Les six jours “émeutiers” de Lyon

Excepté le week-end, le centre-ville de Lyon a vécu aux heures des violences urbaines du 14 au 21 octobre, particulièrement autour de la place Bellecour. Retour sur les “événements" et ses 286 interpellations.

Jeudi 14 octobre

Les lycéens occupent les rues de Lyon

22 interpellations*

Suite à la journée de mobilisation contre la réforme des retraites du 12 octobre qui a vu l’entrée des jeunes dans le mouvement, de nombreux lycéens se réunissent en début de matinée devant leur établissement, essayant d'en bloquer les accès. Selon le rectorat, "il y a eu des tentatives de blocage devant une vingtaine de lycées". Dans la rue, la mobilisation vient surtout des jeunes de Lumière (quartier des États-Unis à Lyon 8e) qui ont été rejoints par les lycéens de Colbert et de Sembat/Seguin de Vénissieux. La préfecture note un "cortège de 400 lycéens”, qui a “sillonné le secteur” puis le centre-ville. La préfecture constate également les premiers “jets de projectiles sur les véhicules de police, les transports en commun et les véhicules de particuliers, ainsi que par quelques feux de poubelle ou la détérioration de mobilier urbain”. On ne parle pas encore de casseurs.

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*chiffres de la préfecture arrêtés tous les jours à 19h

Vendredi 15 octobre

Premiers heurts avec les CRS

28 interpellations

Le début de la journée ressemble à celui de la veille. Des lycéens vont “débrayer” d’autres lycéens. Puis, par petits groupes, ils s’acheminent vers la place Bellecour où un rendez-vous a été fixé à 10 heures. De là, ils continuent à faire la tournée des lycées. Le semblant de cortège se dirige vers l’hôtel de ville. Place des Cordeliers, les CRS barrent la rue. Des projectiles sont envoyés sur les forces de l’ordre qui repoussent les lycéens avant d’employer les premières grenades lacrymogènes. Repoussés au niveau des quais du Rhône, des lycéens retournent une voiture qu’ils tentent d’incendier. Nouvelle charge. Les interpellations se succèdent.

Après s’être dispersés un temps, les lycéens se retrouvent à 14h, à Bellecour, pour repartir à l'université Lyon 2. Aucune dégradation notable n’a été relevée au passage du cortège. En fin de journée, le recteur, Roland Debbasch, condamne fermement "les débordements et dégradations observés en marge de certains mouvements et qui sont le plus souvent le fait d’éléments extérieurs aux établissements scolaires ". Toujours pas de casseurs, dans les communications officielles.

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Lundi 18 octobre

2000 lycéens dans les rues : de nouveaux affrontements avec la police

28 interpellations

Deux groupes d’une centaine de personnes se rejoignent au niveau de l’Hôtel de Ville. Le premier, en provenance des 7e et 8e arrondissements, via la place Bellecour. Le deuxième arrivent des Pentes de la Croix-Rousse où trois voitures sont brûlées à proximité du lycée professionnel Flesselles. Au total, selon la préfecture, sept voitures sont incendiées dans l’agglomération en lien avec le mouvement lycéen.

À midi, aux Cordeliers, les CRS chargent les jeunes qui répondent avec des jets de pierres. Un peu plus tard, les lycéens se concentrent autour de la place des Terreaux où plusieurs voitures sont renversées et quelques vitrines de magasins brisées ainsi qu’un abribus.

A 14h, les lycéens se retrouvent à Bellecour pour partir, direction place Jean-Macé (7e arrondissement), dans un cortège tenu par des syndicats, dont la CGT et Solidaires (le rassemblement de tous les SUD, ndlr). Les syndicalistes réussissent à canaliser les jeunes le long du parcours et à leur faire reprendre leur slogan. À 16h, arrivés place Jean-Macé, les "anciens" quittent la manif. Les caillassages reprennent. Les forces de l’ordre procèdent à plusieurs interpellations musclées.

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Mardi 19 octobre

Émeutes urbaines au centre-ville

74 interpellations

Comme la veille, un premier groupe de lycéens arrive à l’hôtel de ville tandis qu’un deuxième groupe de 300 lycéens hésite un temps à rallier la grande manifestation intersyndicale, au départ de la place Ambroise Courtois. Finalement, les deux groupes de lycéens se rejoignent place Bellecour. Sur leur passage, les incidents se sont multipliés : le long de l'avenue Gambetta, quatre véhicules sont renversés. Nombre d'autres subissent des dégradations. Au centre-ville, une fourgonnette et des poubelles sont incendiées.

À 11h30, la situation se tend encore un peu plus à Bellecour. Avec des pierres trouvées sur les chantiers de la place, près de 1000 jeunes affrontent les forces de l'ordre qui répliquent avec des gaz lacrymogènes, en quantité importante.

