Le professeur de la Sorbonne Patrick Artus signe la cinquième de nos tribunes économiques quotidiennes, dans le cadre du partenariat de Lyon Capitale avec les Journées de l’économie 2016. Son sujet : quelles réformes pour éviter le déclin de la France ?
“On parle souvent des points forts de l’économie française : qualité des infrastructures de transport, des ingénieurs, faible coût de l’énergie. Mais il faut réaliser que, malgré ces quelques points forts, la France va être confrontée à un déclin certain, dû à des faiblesses structurelles majeures, si un certain nombre de grandes réformes ne sont pas réalisées : réforme du système éducatif et de la formation professionnelle, réforme du système de retraite, réforme du financement de la protection sociale, réforme du système incitatif en direction des entreprises.
Beaucoup d’autres réformes (de la fiscalité des revenus du capital, du financement des syndicats, des contrats de travail…) seraient utiles, mais, sans les cinq réformes citées ci-dessus, la France conservera un taux de chômage structurel très élevé, un déficit chronique de la protection sociale, des obstacles à la mobilité des salariés et à la création des nouvelles formes d’emploi, une obsolescence du capital d’où la faiblesse de la productivité et de la croissance de long terme.
On peut bien sûr tenter de se raccrocher à quelques avantages comparatifs de la France. Ceux qui refusent l’idée du déclin de la France évoquent la qualité des infrastructures de transport, la qualité des ingénieurs (cependant 24 % des jeunes seulement font des études scientifiques), le faible coût de l’énergie pour les entreprises, le nombre élevé de créateurs d’entreprises (deux fois plus élevé par rapport à la population qu’aux États-Unis).
Mais, malgré ces quelques avantages réels, il faut réaliser qu’il y a vraiment un déclin de la France, visible par exemple à la hausse du chômage structurel (incompressible, probablement 9 % aujourd’hui), du chômage des jeunes (25 %), au niveau très élevé de jeunes sortant du système éducatif sans aucune qualification : plus de 17 % des jeunes de 15 à 29 ans en France sont déscolarisés et sans emploi.
Il faut aussi s’inquiéter de l’affaiblissement des gains de productivité, qui ne sont plus que de 0,5 % par an dans la période récente, contre 1,5 % par an au début des années 2000. Cet affaiblissement du progrès technique doit être relié à la désindustrialisation, à la dégradation du commerce extérieur hors énergie, au transfert des emplois vers les services peu sophistiqués où les niveaux de revenus sont faibles. La capacité de production de l’industrie en France a baissé de 12 % depuis 2006 ; l’emploi industriel sur la même période est passé de 12 à 9,5 % de l’emploi total et, hors énergie, la France a maintenant un déficit extérieur alors qu’il y a vingt ans elle avait un excédent de plus de trois points de PIB.
Fondamentalement, toutes ces difficultés doivent être rapprochées de l’insuffisance de la modernisation du capital des entreprises en France : leur investissement en nouvelles technologies est deux fois plus faible que celui des entreprises de l’ensemble de la zone euro, trois fois plus faible que celui des entreprises américaines ; le nombre de robots par salarié de l’industrie en France est deux fois plus faible qu’en Allemagne, trois fois plus faible qu’au Japon, quatre fois plus faible qu’en Corée.
Enfin, on doit aussi mentionner la hausse tendancielle du poids des dépenses publiques et de la pression fiscale, celle-ci portant surtout sur des impôts très défavorables à l’emploi, comme les cotisations sociales des entreprises (11,5 % du PIB en France contre 8 % en Espagne et 6,5 % en Allemagne).
La théorie du déclin de la France peut donc légitimement s’alimenter de la hausse du chômage structurel, de l’exclusion, de l’affaiblissement des gains de productivité donc de la croissance potentielle, de la déformation de l’économie vers les emplois peu qualifiés à salaire faible, de la désindustrialisation, de l’incapacité croissante à équilibrer le commerce extérieur, de l’obsolescence du capital des entreprises, de la hausse des impôts défavorable à la croissance, à l’emploi.
Quelles réformes pourraient arrêter ce déclin en France ?
Il s’agit d’abord d’un système éducatif qui donne une seconde chance aux jeunes. Le chômage des jeunes progresse avec la proportion des jeunes sortant du système éducatif sans aucune qualification, on l’a vu plus haut. Donner aux jeunes en échec scolaire une seconde chance est donc absolument indispensable, ce qui peut se faire dans des centres de formation en partenariat entre le système public d’éducation et les entreprises, organisation dont plusieurs exemples, couronnés de succès, existent déjà.
Ceci plaide bien sûr pour un système de formation professionnelle efficace. Le système actuel en France est très coûteux (1,5 % du PIB), ne prépare pas aux emplois disponibles, ne redresse pas le niveau de compétences de la population active. Un partenariat étroit entre les institutions de formation, les collectivités locales et les entreprises permettrait de définir efficacement les contenus des formations. Les entreprises recherchent en vain des salariés dans les services scientifiques, la santé, la restauration et l’hôtellerie, le commerce, l’agriculture, l’enseignement. Les enquêtes de l’OCDE montrent que le niveau de compétences de la population active en France est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE.
