Évasion fiscale, blanchiment: l’axe Lyon-Genève

Plus que partout ailleurs en France, Lyon, de par sa proximité avec Genève, favorise les mouvements d’argent avec la Suisse. Ce n’est pas pour rien que la Banque cantonale de Genève a préféré les bords du Rhône à ceux de la Seine alors que Paris est la capitale financière du pays. (Article paru dans Lyon Capitale-le mensuel n°708, février 2012)

À Lyon, les personnes fortunées savent faire la route qui les conduit jusqu’à Genève. Ils se rendent par exemple à Carouge dans la banlieue genevoise où siège l’Union des banques suisses (UBS). Ou alors ils empruntent les rues du centre-ville pour gérer leurs comptes numérotés hébergés par les filiales suisses de grandes banques françaises ou lyonnaises. La Lyonnaise de banque dont le siège est rue de la République à Lyon possède par exemple la banque Pasche sur les bords du lac Léman. À Lyon, la Lyonnaise est une banque de détail mais également l’établissement favori des chefs d’entreprise de la région. Le groupe est également actif à Monaco, au Lichtenstein, en Uruguay, aux Bahamas et aux îles Caïmans. Autant de filiales nichées dans des paradis fiscaux que Lyon Capitale avait déjà mises au jour dans une enquête sur les filiales offshore des grands groupes lyonnais*.

Discrétion

À Genève, la Banque Pasche mise sur la discrétion. Rue du Rhône ou rue de Hollande, cette succursale lyonnaise reste à l’abri des regards. Aucun signe ostensible n’alerte de la présence d’une banque. L’adresse est connue des seuls initiés, ceux qui ont une bonne raison pour pousser la porte d’un tel établissement : la gestion de leur fortune loin des yeux du fisc français. L’ouverture d’un compte ne s’y fait pas sans un dépôt minimum de 500 000 euros. C’est beaucoup moins que dans les banques suisses installées à Lyon. À l’UBS par exemple, l’ouverture d’un compte ne s’effectue pas en dessous d’un million d’euros. Pour ses clients aisés, la succursale d’UBS garantit la plus grande discrétion.

Installée à 50 mètres de la place Bellecour, au deuxième étage d’un immeuble cossu avec tapis rouge et lustres flamboyants, l’UBS se dérobe totalement aux regards des passants. De l’extérieur, rien n’indique qu’au 1 rue Colonel-Chambonnet (photo) se cache une banque. Ni enseigne, ni plaque. L’adresse n’est connue que des grosses fortunes de la région : lyonnaises, savoyardes ou bourguignonnes. A contrario, une autre banque suisse s’affiche sans complexe. La Banque cantonale de Genève dont le siège français est à Lyon exhibe son enseigne au bord du Rhône, sur la façade d’un immeuble de la place Louis-Pradel, à quelques pas seulement de l’hôtel de ville.

De droit français, ces banques n’ont officiellement aucun rapport avec Genève. En théorie, on ne pousse pas la porte de ces établissements pour un exil fiscal en Suisse ou vers d’autres places financières offshore. Le siège lyonnais de l’UBS propose des fonds de placements obligataires ou des contrats luxembourgeois pour des assurances-vie. “C’est tout à fait légal et ce n’est pas de l’exil fiscal”, nous explique un conseiller au téléphone. “C’est une vraie hypocrisie de s’étonner de la présence à Lyon de discrètes banques suisses ! C’est facile de dire l’UBS à Lyon. Mais je vous réponds le Crédit agricole à Genève !” s’agace un gestionnaire de fortune installé à Lyon qui souhaite rester anonyme et qui est à la tête d’un portefeuille de plus d’un milliard d’euros. Mais les soupçons n’ont pas toujours pour origine le seul fantasme.

Blanchiment

Au début des années 2000, la filiale lyonnaise de la Banque cantonale de Genève a fait l’objet de lourdes investigations afin de mettre en évidence des circuits de blanchiment entre Lyon et Genève. Une plainte en Suisse avait été déposée en mai 2000 par cinq petits actionnaires de la banque pour blanchiment. La Banque cantonale de Genève était suspectée de s’adonner à la pratique répandue du “prêt adossé”. Le mécanisme est simple. La banque fait un prêt à ses clients à Lyon après que ces derniers ont réalisé un dépôt du même montant à Genève.

