L’ancien adjoint à la culture de Raymond Barre salue les Zonzons, la compagnie qui animait le théâtre municipal de Guignol depuis 1998. Car les Zonzons quittent Lyon pour les îles. Après avoir “redressé et assuré l’avenir de Guignol”, selon Denis Trouxe.
“Je vais vous couper la chique. Je dirais même mieux, vous allez me faire un patacul. La bande à Guignol, bien connue sous le nom de Zonzons, s’en va, elle quitte Myrelingues la Brumeuse pour aller amuser l’Océanie et toutes ses îles ! Vous savez, ces îles sur catalogues de vacances pour rupins dont les noms s’épèlent au son des guitares hawaïennes : Fidji, Cook, Mariannes, Samoa… et, plus “proches” de nous, Maurice, Nouvelle-Zélande, Madagascar, Nouvelle-Calédonie… Eh bien, ils s’en vont là-bas, s’accuchonner avec des étrangers et barjaquer le langage de Guignol, entre autres. Ils pensent y ajouter du créole.
Un abousement
Leur convention avec la Ville de Lyon se termine le 31 décembre. Ils ont annoncé leur départ. Pour l’instant, on ne sait rien sur la suite, donc sur l’avenir de Guignol à Lyon. Son théâtre est en ordre, avec un bon bilan. Pas de déficit. Des tournées dans vingt et un pays, dont la Chine. Des représentations à 2 500 spectateurs. Ajoutons une biennale “Moissons d’avril” – qui en est à sa onzième édition – qui à son départ fit trembler Charleville-Mézières, la capitale de la marionnette. Elle croyait que Lyon allait mettre le paquet pour lui prendre la place, car elle connaissait, elle, la formidable image de Guignol pour peu que l’on veuille l’exploiter. Et, surtout, ne l’oublions pas, toujours dans le bilan, une tentative – de leur propre initiative et qui aura duré deux ans – pour faire classer Guignol au Patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Tentative lourde de dossiers et de réunions, qui se termina avec un avis encourageant des huiles du ministère pour aller plus loin d’une part… et une décision d’en rester là par les autorités régionales d’autre part. Un abousement de première classe.
Mouiller les quinquets
Bref, un bilan que j’aurais bien aimé connaître de mon temps d’adjoint, au lieu d’une situation désastreuse qui m’amena à engager l’équipe actuelle, ces grands gognands de Zonzons, pour redresser et assurer l’avenir de Guignol. Ce qu’ils ont fait et continueront à faire en Océanie avec l’aide du service culturel de la Commission de l’océan Indien (rin que ca !), un peu l’équivalent de la commission Culture pour l’Europe. Ça me fait quet’chose, ça me remue le placard à boyaux et j’en mouillerais presque mes quinquets, dirait Guignol. Un truc typiquement de Lyon qui s’en va dans les îles ! C’est presque un comble. Guignol peine à exister chez nous, mais les autres le veulent. Déjà, en 2015, Filip Auchère, le Zonzon en chef, avait exprimé ce malaise dans une de ses créations, Pour en finir une bonne fois pour toutes avec Guignol, où Guignol finissait pendu à ce gibet, élément permanent du castelet italien, pour estourbir les personnages embarrassants. Bien sûr, il y aura toujours une boutique de ci de là, un petit théâtre méritant qui reprendra le répertoire existant un peu comme dans toutes les villes. À ce propos, Jean-Guy Mourguet, figure historique du Guignol, disait : “Il y a ceux qui se servent de Guignol et ceux qui servent Guignol.” Le travail des Zonzons était d’introduire de la contemporanéité, de l’évolution, de créer des événements avec d’autres compagnies nationales et internationales, de voir plus loin que leurs marionnettes.
Les racines du rire, du grinçant, du burlesque…
En ce sens, ils auront bien servi Guignol et la ville de Lyon. Mais l’on ne peut s’empêcher de songer aux développements potentiels de cette filière comique qui pourraient s’appuyer sur la légitimité symbolique portée par Guignol. Oui, il y a dans Lyon les racines du rire, du burlesque, du grinçant, du cocasse, comme il y a les racines du 8 Décembre, du cinéma, de la cuisine, de la soie, mais le plus proche parent de cette dernière – le musée des Tissus – semble pâtir lui aussi du même retard à l’allumage d’une stratégie qui le sortirait de sa difficulté à exister. Quand les racines sont là, ce sont autant de chances de réussite d’événements pour une ville car elles font partie de l’imaginaire collectif et ne demandent qu’à reprendre une nouvelle vie. Pour le dire autrement, encourager des événements sur le rire dans notre ville ne lui ferait pas de mal.
Malheureusement, les gones du Guignol ne connaîtront pas ce jour puisqu’ils préfèrent s’en aller grôlasser dans les îles. Après dix-huit ans de service – la plus longue des directions de ce théâtre –, ils vont nous quitter, sans bruit. Mais, avant ce grand départ, j’espère qu’avec Gnafron, Madelon, Guignol, plusse cette grande gognande de Stéphanie et son Zonzon de Filip Auchère, on ira se rincer le corniolon une dernière fois.”
Denis Trouxe,
ex-adjoint à la culture et au patrimoine de la ville de Lyon