La mission régionale d’information sur l’exclusion a présenté ce mardi les résultats de sa première enquête de conjoncture sur la pauvreté en Auvergne-Rhône-Alpes. Les travailleurs sociaux y dressent un tableau noir de la situation des personnes en situation de pauvreté et évoquent la crise de sens que traverse leur profession.
Ce mardi soir, dans son local du 7e arrondissement, la mission régionale d’information sur l’exclusion (MRIE) a rendu les conclusions de sa première enquête de conjoncture sur la pauvreté, intitulée “Que disent 400 acteurs de terrain sur l’évolution de la pauvreté en Auvergne-Rhône-Alpes ?” Cette enquête vise à donner, tous les six mois, une image plus fine de la réalité vécue par les travailleurs sociaux et une lecture en temps réel de la pauvreté dans la région.
Crise de sens
Ce premier rapport pointe le mal-être et le manque de perspectives positives pour ces travailleurs, qu’ils soient associatifs ou institutionnels, dans la région. À la question “Par rapport à ce qu’il se passait il y a six mois, avez-vous l’impression que les personnes en situation de pauvreté sont : moins nombreuses, aussi nombreuses, plus nombreuses… ?” seulement 1 % des interrogés les estimaient moins nombreuses, 67 % les trouvant aussi nombreuses et 27 % plus nombreuses. Concernant le futur, les travailleurs sociaux ne sont pas plus optimistes : 58 % pensent que le nombre de personnes en situation de pauvreté va augmenter, 6 % qu’il va se stabiliser et aucun qu’il va s’améliorer.
Des chiffres représentatifs d’une réalité vécue au quotidien, soulignent les personnes présentes dans le 7e ce mardi, qui pour une bonne partie avaient participé à l’enquête. “Il y a une crise du sens du travail social. Aujourd’hui, pour les personnes en situation de pauvreté, il y a aussi une notion de porte fermée au niveau de l’Administration et les acteurs de proximité qui font de la réinsertion se retrouvent à faire de la mise en relation avec l’Administration plutôt que d’autres missions. On ne fait plus un travail social émancipatoire, mais un travail d’urgence”, explique une assistante sociale dans un centre communal d’action sociale (CCAS). “Quand on se dit “Est-ce que quelque chose à venir va améliorer les choses ?” il n’y a pas vraiment de raison d’être positif”, ajoute une assistante sociale du Chambon-sur-Lignon. Même discours de la part d’un responsable associatif qui estime que ce mal-être se transmet au public concerné par l’aide : “La souffrance des travailleurs sociaux se répercute aussi sur la confiance qu’ont les gens en notre travail. Parce que les gens ont parfois, pour diverses raisons, subi plusieurs échecs avec les travailleurs sociaux, qui aujourd’hui ne peuvent pas résoudre tous les problèmes.”
“Un écart énorme entre la décision politique et la réalité de terrain”
Cette difficulté à exercer leur métier résulte aussi de décisions politiques, estiment-ils. Ainsi, la dématérialisation des démarches administrative est pointée du doigt par 32 % des interrogés comme un problème pour les personnes en situation de pauvreté. “Quand une personne ne sait pas comment récupérer ses documents en ligne, ça bloque totalement le processus de constitution d’un dossier et cela peut aboutir à l’abandon de la démarche de la personne. Même certains jeunes qui savent utiliser l’outil informatique ne savent pas l’utiliser dans le contexte d’une recherche d’emploi ou de formulaire à remplir en ligne”, regrette une assistance sociale à la CAF. Alors que le gouvernement actuel souhaite étendre la dématérialisation des procédures, toutes les personnes présentes ce mardi soir à la MRIE jugent qu’il y a “un écart énorme entre la décision politique et la réalité de terrain”. “Parfois, sur la dématérialisation, le discours est trop révolutionnaire pour les publics concernés, comme les personnes à la retraite. Il aurait fallu aller moins vite”, estime l’une d’elles.
Le problème de la fin des contrats aidés
Avec une enquête tous les six mois, l’objectif est de voir poindre de nouvelles problématiques. C’est le cas de la suppression des contrats aidés décidée cet été par le Gouvernement, pointée du doigt par certains sondés dans cette première enquête. “La fin des contrats aidés a mis à défaut des familles. Ça a mis fin à des parcours d’insertion. Je suis désolée de le dire comme ça, mais on voit des personnes qui à nouveau se cassent la gueule. Ça a fragilisé les personnes, mais aussi les structures qui embauchaient ces personnes”, s’inquiète l’assistante sociale du Chambon-sur-Lignon. Seulement 9 % des sondés ont évoqué la suppression des emplois aidés comme un problème lors de cette enquête. “Maintenant, il faudra voir comment cette problématique évolue. C’est tout l’intérêt de faire cela tous les six mois. On pourra voir si l’impact sur la pauvreté de la suppression des contrats aidés diminue, se consolide ou s’aggrave”, conclut Annaïg Abjea, la directrice de la MRIE.