Un groupe de jeunes courent à travers la rue Victor-Hugo. Plus d'une dizaine de vitrines de commerces sont vandalisées, six magasins subissent des pillages.

Avant l’arrivée du cortège syndical, la place est vidée par les forces de l’ordre. Les derniers manifestants sont à peine à Bellecour que les tirs de grenades lacrymogènes reprennent, "gratuitement", diront de nombreux témoins. Les jets de pierre répondent.

Scène surréaliste, Philippe Meirieu se place au milieu des hostilités, place Antonin Poncet. Le vice-président du Conseil Régional prend le micro au camion de la CFDT : "ne cédez pas aux provocations qui viennent de partout ". Il exhorte les syndicalistes de s'interposer entre les lycéens et les forces de l'ordre.

A 14h, un hélicoptère de la gendarmerie apparaît au dessus de la place. Plus tard, le camion du GIPN fera également son apparition. Plusieurs dizaines d’étudiants et syndicalistes tentent d'organiser un sit-in alors que la plupart des manifestants sont rentrés chez eux.

Vers 15h, les CRS tentent une nouvelle fois de disperser les occupants de la place par des charges successives et des tirs de grenades lacrymogènes. Plusieurs groupes partent dans les rues de l’hôtel de ville puis sont de retour sur la place Bellecour que la centaine de personnes en sit-in n’a pas voulu lâcher malgré la pluie de grenades lacrymogènes.

Jusqu’à 18h30, charges, jets de projectiles et grenades lacrymogènes s’enchaîneront. Les derniers manifestants ne sont toujours pas parti que le préfet, Jacques Gérault, donne une conférence de presse exceptionnelle. Il désigne "1300 casseurs" comme responsables des "exactions", indiquant que "la moitié sont des majeurs et un tiers est connu des services de police". Il précise : "Il y a une quinzaine de lycées de l’agglomération qui concentrent les regroupements le matin. Des jeunes auxquels s’agrègent des casseurs, des voyous qui viennent des banlieues, qui sont répertoriés comme délinquants et qui en profitent pour saccager et vandaliser des commerces". Albert Doutre, directeur départemental de la sécurité publique ajoute : “Ce sont des phénomènes de guérilla urbaine avec leurs casses de vitrines et leurs pillages en coupe réglée par des groupes de 15 à 20 jeunes". Le bilan chiffré s’établit ainsi : 21 véhicules retournés, au moins deux brûlé, 9 magasins pillés et 190 tirs de grenades lacrymogènes.

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Mercredi 20 octobre

Hortefeux et 800 policiers ne calment pas Bellecour

35 interpellations

800 policiers se pressent au centre-ville de Lyon, particulièrement aux abords de la place Bellecour. L’hélicoptère et le GIPN sont aussi toujours là. Depuis 9h30 le centre-ville est également coupé du réseau de transports en commun. Malgré tout, environ deux cents lycéens se retrouvent sous la statue de Louis XIV. À 11 h, premier incident avec l’incendie d'un camion rue Édouard Herriot. Conséquence : les gendarmes mobiles bloquent tous les accès nord de la place. Au même moment, le maire de Lyon, Gérard Collomb (PS) donne une conférence de presse pour condamner une fois de plus ces actes. Il annonce que toutes les poubelles du centre-ville ont été supprimées et que les chantiers sont sécurisés pour éviter de fournir des projectiles aux émeutiers.

À 14h, le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, arrive à l'hôtel de police de Lyon pour une réunion de travail sur les violences urbaines. Le maire de Lyon, Gérard Collomb, regrette une "opération de communication" alors qu’il souhaitait "une réunion de crise".

Les jeunes ont déserté le secteur pour se rendre au tribunal où ils font face aux CRS. Quelques pierres sont lancées. Les forces de l'ordre interpellent.

À 15h20, Brice Hortefeux arrive rue Victor Hugo où il passe 10 minutes avec les commerçants, victimes mardi de pillages.

Peu après son départ, un groupe de jeunes a investi le quartier Saint-Jean. Sur leur trajet, ils dégradent notamment des cabines téléphoniques, des vitres d'un 4X4 et un abribus. Après un passage par Bellecour, un nouveau semblant de cortège se dirige vers le pont de la Guillotière où les "pacifistes" veulent faire un sit-in. Mais arrivé sur le pont, le gros de la troupe fonce sur la rive gauche du Rhône. Des lycéens sautent sur des voitures à Saxe-Gambetta. D'autres par des petites rues en direction de la préfecture. La police tente de les disperser à coups de grenades lacrymogènes. Les flash-balls sont utilisés.

