D’abord prévue pour début mars, puis début avril, l’ouverture du premier hôpital fermé dédié aux détenus atteints de maladies psychiatriques, est sans cesse repoussée. Maintenant les personnels soignant menacent de faire grève le jour de l’ouverture.
Les travaux sont finis, les personnels installés et les protocoles de soin validés. On n'attend plus que les détenus dans cette première Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) dédiée aux détenus atteints de troubles psychiatriques. Pour ouvrir, ce premier “hôpital prison” (le nom consacré par la presse, lire ici et là) de soixante lits a besoin d’un décret en Conseil d’Etat qui tarde à venir. “Il manque ce décret. Mais je ne sais pas quand il sera pris”, confirme Hubert Meunier, le directeur de l’hôpital du Vinatier dans l’enceinte duquel est édifiée l’UHSA. “Officiellement rien ne bloque, affirme de son côté Pierre Lamothe, psychiatre, médecin-chef des prisons de Lyon et de l’UHSA. Officieusement, les cabinets ministériels concernés (Justice, pour la partie pénitentiaire et Santé, pour la partie sanitaire du projet) sont d’une extrême prudence avant l’ouverture du premier établissement de ce type à Lyon qui fait figure d’unité pilote puisque dix autres UHSA devrait être édifié partout en France d’ici 2012.
Sarkozy sème la confusion
L’Elysée est très attentif au projet de l’UHSA et à la manière dont il pourrait être médiatiquement utilisé. En février, la direction du Vinatier annonçait même la présence de Nicolas Sarkozy pour l’inauguration imminente cet “hôpital prison”. Le président de la République connait bien l’UHSA pour avoir tenté d’en dénaturer le projet en août 2007, encore une fois en hyper-réagissant à un fait divers. Après l’enlèvement puis le viol du petit Enis par Francis Evrard, délinquant sexuel multirécidiviste, Nicolas Sarkozy annonçait sans ciller l’ouverture, à Lyon, “courant 2009”, du premier “hôpital prison pour pédophiles”. A l’hôpital du Vinatier, cette annonce fracassante a rapidement été démentie. Le premier établissement de “rétention de sûreté” n’ouvrira pas à Lyon mais à Fresnes, en région parisienne. Toutefois, la confusion subsiste encore bien que le projet d’UHSA résulte d’une loi de 2002 visant à améliorer la prise en charge des prisonniers souffrant de troubles psychiatriques (lire notre article). “L’UHSA ne sera pas un hôpital pour pédophiles car être pédophile n’est pas une maladie. Ils seront soignés s’ils souffrent de troubles psychiatriques et ont besoin de soins lourds”, Pierre Lamothe.
Deux administrations pour un hôpital
Autre confusion qui n’aide pas à son ouverture, la présence pour faire fonctionner l’UHSA de deux administrations : la santé et l’administration pénitentiaire. L’UHSA se présente comme un hôpital auquel on a ajouté une enceinte carcérale de six mètres de haut. Le rôle des surveillants de prison sera limité au contrôle des entrées et sorties, et aux transferts de détenus. Une fois passés de l’autre côté, les détenus verront leur vie quotidienne gérée par des personnels de l’hôpital public, à l’identique de ce que les malades pourraient trouver à une encablure, au sein du Vinatier. A quelques différences près “l’administration pénitentiaire a une peur bleue des évasions, confie un médecin. Elle est complètement obsédée par la sécurité”.
Conséquence : les soignants (infirmiers, aides soignants,...) rempliront des tâches de sécurité qu’ils ne remplissaient pas jusque-là. Ils devront notamment passer au détecteur de métaux, “la douchette”, chaque détenu-patient lors du retour à l’intérieur des bâtiments. La pénitentiaire craignant l’introduction d’objets (téléphones portables, drogues,...) qui pourraient être projetés dans les espaces de promenade. Lors des transferts de prisonniers, les personnels soignants devront certainement porter des gilets pare-balles.
Malaise chez les personnels soignants
Cette confusion entre les rôles des soignants et des surveillants sème le trouble chez les personnels médicaux. “En prison, la blouse blanche est respectée car elle est identifiée comme une personne qui apporte des soins. Si demain on nous confond avec les “bleus” de la pénitentiaire, nous ne serons plus en sécurité”, constate, amer, Pierre, l’un des infirmiers de l’UHSA qui travaillait auparavant en prison.
Le malaise s’est cristallisé autour du montant de la prime de risque qui sera de 117 euros au lieu des 234 euros que touche tout personnel des Unités pour Malades Difficiles (UMD) où les soignants sont en contact avec les malades les plus perturbateurs. “Lors de notre embauche, on nous avait promis une prime d’un montant équivalent à celle des UMD, poursuit Anne-Gaelle, une autre infirmière. Ce qui avait pesé dans nos choix. Aujourd’hui, on se sent floués. D’autant plus que cette prime représente la reconnaissance d’un risque”.
Soutenue par la CGT, les 36 employés de l’UHSA ont signé un texte réclamant 234 euros de prime. La pétition, également paraphée par le médecin-chef Pierre Lamothe, a été envoyée à la direction de l’hôpital et surtout au ministère de la santé, décisionnaire en matière de rémunération. En l’absence de réponse, les personnels ont décidé de déposer un préavis de grève pour le jour de l’ouverture, quand on le connaîtra. Une délégation des personnels de l'Unité doit être reçue par la direction ce lundi 26 avril. Si la menace de grève est mise à exécution, les premiers prisonniers ne pourraient pas être transférés à l’UHSA. Et les lieux resteraient vides. En attendant le jour J, les personnels qui étaient en poste au sein de l’unité depuis un mois, ont regagné ce lundi 26 avril des unités classiques du Vinatier.
-----------
Trois unités dans l’UHSA
A terme, l’Unitié hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) devrait fonctionner autour de trois unités, comportant environ vingt lits chacune. Une “unité d’accueil et d’observation”, où il est postulé que le patient est dans un état tel de tension qu’il ne peut pas se gérer en collectivité. Une “unité de vie collective” qui prépare le retour à la prison ou à la sortie. Et une “unité de soins séparés” qui est une sorte d’unité intermédiaire qui accueillera des personnes fragiles et les mineurs. Actuellement seule la première unité ouvrira lorsque le Conseil d’Etat donnera son feu vert. Après une montée en charge progressive, 120 soignants devraient s’occuper de soixante détenus. Aucune surpopulation étant prévue.