La Cour des Comptes suggère de remettre à plat le dossier afin d'étudier "des solutions alternatives moins couteuses". Les magistrats, qui ont accepté de nous apporter des informations complémentaires, estiment le coût total du projet à 26,8 milliards d'euros. France et Italie espèrent arracher plus de financements européens. Et la France compte faire payer une partie des surcoûts à l'Italie, coupable d'avoir changé son tracé.
Ce mercredi, les sénateurs de la région sont montés au créneau. Il faut sauver le TGV Lyon-Turin. Ils ont demandé au gouvernement des "avancées concrètes" lors du sommet franco-italien du 3 décembre, notamment une date de début des travaux pour les deux tubes principaux - l'ouvrage est censé être achevé en 2025. Pour l'heure, rien n'est abandonné. Mais la ligne grande vitesse a déjà failli dérailler en juillet dernier quand le gouvernement annonçait remettre à plat le schéma national des infrastructures de transport, dont le Lyon-Turin fait partie (lire ici).
Le prix du Lyon-Turin : 26,8 milliards d'euros
Cette fois, le coup est venu de la Cour des Comptes. Dans un référé du 1er août dernier, c'est le principe même du Lyon-Turin qui est ébranlé. "D'autres solutions techniques alternatives moins couteuses ont été écartées sans avoir toutes été complètement explorées de façon approfondie", regrettent les magistrats, qui recommandent d'appréhender ces pistes, autrement dit de remettre à plat le dossier. Ils épinglent notamment le dérapage financier. D'abord le budget relatif aux études et travaux préliminaires, passé au fil des ans de 320 à 901 millions d'euros. En cause des difficultés géologiques apparues dans le percement des descenderies, ces tunnels "verticaux" qui permettent d'accéder au coeur souterrain du chantier, et le changement de tracé côté italien.
Mais il y a pire : le coût de la partie transfrontalière, dont les travaux n'ont pas commencé. Avant même le premier coup de pelles, le dérapage est chiffré à 1,9 milliard, "hors frais financiers, frais de maîtrisée d'ouvrage, études et travaux préliminaires". Un coût global de 10,3 milliards est avancé par la Cour des comptes. "Si on ajoute les coûts de maitrise d'ouvrage, des études, des galeries de reconnaissance et d'excavation des descenderies et des sondages, on parvient à un total de 11,3 milliards", nous a écrit l'un des magistrats chargés du dossier. En additionnant les tronçons nationaux, on parvient à un chiffre de 26,8 milliards d'euros - montant retenu dans l'enquête publique menée par Réseau Ferré de France en début d'année. C'est le vrai prix du Lyon-Turin.
Objectif du Lyon-Turin : 340 000 camions par an
Ces montants sont à mettre en lien avec le bénéfice escompté. Et là aussi, c'est la soupe à la grimace. D'abord les trafics seront d'une toute ampleur que ceux attendus en 1991, quand le rapport Lagrand en 1991 estimait que 7200 poids lourds passeraient sous les Alpes quotidiennement en 2010. Finalement on en a dénombré seulement 3560 (2004 au Fréjus et 1556 au Mont-Blanc). Et encore ces chiffres ont-ils continué à baisser depuis, sous l'effet de la crise économique (lire ici). L'enquête publique de RFF parie sur un report modal de 340 000 poids lourds sur les trains (en 2011, 605 955 camions empruntaient le Mont-Blanc et 734 670 le Fréjus). Pour parvenir à cet objectif, la Cour des Comptes souligne que "les investissements ferroviaires n'ont de sens que s'ils sont accompagnés d'une politique déterminée de report modal de la route vers le rail. C'est, plus que pour tout autre projet, le cas du Lyon-Turin".
En cas de crise persistante, le projet sort des ratios de rentabilité
Dérapage des coûts, baisse attendue des recettes : le Lyon-Turin est-il encore rentable ? Oui pour RFF qui s'appuie sur le taux de rentabilité socio-économique de la ligne grande vitesse qui s'établit à 4,99%. Calculé pour tous les projets d'envergure, il doit être supérieur à 4% pour justifier la mobilisation de capitaux. Ce taux a été déterminé sur la base de résultats économiques enregistrés au cours de la dernière décennie. Deux autres scénarios ont été étudiés : le rebond économique - le taux passe alors à 5,92% - et le "choc permanent", autrement dit l'absence durable de reprise - et dans ce cas, le taux chute à 3,47%. Le Lyon-Turin ne serait alors plus du tout rentable. Et la Cour des Comptes remarque qu'en sortant les indicateurs sociaux (baisse de la pollution, sécurité routière, etc) et se recentrant sur les seuls bénéfices économiques, "la valeur actualisée nette économique (autre indicateur de référence, ndlr) du projet est négative, quels que soient les scénarios".
Qui paie le tunnel italien ?
Voilà qui n'entame pas la détermination du gouvernement français. Dans sa réponse à la Cour des Comptes du 8 octobre, Jean-Marc Ayrault rappelle que le projet "s'inscrit dans le cadre d'engagements internationaux", jugé "prioritaires" par l'Union européenne depuis le sommet de Corfou en 1994. Il estime que le surcoût généré par le changement de tracé, côté italien, "ne reviendra pas à la charge de la France puisque le tunnel de l'Orsiera, long de 19 km et situé en dehors de la section transfrontalière telle que définie dans le nouvel accord (du 30 janvier dernier, ndlr), sera financé entièrement par l'Italie". Il s'agit là d'une différence d'interprétation notable avec la Cour des Comptes pour qui cet ouvrage - qui sera réalisé ultérieurement - figure "dans une partie commune". Dans ces conditions, "le surcoût devrait être de l'ordre de 450 millions d'euros et non de 1,9 milliard d'euros", indique le Premier ministre.
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Vingt-deux ans que la vallée la plus affectée par ces travaux, la vallée de Susa, est secouée de manifestations massives, de blocages routiers, de sabotages, de marches pacifiques et d’affrontements avec la police. Vingt-deux ans aussi que se succèdent expropriations, expulsions des occupants du chantier, arrestations, procès et incarcérations jusqu’au récent “accident” d’un habitant de la vallée, électrocuté en grimpant à un pylône pour continuer l’occupation du chantier.Une vallée habitée qui ne veut pas être reléguée au simple rôle de voie de passage pour l’interconnexion des métropoles transalpines ; des vies qu’on ne peut pas plier indéfiniment aux aménagements nécessaires à la bonne marche du Progrès. Cette opposition sans compromis est aujourd’hui portée par un mouvement dans toute l’Italie, le mouvement NO-TAV.https://rebellyon.info/Le-TGV-Lyon-Turin-ne-passera-pas.html
article très intéressant, qui complète celui de l'été. Il est évident que les habitants du circuit concerné montrent des réticences, mais cette voie est nettement moins intrusive qu'une autoroute. Il faudra travailler les mesures anti-bruit et laisser des passages transversaux pour les humains comme pour les espèces animales pour palier l'effet barrage. Quant aux comptes , il est vraisemblable que la Cour du même nom ait raison, la présentation du 1°ministre semble une espèce de délicatesse qui permettra de revenir en arrière… Par contre le projet et les comptes italiens sont nettement moins sûrs : comment se positionne donc Bruxelles ? L'U.E. va-t-elle subventionner tous les projets de déviation du trafic autour de la Suisse ?