Pour cette 3e tribune publiée ici dans le cadre de notre partenariat avec les Journées de l’économie (du 8 au 10 novembre à Lyon), Pierre Bezbakh, maître de conférences à l’université Paris Dauphine, s’attaque au french bashing en matière de créativité économique.
“À toutes les époques de son histoire, la France a été une terre de création dans tous les domaines de la vie sociale : celui des arts, de la littérature, de la pensée, de la politique, des sciences, des manifestations sportives, mais aussi celui de l’économie, en particulier depuis la deuxième révolution industrielle, à la fin du XIXe siècle.
Sur ce dernier plan, les Français ont été pionniers ou ont participé à la découverte ou à la mise au point des “produits” qui bouleverseront le mode de vie des populations du monde entier et sur lesquels reposera l’industrialisation du XXe siècle : le téléphone, la photographie, le cinéma, la bicyclette, le pneumatique, l’automobile, l’aviation, la vaccination, la radioactivité… Puis la France fit partie et fait toujours partie du groupe des pays les plus en pointe dans les domaines de l’aéronautique, de la production d’énergie nucléaire, des transports ferroviaires, des sciences physiques, de la médecine…
Bien sûr, les Français ne furent jamais seuls à faire avancer les connaissances. Mais le fait qu’ils furent présents dans tous les grands domaines de l’innovation, tantôt avec les Anglais, tantôt avec les Allemands, tantôt avec les Américains…, permet de penser qu’il existe une “créativité” française originale.
Ces observations permettent de répondre au french bashing à la mode, qui repose sur l’idée que la France serait en train de perdre la place qui était la sienne durant les Trente Glorieuses, celle de quatrième ou cinquième puissance industrielle de la planète, sans que l’on comprenne d’ailleurs pourquoi elle a pu occuper ce rang surprenant.
Cette vision n’est pas nouvelle : on a déjà parlé du “retard français” face à la Grande-Bretagne au début du XIXe siècle, de la stagnation démographique française au XIXe siècle, du nouveau retard face cette fois aux États-Unis et à l’Allemagne au début du XXe siècle, puis du déclin français après la Première Guerre mondiale, et d’un nouvel affaiblissement depuis une trentaine d’années… On pourrait se demander finalement si les Français n’ont pas toujours été “nuls” et à la remorque des grandes nations industrielles.
En fait, même si la France a été deuxième nation mondiale à différents moments de l’histoire, il s’agit là d’une performance économique et sociale remarquable, et aucun pays ne peut prétendre avoir fait mieux si l’on tient compte de tous les aspects de la vie sociale. Il ne faut pas non plus oublier tout ce que l’on continue de découvrir ou à faire progresser en France dans différents domaines scientifiques et techniques, même si, depuis quelques décennies, les États-Unis semblent avoir pris de l’avance sur les autres grands pays industriels, et que les pôles d’innovation se diversifient dans le monde.
La question qui se pose donc aujourd’hui est de savoir si la France va pouvoir maintenir son rang parmi les grands pays innovateurs, ou si elle est entraînée sur la pente d’un déclin inéluctable, en raison de structures économiques “inadaptées”, comme le pensent les économistes libéraux fustigeant l’excès de réglementations étatiques et les “charges” qui pèsent sur les entreprises. Elles constitueraient un handicap insurmontable face à une concurrence mondiale toujours plus redoutable.
On peut cependant aussi espérer que l’économie française pourra retrouver le chemin d’une croissance créatrice de nouveaux emplois qualifiés et que l’espoir dans l’avenir reviendra dans notre pays. Il faudrait pour cela une véritable prise de conscience des réussites françaises du passé et des potentialités innovantes des laboratoires de recherche publics aux moyens insuffisants, et de celles de nombreuses petites ou moyennes entreprises qui ne parviennent pas à trouver les moyens de leur financement.
Cela implique que la puissance publique joue tout son rôle dans l’encouragement et le financement des recherches essentielles pour que les initiatives des chercheurs et des entreprises créatrices trouvent un débouché dans un projet commun. C’est vrai dans le domaine des énergies renouvelables, des nanotechnologies, des sciences physiques, de la médecine…, où de jeunes chercheurs français partent à l’étranger faute de reconnaissance, de salaires suffisants, de perspectives de carrière ou d’infrastructures adaptées.
La responsabilité en incombe aux “politiques” qui, depuis les Trente Glorieuses, ont globalement failli dans leur mission d’anticipation de l’avenir, d’aide à l’innovation et de guide pour leurs concitoyens. On peut espérer que cela changera demain, sous peine d’un “déclassement” de la France dans le concert international.”
Bibliographie sélective de Pierre Bezbakh :
• Histoire de l’économie, des origines à la mondialisation, Petite encyclopédie Larousse, dernière éd. 2008
• Crises et changements de société – Les grandes ruptures dans l’histoire, de l’Empire romain à nos jours, éditions L’Harmattan 2012
• à paraître : Existe-il un génie français ? Sortie prévue courant 2017 aux éditions Nouveau Monde
Pierre Bezbakh aux Journées de l’économie Il participera à la table-ronde sur le thème “Existe-t-il une créativité française originale” avec Claude Carlier, Dominique Langevin, Guy Mathiolon et Arnaud Montebourg Jeudi 10 novembre de 9h à 10h30, salle Rameau Inscription sur le site des JECO 2016 |