Daniel Vaillant
© Tim douet

Légalisation du cannabis : pour Hollande et Ayrault le débat est toxique

Après la Verte Cécile Duflot, un deuxième ministre s'est exprimé en faveur de la dépénalisation du cannabis, et non des moindres : Vincent Peillon a rappelé sur France Inter qu'il estimait, comme Daniel Vaillant l'année dernière, que la répression avait montré ses limites. Mais le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a clos le débat avant même qu'il ne soit réellement ouvert, demandant à son ministre de l'Éducation de s'occuper "de la politique de son ministère". Point barre. Pourtant, comme nous l'avions déjà évoqué lors de la sortie du rapport Vaillant, la question semble incontournable. Voici l'édito de Didier Maïsto, directeur de la publication, tel qu'il avait été publié à l'époque.

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Posté le 16/06/2011 à 17h43

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Le député PS et ancien ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant vient de dévoiler son rapport sur le cannabis, fruit du travail d'une dizaine de parlementaires. Lesquels ont auditionné des policiers, des magistrats, des sociologues, des addictologues et des malades. Plaidant pour une légalisation contrôlée par l’État pour mieux lutter contre les dangers du haschich, ces parlementaires appellent à "sortir de l'hypocrisie". La droite est contre. La gauche divisée.

Notre pays est l’un des plus répressifs en matière de législation, et pourtant le niveau de consommation, notamment chez les collégiens et les lycéens, a littéralement explosé ces dix dernières années. Si on abandonne un instant les positions de principe et les postures électoralistes pour se concentrer sur le monde réel, force est de constater que les lois, toujours plus répressives, comme les moyens policiers et judiciaires y afférents, ont totalement échoué, en dépit de leurs excellentes intentions de départ. Plus grave, le trafic s’est développé dans des proportions inquiétantes, transformant des quartiers entiers en camps retranchés et les sorties de collèges en grands marchés à ciel ouvert. Encore plus grave, les gamins fument aujourd’hui à peu près n’importe quoi, les dealers n’hésitant plus à introduire dans la résine de cannabis des produits toxiques tels que du cirage, des microbilles de verre ou encore de la poudre de pneu ! Le cannabis n’a jamais autant mérité son appellation de shit.

S’il n’est pas question ici de faire la moindre apologie de la drogue, il apparaît raisonnable et même courageux d’aborder le débat non plus sous l’angle moral mais bien en termes de santé publique. Et, de ce point de vue, le rapport parlementaire semble tout à fait équilibré. "Cela consisterait à ce que l'Etat encadre la production – ce qui permettrait de s'assurer de la qualité du produit –, ainsi que l'importation et la distribution dans des lieux dédiés. Plutôt que dépénaliser, je préfère changer totalement de pied. La dépénalisation apparaît comme un droit à la consommation, comme une liberté supplémentaire. Je ne suis pas dans cette logique. La légalisation, elle, permet de lutter contre le trafic", affirme Daniel Vaillant, tout en rappelant la puissance des lobbies sur l’alcool et "l’hypocrisie" des pouvoirs publics en la matière.

Sortir de l’hypocrisie

Il y a en effet un véritable tabou en France sur la question du cannabis. Qui n’existe pas pour la consommation d’alcool. Pourtant, ce fléau est de loin la première cause de mortalité sur la route, devant la vitesse. Le risque d’accident mortel augmente fortement en fonction du taux d’alcool dans le sang : à 0,5 g/l il est multiplié par 2, et à 1,2 g/l il est multiplié par 35 ! Or, que fait l’Etat ? Il multiplie les radars ! Il y aurait pourtant une mesure simple et efficace : doter obligatoirement chaque véhicule d’un éthylotest rendant impossible le démarrage, une fois le taux légal dépassé. Et ne pas se contenter d’interdire la vente d’alcool dans les stations-service après 18h00.

Il en va de même pour le tabac. On estime à 60.000 le nombre de décès annuels en France dus à la consommation de tabac, sans compter le développement exponentiel des cancers et des maladies cardiovasculaires, loin, très loin devant la consommation de cannabis. Or, que fait l’Etat ? Il prélève sa dîme (considérable) sur la vente de cigarettes et oblige les fabricants à apposer des images censées être dissuasives sur les emballages. C’est que le tabac comme l’alcool ne sont pas considérés comme des drogues, mais comme "des plaisirs" dont il ne faut pas trop abuser. C’est d’ailleurs le principal message des lobbies, reçu cinq sur cinq par les majorités successives. Rappelons que les cigarettes – légales, du commerce – comportent au bas mot 4.000 substances chimiques, dont du cyanure, du toluène (solvant industriel), du cadmium (utilisé dans les batteries), du polonium 210 (un élément radioactif), du chlorure de vinyle (matières plastiques) et encore de l’arsenic, du monoxyde de carbone et du méthanol. Sans compter toutes les autres substances favorisant l’accoutumance.

