune quatre réacteurs de 900 mégawatts.

Les risques sont de plusieurs types : sismique, d’inondation ou de sécheresse, de coupure d'alimentation et de fusion du cœur...

Je rappelle qu'au Japon, ce n'est pas le séisme qui a provoqué les dégâts, mais une petite vaguelette de fin de tsunami. Il a manqué 10 centimètres. C'est à dire que les centrales n'ont pas été inondées. C'est seulement une petite vaguelette de 10 cm qui a provoqué l'arrêt du système de refroidissement.

Sur les risques en Rhône-Alpes, le risque de sécheresse est un faux risque car s'il n'y a plus d'eau pour refroidir les centrales (construites au bord des cours d'eau, NDLR), on voit le niveau de l'eau baisser. On peut donc prévoir d'arrêter les centrales, c'est ce que j'ai fait quand j'étais préfet dans le Tarn-et-Garonne, on avait arrêté la centrale de Golfech.

Ensuite, il y a le risque d'inondation. Après la tempête de 1999, on avait eu un incident à la centrale de Blayais en bordure de la Gironde. Tous les systèmes anti-inondation des centrales avaient donc été revus. Lors de la tempête suivante, Xintia, ça n'a pas bougé aux Blayais. A priori, en Rhône-Alpes non plus.

En cas de coupure d'électricité maintenant, le réacteur s'arrête. On a 58 réacteurs en France. Normalement il y a une double redondance, c'est-à-dire que vous avez deux moteurs diesels par réacteur, un de secours et un générateur électrique alimenté par la vapeur de la centrale, donc ce risques est prévu aussi.

Enfin, sur le risque sismique. On a regardé centrale par centrale quel était le risque sismique le plus important, en supposant à chaque fois que l'épicentre se trouve sous la centrale; on lui a ajouté une marge de 0,5 et on a construit des centrales qui résiste à cela. Ce qui donne 6 pour la centrale de Bugey, 5,5 pour Saint-Alban, 5,2 pour Cruas et 5,2 pour le Tricastin. Nos centrales sont construites pour résister à des tremblements de terre de cet ordre là.

Et notre capacité à maîtriser une fusion du cœur des réacteurs, qu'en-est-il ?

La fusion du coeur ne peut être qu'une conséquence. Normalement, les réacteurs de troisième génération (EPR) sont capables de la maîtriser parce qu'ils récupèrent tout ce qu'ils font. Tous les nouveaux réacteurs sont équipés d'une coque (une malle de béton) éminemment renforcée et qui suppose qu'un avion de type A380 puisse également tomber dessus. Mais nous n'avons pas non plus de tsunami sur le Rhône. On a des montées du niveau du fleuve certes, qui demanderaient éventuellement à éteindre les centrales. Mais on voit bien quand le niveau monte, de même qu'on voit quand il descend....

@ Etienne Bouy

@ Etienne Bouy

Vous ne cédez donc pas à la panique ambiante ?

Si un tel incident arrivait en France, c'est terrible, il faut tout arrêter disent certains. Mais ce n'est pas comme cela qu'on prend les bonnes décisions. C'est soit de l'Agitprop (propagande, NDLR) soit de l'émotion. Il ne faut pas tout mélanger : la politique politicienne, le nécessaire "regard à nouveau" sur le nucléaire, l'émotion et les questions de sécurité.

A vous écouter, le nucléaire ne serait pas un sujet tabou en France, tout serait transparent …

Il n'a jamais été tabou, qui dit qu'il est tabou ? Je vous rappelle que la CRIIRAD (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité) est l'organisme le moins indépendant que je connaisse. Ils sont pieds et poings liés à leur idéologie. Et puis je rappelle que le nucléaire, c'est un sujet qui est ouvert au Parlement en permanence. Les députés votent les budgets de l'ASN. Il y a des commissions de contrôles, les commissions font leur boulot. Le sujet n'a jamais été ni tabou, ni fermé. C'est le propre de ceux qui disent que la société ne leur donne pas raison d'affirmer que le sujet est tabou et que c'est pour cela qu'on ne veut pas les écouter. Écouter ne veut pas dire donner raison. Aujourd'hui collectivement la nation, par le biais de ses représentants, parce que c'est cela la démocratie, n'a pas dit non au nucléaire. Demain on portera peut être à nouveau un regard sur notre politique énergétique au vu de ce qui s'est passé au Japon, le premier Ministre s'y est engagé, il l'a indiqué. Mais où le sujet a-t-il été tabou ?

Et le nuage de Tchernobyl qui s'arrêtait aux frontières en 1986, le sujet n'était-il pas tabou à l'époque ?

Non, il n'était pas tabou, c'est simplement que quand vous êtes responsable, vous ne voulez pas affoler inutilement les populations. Mais comment voulez vous cacher la vérité aujourd'hui, tout est retransmis en direct sur Internet, qu'est ce qui est caché ?

La radioactivité n'est pas visible, le nuage ne le sera pas non plus s'il doit arriver en France ?

Mais pourquoi voulez vous que l'ensemble du corps préfectoral, l'ensemble du gouvernement soient démoniaques à ce point alors que les écolos seraient des gentils garçons. Tout cela n'a pas de sens ! On a simplement des responsabilités différentes. Mieux vaut poser les vraies questions, avoir un vrai débat. Les écolos disent, Corinne Lepage dit, qu'il faut un débat sur le nucléaire. Mais ce débat a lieu en permanence ! Ce n'est pas parce que le débat lui donne tort que le débat n'a pas lieu. Il ne faut pas tout confondre.

Et si un tel nuage radioactif se forme demain au Japon , quels sont les risques pour la région ? Serez-vous informé en temps et en heure, par quels canaux, et comment vous organiserez-vous le cas échéant pour protéger la population ?

Le passage du nuage est très, très éventuel – nous sommes quand même très loin !-, mais dans ce cas, le seul sujet c'est le confinement. On se confine et on ne bouge pas, la radioactivité ne rentre pas comme ça par le trou de la serrure. Après, il y a le problème des retombées derrière, la pollution des sols, etc. Ce problème se gère à moyen terme avec des interdictions, des mesures, etc. Je n'ai pas de craintes là dessus, simplement, mon rôle est de dire aux gens que s'affoler ne sert à rien. Se sont les faibles qui s'affolent.

Les Allemands sont donc faibles ? Ils viennent d'annoncer qu'ils arrêtaient deux de leurs centrales nucléaires après les accidents survenus au Japon ?

Ce n'est pas de l'affolement, c'est une décision. Il ne faut pas tout confondre : la gestion du nucléaire et la gestion du risque immédiat. Ce sont deux sujets différents. Vous me posez la question sur le nuage qui passe, je dis que ça ne sert à rien de s'affoler, tant qu'il n'y pas de risque avéré, cela ne sert franchement à rien. On saura gérer le passage du nuage.

Et puis outre-Rhin, la situation est différente. Ils ont peu de nucléaire. Mais de l'énergie carbonée. Donc on peut faire un moratoire en Allemagne, ce n'est pas la même chose qu'en France. Nous, c'est 80 à 90% de notre électricité, eux, ça doit faire peut être 10%, donc ce n'est pas le même sujet.

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