Les chercheurs sont divisés : difficile de mesurer l’impact du biologique et du sociologique sur la construction de l’identité sexuelle. Lyon Capitale fait le point à l’heure de la mise en place des “ABCD de l’égalité” par Najat Vallaud-Belkacem.
La réponse a semblé évidente pendant des siècles : filles et garçons n’auraient pas les mêmes tempéraments, habiletés et comportements, pour la bonne et simple raison qu’ils n’ont pas le même corps. Entre autres stéréotypes, les garçons seraient prédisposés aux tâches manuelles et se repéreraient mieux dans l’espace, tandis que le “sexe faible” serait destiné à servir autrui et à la maternité. Cette vision du masculin et du féminin a donné lieu à toutes sortes d’analyses qui, avec le recul, paraissent dépassées.
L’anthropologue Gustave Le Bon a ainsi écrit en 1879 : “Tous les psychologistes qui ont étudié l’intelligence des femmes ailleurs que chez les romanciers et chez les poètes reconnaissent aujourd’hui qu’elles représentent les formes les plus inférieures de l’évolution humaine et sont beaucoup plus près des enfants et des sauvages que de l’homme adulte civilisé.”
À l’époque, les chercheurs ne se rendaient pas compte qu’ils véhiculaient des stéréotypes sexistes. Du coup, les scientifiques d’aujourd’hui se demandent si eux aussi n’auraient pas tendance à être machos sans le savoir, quand ils décrivent les différences biologiques entre les hommes et les femmes. D’où l’émergence, à la fin du XXe siècle, d’une nouvelle question : toute catégorisation des sexes est-elle une construction sociale sans fondement objectif, ou de réelles différences comportementales existent-elles ?
Selon le neurobiologiste Jean-François Bouvet (Le Camion et la Poupée, éd. Flammarion), la seconde hypothèse domine, même s’il reste difficile de démêler ce qui relève de l’éducation et du déterminisme biologique : “Les seuls domaines pour lesquels c’est relativement clair sont l’orientation spatiale et le langage. Le cortex s’épaissit nettement dans les zones associées au langage chez les filles. Or, les garçons auront, eux, une couche plus épaisse dans les zones favorisant l’orientation spatiale.”
Le corps en question
“L’existence de facteurs biologiques et sociaux semble aujourd’hui établie, mais on ne connaît pas leur poids respectif ”, précise Sophie Kern, directrice du laboratoire Dynamique du langage à l’université Lyon 2. Les dernières études montrent que les hormones ont un impact sur le développement du cerveau, semblant conduire les filles à parler mieux et plus tôt que les garçons.
Néanmoins, la façon dont les adultes (parents, professeurs...) s’adressent aux enfants joue également, et le poids du milieu économique et social reste fondamental. Un exemple : “Des études ont longtemps montré que le langage du père ouvrait davantage l’enfant au monde extérieur que celui de la mère. En fait, c’était très lié au fait que les femmes restaient plus souvent au foyer que les hommes, et on obtient exactement le résultat contraire dans les familles où la femme travaille tandis que le père reste à la maison”, explique Sophie Kern.
D’autres universitaires s’appuient sur ce genre de résultats pour avancer que tout serait acquis. “Un cerveau ne peut se construire qu’en interaction avec l’environnement, explique ainsi la neurobiologiste Catherine Vidal, auteur de Hommes, femmes : avons-nous le même cerveau ? (éd. Le Pommier). À la naissance, il n’est pas achevé : seuls 10 % de nos 100 milliards de neurones sont connectés entre eux. Le reste va se connecter en fonction du développement de l’enfant.” Autrement dit, les interactions avec l’environnement détermineraient l’essentiel de la construction du cerveau.
Quelque part entre Sartre et Merleau-Ponty
Bref... difficile de trancher. Selon Roman Pétrouchine, pédopsychiatre lyonnais, “il serait absurde de nier toute différence biologique entre les garçons et les filles. Mais il n’y a aucune preuve, pour autant, qu’il y ait une dimension biologique dans leur expression comportementale respective (...) Au fond, c’est le problème de l’inné et de l’acquis, et ça relève peut-être davantage de la métaphysique que de la science”. On peut en effet considérer, comme Jean-Paul Sartre par exemple, que l’existence précède l’essence, qu’on ne naît donc pas homme ou femme, mais qu’on le devient. On peut également envisager, comme Maurice Merleau-Ponty notamment, que l’influence du corps sur la pensée est essentielle, donc que différentes constitutions biologiques pourraient impliquer des variations dans la façon de penser. La réponse est peut-être entre les deux.
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Cet article est paru dans Lyon Capitale 725 (septembre 2013).