L’affaire de la Banque cantonale de Genève avait éclaté après les révélations fracassantes d’un ancien directeur de la banque, Bernard Monnot, à la commission d’enquête parlementaire sur les paradis fiscaux conduite par Arnaud Montebourg et Vincent Peillon entre 1999 et 2002. Auditionné, M. Monnot déclarait à l’époque que “la Banque cantonale de Genève, faisant du blanchiment en bande organisée et à échelle industrielle, a créé (...) une fiduciaire censée regrouper (...) les déposants français qui ont mis cet argent à Genève. (...) Cet argent permettait aux déposants d’obtenir un crédit de même montant en France. Les Suisses étant particulièrement précis, tout indique que c’est au centime près le montant qui est dans la fiduciaire qui a été reprêté à court terme à la filiale française pour faire rigoureusement le même montant de crédit en France à des entreprises françaises.” En 2001, le parquet de Genève a classé la plainte sans totalement dédouaner la banque. L’ordonnance de renvoi du juge suisse qui a instruit l’affaire faisait état de “quelques éléments troublants” et “de renseignements troublants concernant des clients transfrontaliers”. Les premiers “éléments troublants” de preuves apparaissaient pourtant bien.

Bien avant les accusations de Bernard Monnot, la justice lyonnaise avait jugé Patrick Minguez, un vendeur d’automobiles qui avait escroqué ses clients pour plus de 10 millions de francs à l’époque. Minguez avait obtenu un de ces fameux prêts adossés de la part de la Banque cantonale de Genève d’environ 5 millions de francs. “Cet établissement a, en toute connaissance de cause, mis en place un mécanisme permettant de faire “travailler” l’argent de provenance douteuse”, affirmera le tribunal de grande instance de Lyon. Procureur à Lyon à l’époque, Philippe Courroye regrettera que “l’instruction n’ait pas creusé le rôle de la filiale de la Banque cantonale de Genève. C’est une carence du dossier”. Si le volet lyonnais de la Banque cantonale de Genève n’a étonnamment pas perduré, l’établissement suisse est depuis dix ans dans le viseur de la justice pour des pertes frauduleuses de 20 milliards de francs, des faux bilans et des faux titres. Un nouveau procès doit d’ailleurs s’ouvrir dans les prochaines semaines à Genève.

Le rôle des avocats

“Si vous voulez savoir comment font les grosses fortunes pour aller en Suisse, il faut se pencher sur les plus gros cabinets d’avocats d’affaires lyonnais”, juge un professionnel du secteur financier de Lyon qui requiert, lui aussi, l’anonymat. La chose est peu connue mais les avocats sont extrêmement vulnérables au risque de blanchiment d’argent dont la provenance peut être occulte. Les avocats sont conduits à manipuler des fonds pour le compte de leurs clients et à payer des transactions entre deux clients dans le cas de décisions de justice, à travers la Caisse de règlements pécuniaires des avocats (Carpa), sorte de compte en banque que possède chaque avocat.

Dans les écoles d’avocats, est souvent présenté le cas pratique suivant : un avocat a un client qui est assigné à payer une très forte somme d’argent à un adversaire. Le dossier est tellement mauvais que le client est condamné par une décision de justice à payer. L’avocat de la partie adverse exige la somme, qui est réglée en transitant par un compte tout à fait officiel, le compte Carpa de l’avocat du client condamné. Le rôle des avocats s’arrête là, sauf qu’ils ont été victimes d’une opération de blanchiment à leur insu. Les deux clients étaient en réalité de mèche et ont monté l’opération de toutes pièces. Cas complètement théorique ? Pas vraiment si l’on en croit le récit d’une affaire identique obtenu auprès de cet avocat d’affaires de Grenoble que l’on ne peut évoquer que par ses initiales : J.D. Ce dernier, n’étant pas dans l’obligation de dénoncer un soupçon de blanchiment en raison du secret professionnel, avait refusé de défendre son client qui avait un litige totalement fictif avec un tiers à... Genève précisément !

Mais les avocats peuvent aider leurs clients en toute connaissance de cause à s’installer en Suisse ou dans tout autre paradis fiscal. Ainsi, sur le site Internet d’un avocat lyonnais, Stéphane Drai, des clients peuvent être tentés par une plaquette publicitaire totalement décomplexée : “Nous fournissons du conseil pour la création de votre société offshore, choix du pays, choix du montage, en relation avec notre cœur de métier : l’expertise juridique. Nous vous proposons (...) les principaux pays offshore où vous pourrez créer votre société offshore, les avantages et les précautions à prendre. Nous ne favorisons ni ne soutenons l’évasion fiscale, moralement et légalement répréhensible, mais nous vous proposons des solutions d’optimisation de votre fiscalité.” Chacun sait donc à quoi s’attendre puisque c’est écrit en toutes lettres : “L’évasion fiscale est moralement et légalement répréhensible.”

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* Voir “Ces entreprises lyonnaises qui aiment les paradis fiscaux” (Lyon Capitale de janvier 2010).

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