Derniers exemples éclairants et schizophréniques : la Française des Jeux et le PMU. Une fois encore, l’Etat se vautre dans la plus parfaite hypocrisie. "Tous les gagnants ont tenté leur chance", claironne même un slogan, particulièrement cynique. Les spots publicitaires envahissent nos écrans, où l’on voit des Français hilares plongeant dans des piscines débordantes d’euros facilement gagnés ou un couple de seniors blasés pédalant sur des vélos dorés à Las Vegas. La FDJ vole même au secours du budget de la nation et va jusqu’à sponsoriser des équipes cyclistes. On ne badine pas avec le Tour de France et ses héros au-dessus de tout soupçon !

Quant au PMU, il promet lui aussi monts et merveilles, dans des publicités ineptes et ridicules, au mauvais goût achevé. De morale, il n’est étrangement plus question. Et si les Français, notamment les plus modestes, ont "claqué" leur salaire le 3 du mois, c’est bien fait pour eux, que n’ont-ils mieux écouté le slogan débité en une demi-seconde, à la fin des spots : "Endettement, dépendance, isolement, jouer comporte des risques pour vous et vos proches." Il est utile de rappeler que les dernières études considèrent que jusqu’à 70% des personnes souffrant d’une addiction au jeu envisagent le suicide, qui reste la première cause de mortalité chez les 25-34 ans, l’alcool étant bien entendu un facteur aggravant dans le passage à l’acte. C’est loin d’être marginal, même si on en parle assez peu.

Alcool, tabac, jeux, les Français peuvent ainsi se défoncer (avec de graves conséquences pour ceux qui n’ont rien demandé, baptisés du doux nom de "proches") en toute légalité. L’Etat les a prévenus, ils connaissent les risques, ils peuvent crever tranquilles. Mais le cannabis, ah, c’est autre chose ! C’est de la drogue, vous entendez bien ces mots : de-la-drogue. Vos enfants fument de la poudre de pneu ? Les policiers veillent. La justice sanctionne. Les prisons ré-éduquent. La loi doit être respectée. La République ne laissera pas faire (elle a des valeurs, quand même, comme dirait Manuel Valls). Bref : la morale est sauve.

Loin de la caricature et des discours creux, Daniel Vaillant brise un tabou, tord le cou à l’hypocrisie et met le doigt sur les vrais problèmes, en proposant des pistes sérieuses et raisonnables, en sortant du seul champ de la morale pour basculer vers ceux, plus opérants, du pragmatisme et de la santé publique. Certes, la majorité – à l’image de Nora Berra, secrétaire d’Etat chargée de la Santé – ne veut pas en entendre parler, et les candidats PS aux primaires ont, soit courageusement botté en touche (François Hollande et Martine Aubry), soit fait part de leur hostilité (Ségolène Royal, Manuel Valls et Arnaud Montebourg), les uns et les autres craignant sans doute d’être accusés de laxisme, comme ce fut souvent le cas par le passé. Mais, en l’espèce, le pire laxisme serait le statu quo. Cette question mérite un vrai débat. Et pas seulement des postures morales.

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Trois propositions du rapport Vaillant

Légalisation du cannabis pour les majeurs. Pour en limiter les conséquences sociales, sanitaires et économiques. 53.000 hectares seraient ainsi cultivés selon des règles strictes pour garantir la qualité des produits. L'importation serait également contrôlée. La distribution aurait lieu sous licence, dans des débits ou des "cannabistrots", équipés d'un fumoir.

Répression des conduites à risque, sur le modèle de l'alcool. La légalisation ne remettrait pas en question l'interdiction de conduire sous l'emprise du cannabis. La consommation serait surveillée dans l'exercice des métiers dits à risques (mise en place de tests de dépistage).

Reconnaissance de l'usage thérapeutique du cannabis. Utilisation thérapeutique des cannabinoïdes et de la forme végétale du cannabis, reconnus dans le traitement des douleurs des cancers, scléroses en plaques ou maladie de Parkinson, à l’instar de ce qui se pratique dans de nombreux pays, en Europe et ailleurs dans le monde.

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