Antonio Guevara
@ Etienne Bouy

Les décès inexpliqués des anciens verriers de Givors

JUSTICE - Depuis plusieurs années, une épidémie de cancers décime les anciens salariés de la verrerie de Givors (VMC BSN Glasspack), fermée en 2003. Ceux qui restent se battent aujourd’hui pour la reconnaissance de l’origine professionnelle de leur maladie. Une audience est prévue ce mercredi 7 décembre, au tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon.

@ Etienne Bouy

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L’audience devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a d'abord était fixée au 22 juin, puis repoussée au 7 décembre. Christian Cervantes en attend beaucoup. Pas tant pour lui, que pour ses anciens collègues, car cet ex-salarié de la verrerie de Givors est aujourd’hui condamné par ses cancers. Comme certainement beaucoup d’autres ouvriers encore. Les résultats d’une enquête qu’ils ont menée en septembre 2009 sont en effet pour le moins inquiétants : sur les 208 personnes (et leurs familles) qui ont répondu*, 92 étaient atteintes de cancers (gorge, oreille, reins, poumons, leucémie…) et 82 d’autres pathologies (problèmes cardiaques, insuffisance respiratoire, problèmes ORL…). 21 de leurs collègues étaient décédés, dont 10 de mort subite. Soit dix fois plus que dans l’enquête de référence, menée entre 1990 et 1995, par la médecine du travail sur 20 000 salariés issus de sept régions. Deuxième constat saisissant : la carte des postes de travail coïncide précisément avec celle de la pollution des sols, farcis en plomb, chrome et hydrocarbures. “Est-ce seulement un concours de circonstances ou cela dénote-t-il une correspondance étroite de cause à effet ?” conclut l’étude.

“Sa pathologie ne rentre pas dans les cases”

La difficulté, c’est justement de prouver ce lien de causalité. Pour l’établir, un document est indispensable : l’attestation d’exposition individuelle aux produits toxiques. Seulement, ni BSN Glasspak, à l’époque, ni le repreneur, O-I Manufacturing (aujourd’hui plus grand fabricant d’emballages en verre d’Europe), n’ont voulu les fournir, alors même que la loi française y oblige. “Le directeur du travail a demandé à la médecine du travail d’expurger tous les dossiers des verriers, atteste Laurent Gonon, qui a coordonné l’enquête de santé. Il s’agit clairement d’une complicité de destruction de preuves.”Pour l’heure, un seul ancien verrier, Christian Cervantes, a engagé une action en justice : une plainte avec constitution de partie civile au pénal pour “blessures involontaires” et une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Lyon “visant à reconnaître que sa maladie est imputable à son travail”, explique Karine Thiebault, son avocate.

Ce que la caisse primaire d’assurance maladie "a refusé car sa pathologie ne rentrait pas dans les cases”. Une maladie peut en effet être reconnue comme maladie professionnelle si elle correspond à l’un des 118 tableaux reconnus par le régime de sécurité sociale.C’est ce recours devant le TASS qui sera jugé le 7 décembre prochain, mais qui devrait être une nouvelle fois repoussé selon Laurent Gonon, coordinateur de l'association des anciens verriers de Givors, faute de de documents nécessaires. Un espoir cependant pour Christian Cervantes et tous les anciens verriers de Givors, malades ou (encore) en “bonne” santé. Même si la route risque d’être longue et semée d’embûches pour une reconnaissance de leurs maladies. Comme celle des ouvriers exposés à l’amiante.

* 645 questionnaires avaient été envoyés aux anciens verriers de Givors et à leurs familles. Une grande majorité avaient travaillé à VMC BSN Glasspack à partir de 1970.

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Une vie de verriers

Diego Rodriguez

De la merde, j’en ai sacrément bouffé. Pendant trente-cinq ans, à raison de huit heures par jour. Sur certaines machines, on pleurait, c’était pire que l’ammoniac. Il y avait aussi un produit chimique, je me rappelle plus le nom, qui permettait de durcir le verre… Le tétra machin… Ça bouffait tout, ce truc, ça bouffait la tôle, même les cheminées en inox tombaient, trouées à mort…” En quittant la verrerie, Diego Rodriguez a des problèmes de dents, puis un gros abcès à la bouche. Il finit sur le bloc opératoire de la Croix-Rousse : cancer de la bouche. La mâchoire déformée, il n’a pas souhaité se faire prendre en photo. “Dans le fond, ce qui m’emmerde, c’est qu’on se bat depuis des années et que rien ne change… M’enfin, c’est comme ça.