Le système de retraite doit être profondément réformé. Le système présent en France est coûteux (45 % plus que dans la moyenne des pays de l’OCDE), injuste (multiplicité des régimes avec des générosités différentes), défavorable à la mobilité des salariés, inadapté aux nouvelles formes d’emploi (autoentrepreneurs). Un système par points unique, la valeur du point dépendant de la croissance et de la démographie de manière à assurer l’équilibre du système, avec neutralité actuarielle (la retraite dépend de manière directe du nombre de points accumulés) serait un progrès considérable.
De manière globale, le mode de financement de la protection sociale en France doit être profondément repensé. Faire peser la charge sur les impôts qui ne nuisent pas à la compétitivité et qui ne détruisent pas d’emplois (la TVA plutôt que les cotisations sociales des entreprises) permettrait de maintenir une générosité de la protection sociale plus élevée en France que dans les autres pays. En particulier, la disparition des diverses cotisations sur les plus bas salaires réduirait fortement le chômage des peu qualifiés.
Enfin, les politiques publiques devraient inciter les entreprises à moderniser leurs équipements (leur capital). On l’a déjà évoqué plus haut, les entreprises françaises ont un handicap considérable de modernisation de leur capital. Le crédit d’impôt Recherche (CIR) a eu un effet très positif sur la localisation en France des activités de recherche. On pourrait imaginer un crédit d’impôt Robots soutenant substantiellement les investissements en robots, en nouvelles technologies des entreprises.
Sans les réformes que nous avons décrites (éducation, formation, système de retraite, financement de la protection sociale, soutien à la modernisation des entreprises), la France serait durablement confrontée à un chômage structurel, des jeunes, des peu qualifiés, élevé durablement, à un déficit chronique de la protection sociale, à une faible mobilité des salariés, à des obstacles à la création des nouvelles formes d’emploi, à la poursuite de l’obsolescence du capital donc de l’affaiblissement de la productivité. Il faut donc se concentrer sur ces quelques points centraux, et répéter le rôle majeur de l’amélioration de l’ensemble du système d’éducation et de formation.”
Bibliographie sélective de Patrick Artus :
• (avec Marie-Paule Virard) Croissance zéro, comment éviter le chaos, Fayard, 2015
• (avec Marie-Paule Virard) Les Apprentis sorciers – 40 ans d’échec de la politique économique française, Fayard, 2013
• (avec Marie-Paule Virard) La France sans ses usines, Fayard, 2011
• (avec Marie-Paule Virard) Comment nous avons ruiné nos enfants, La Découverte, 2006
Patrick Artus aux Journées de l’économie Il participera à la table-ronde “Le monde est devenu différent” avec Laurent Berger, Louis Gallois, Cécilia Garcia Penalosa, Jean Pisani-Ferry et Stéphane Richard Mardi 8 novembre, de 11h à 13h, à la Bourse du Travail Inscription sur le site des JECO 2016 |
Ce monsieur n'a apparemment pas bien pris en compte la technologie qui remplace le travail (et donc les salaires) humains.Le déclin n'est pas celui de la France, mais une évolution à l'échelle de la planète toute entière. Destruction des ressources, destruction de l'humain : la guerre économique (locale et trans-nationale) est totale. Dommage que lors de ces débats sur l'économie, il n'y ait qu'un seul son de cloche : 'on peut réparer les trous dans la coque du Titanic'....Alors qui sont les 'utopistes' ? Ceux qui veulent faire mieux avec les mêmes paramètres depuis 3000 ans, ou ceux qui ont compris qu'il faut changer radicalement (et pacifiquement) de modèle économique ?
Les libéraux ont toujours les mêmes rengaines depuis maintenant plus de 40 ans. Cela fait pourtant 40 ans que leurs préconisations sont appliquées. Et celles-ci ne fonctionnent bien entendu absolument pas. Enfin, en fait, si, elles fonctionnent pour l’objectif réel de ces politiques : donner tout pouvoir au capital, donc à ceux qui en ont, sur nos vies.Pour s’en assurer, il suffit de voir, ce qui, depuis 40 ans, a été fait, et qui y a gagné. Le modèle économique prôné par ce triste personnage — qui, rappelons le, n’est pas que professeur, mais est aussi directeur chez Natixis et administrateur de Total — ne fait que défendre ses intérêts, à lui-même et à ceux de sa caste de nantis et privilégiés.
notre homme a SA solution, comme tous les ultras libéraux . Conseil d'administration chez Total, Ipsos , désigné 'meilleur économiste 1996 (Nouvel économiste) on peut modestement lui conseiller la lecture de 'Un autre monde ', du Nobel d'économie 2001 Joseph Stiglitz qui vient contredire ses affirmations . Arthus , économiste qui viendra nous expliquer demain que ce qu'il annonçait hier ne s'est pas produit aujourd'hui, la faute à la crise, qu'il na su prévoir, pas bien pour un homme qui se verrait nobélisable.