« Il faut mettre l'humain au centre de tout », « Bannissons le management par la terreur », voilà entre autre ce qui était inscrit ce matin sur les banderoles des salariés de France Télécom. Ils étaient près de 500 à s'être rassemblés devant la direction lyonnaise de l'entreprise pour clamer leur tristesse et surtout leur colère suite au suicide lundi matin d'un employé à Annecy.
Jean-Paul Rouanet avait 51 ans, il était marié et père de deux enfants. Depuis deux mois, il avait été muté au service des plateformes téléphoniques, un service « invivable » d'après Marie-Hélène Vayssie, représentante CGT. Son état « dépressif » et sa fragilité avaient été signalés à la direction par les délégués du personnel. Une lettre retrouvée dans sa voiture indique clairement que son mal-être au travail a engendré le passage à l'acte.
Appel à l'aide
Jean-Paul Rouanet est le 24ème salariés de France Télécom à se donner la mort depuis février 2008. « 24 c'est déjà trop » estime Marie-Hélène Vayssie, qui confie, par ailleurs, que ses collègues sont de plus en plus nombreux à prendre des antidépresseurs. Six suppressions d'emplois avaient été annoncées à l'agence du boulevard Vivier Merle à Lyon, puis la direction a déprogrammé le projet au vu de la vague de suicides.
Michel Dulac, salarié France Télécom à Lyon, travaille dans un service identique à celui de Jean-Paul Rouanet. Il explique son geste par le décalage des compétences des salariés avec leurs attributions. Pour lui, chacun n'est pas au poste qui lui conviendrait le mieux: « La direction se fiche des formations et des compétences des salariés, elle les oblige à vendre des produits qu'ils ne connaissent pas et avec lesquels ils ne sont pas d'accord ». Par dessus tout, les managers seraient « incapables de gérer une équipe ». Mobilités forcées, passages entre les services techniques et commerciaux, pression du rendement etc. sont autant de raisons à considérer également.
La direction attendue au tournant
Contrainte de réagir suite aux événements récents, la direction a ouvert cinq chantiers de négociations le 10 septembre dernier. Au programme: la reprise du dialogue avec les salariés de l'entreprise. « Nous attendons pourtant toujours des réponses » déclare Michel Dulac. « Nous voulons aboutir à des réformes d'organisation mais cela ne va pas se faire en quelques jours », répond Denis Roussillat, directeur régional de France Télécom.
Ce matin là, les multiples interventions des syndicats ont poussé la direction à descendre de ses bureaux. Seule Françoise Bayle, directrice territoriale de France Télécom, a affronté la foule. Elle a déclaré devant les salariés qu'un CHSCT – Comité d'hygiène , de sécurité et des conditions de travail – exceptionnel allait être mis en place dès mercredi pour réfléchir à l'organisation et aux conditions de travail. Quant à Denis Roussillat, il a pris à part les journalistes en « s'allégeant » des représentants syndicaux. « Nous sommes très attristés par cette vague de suicide, nous travaillons à ce que cela ne se reproduise pas » affirme le directeur régional, tout en rajoutant : « Ne vous inquiétez pas: les salariés de France Télécom d'Annecy n'auront plus à se soucier de réaliser des objectifs ». Oui, mais seulement pour une durée d'un mois ...pas vraiment de quoi apaiser les esprits.
Lisa Bron et Justine Lafon