@ Etienne Bouy

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Joseph d’Introno

Est décédé d’un cancer des poumons, il y a quelques mois. Il était rentré à la verrerie en 1970, comme son père et son frère avant lui. Treize ans à la fusion et vingt dans d’autres secteurs. En octobre 2009, il est pris de quintes de toux ; quelques mois plus tard, il ressent une douleur au côté, et en juin le diagnostic de cancer est posé. Tout s’accélère, les séances de chimio s’enchaînent, jusqu’à décembre 2010 : il tombe alors dans le coma, et décède. Aujourd’hui, si sa femme soutient l’Association des anciens verriers de Givors, c’est “pour tous ceux qui mettent leur santé en danger au travail”.

@ Etienne Bouy

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Antonio Guevara

Entré à la verrerie en 1962, “Frégate” a occupé plusieurs postes dans l’usine, certains exposés à l’amiante, d’autres moins. Au début des années 2000, il prend sa retraite. Fin septembre 2006, lui qui avait toujours eu une relativement bonne santé se plaint d’une douleur au dos, qui empire de jour en jour. Il est hospitalisé une semaine, et on lui apprend qu’il a un cancer du poumon. Le diagnostic est posé un vendredi, Antonio meurt le mardi suivant. Une douleur immense pour Anne-Marie, sa veuve, qui soutient le recours en justice de Christian Cervantes et “ne voit pas pourquoi il ne gagnerait pas”.

@ Etienne Bouy

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Maurice Privas

Des amis, Maurice Privas en a vu tomber malades, mourir, aussi, beaucoup. À 62 ans, cet ancien électricien d’entretien de la verrerie marche difficilement, appuyé sur une béquille. Il a circulé dans toute l’usine, est intervenu dans chaque secteur et a été exposé à toutes sortes de produits. “On recevait de l’huile sur la figure ; un quart d’heure après, c’était de l’Eternit ; on allait près du four et on se reprenait encore autre chose sur le coin de la figure, raconte-t-il. Je me doutais qu’il y avait des produits dangereux, parce qu’un de mes collègues se mettait à saigner du nez à chaque fois que l’on approchait certains produits.” En 1999, il est atteint par un cancer du colon. En 2006, c’est la prostate. Aujourd’hui, il avoue vivre dans la crainte qu’un nouveau cancer ne se déclare.

@ Etienne Bouy

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Christian Cervantes

Christian Cervantes a 63 ans. Abîmé par la maladie, usé par la souffrance et mutilé par les traitements, il reste aujourd’hui debout pour mener son combat face aux dirigeants de l’entreprise et faire reconnaître son travail comme responsable de son état de santé actuel.Après trente-trois années passées derrière une machine de la verrerie, à respirer quantité de fumées suffocantes et à recevoir des éclaboussures de produits acides, Christian Cervantes souffre d’un cancer de l’oropharynx et d’un cancer du plancher de la bouche. Aujourd’hui, ses métastases pulmonaires ne lui laissent plus d’espoir de survivre à sa maladie. Il en a conscience. D’ailleurs, ce n’est pas un combat pour lui, mais un combat pour les autres, qu’il a décidé de mener jusqu’au bout. “On va au travail pour nourrir sa famille, pas pour y mourir”, assène-t-il, lui qui a perdu son père, au travail également.De chimiothérapies palliatives en traitements, Christian Cervantes attend l’audience du 22 juin. À terme, il souhaite que lui et ses collègues exposés comme lui à des substances nocives puissent obtenir la reconnaissance de maladie professionnelle. À ses côtés pour se battre, son épouse Mercedes, une femme de caractère qui ne supporte plus de voir la liste des anciens de la verrerie morts ou malades s’allonger mois après mois.

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