De retour sur le pont de la Guillotière, une centaine de manifestants est bloquée par les forces de l'ordre. Pour s’enfuir, un jeune homme saute dans le Rhône. Il regagne les berges à la nage mais n’échappe pas à son arrestation.

Jusqu’en début de soirée, les manifestants sortent au compte-goutte après que leur identité a été contrôlée. Ceux qui n’ont pas de papiers sont conduits à l’hôtel de police.

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Jeudi 21 octobre

Bellecour, enfermée à ciel ouvert

36 interpellations

La Presqu’île, entre Rhône et Sâone, est une nouvelle fois coupée du réseau de transports en commun. Nouveauté du jour, deux canons à eau “CRS”, braqués sur la place Bellecour, ont rejoint l'hélicoptère et le GIPN, dans le dispositif anti-émeute. Et malgré tout, encore 300 lycéens sont rassemblés. À 11h, les lycéens partent en courant rue de la Charité à Lyon 2e, au sud de la place Bellecour où une voiture est renversée et d’autres dégradations sont commises. Les lycéens s’enfuient par le pont de l'Université, les CRS sur leurs talons. Arrivés sur l’autre rive du Rhône, ils se dispersent dans les petites rues pour ensuite regagner la place Bellecour.

A 13h30, les forces de l’ordre bloquent “ferme”, comme ils disent, les entrées et les sorties place Bellecour. Dans un sens seulement : il est possible d'y rentrer, pas d'en sortir. “Mais si vous étiez vieux et blanc, vous pouviez réussir à négocier une sortie individuelle”, témoigne une personne retenue. “C’est comme une garde-à-vue à ciel ouvert. Sauf qu’on ne peut pas aller aux toilettes. Mais on peut appeler”, explique une autre personne.

À 14h, place Antonin-Poncet, à un saut de puce de Bellecour, étudiants, lycéens, mais aussi syndicalistes se rassemblent pour partir en cortège, comme il avait été annoncé dans un communiqué de presse. Mais les 400 lycéens ne peuvent les rejoindre, séparés des manifestants par un cordon de CRS. Au cri de "Liberté de manifester !" et "libérez les manifestants !", les manifestants de la “zone libre” font pression. La tension monte. Des jets de pierres et de grenades lacrymogènes sont échangés.

À 15h, environ 2000 manifestants partent finalement de la place Antonin Poncet. Ils se dirigent vers la bourse du travail, dans le 3e arrondissement de Lyon. Les drapeaux de la CGT, de la CFDT, de l'Unef, de Sud, de la CNT et des jeunes socialistes flottent au dessus du cortège. Les 400 personnes enfermées dehors restent place Bellecour.

À 17h, le préfet donne une conférence de presse pour expliquer ce dispositif “inédit” qui consiste à bloquer les gens de la place pour mieux pouvoir identifier les “casseurs”. Il annonce l'utilisation de photos prises par les caméras de vidéosurveillance et par l'hélicoptère, ainsi que des prélèvements d’ADN sur les commerces dégradés.

Au même moment, les lycéens à qui on a dit qu’ils ne pourront pas partir avant 21h, tentent une sortie par la rue Victor Hugo, en formant une sorte de cortège. Les forces de l’ordre répliquent par des tirs de grenades lacrymogènes et par l’utilisation du canon à eau. “Le kärcher de Sarkozy“, comme dit une lycéenne. Paradoxe de la situation : on utilise des moyens pour disperser une foule alors que les personnes ne peuvent pas sortir de la place.

“On est passé d’une logique de maintien de l’ordre à une logique de punition collective. Ça a produit une panique générale”, témoigne Aline, militante “anticapitaliste et antiautoritaire” présente toute la journée. “Plusieurs lycéens pleuraient. Une fille faisait une crise d’asthme pendant que les flics disaient, pour qu’on entende “ça fait plaisir le spectacle du canon à eau”. Finalement la fille a pu sortir mais sa copine a dû rester à l’intérieur”, poursuit-elle.

Au même moment, place Guichard, la manifestation se disperse dans le calme. Certains appellent à aller "libérer" leurs camarades place Bellecour.

À 18h, La police commence les contrôles d'identité. Ceux qui ont leur carte d'identité peuvent partir. Les autres sont mis de côté. Vers 19h30, ils sont acheminés par bus au commissariat de police. Une centaine de "sans papiers" sont ainsi conduits à Marius Berliet. Les mineurs doivent attendre que leurs parents viennent les chercher, les autres doivent justifier leur identité. La plupart sont libres dans la soirée.

Peu après 20h, la place Bellecour n’est plus cette zone carcérale où certains se sont retrouvés piégés. "Je suis coincé depuis 13h30. Je leur dis que je ne manifeste pas, que je travaille mais ils ne m'ont pas cru ", nous confie l'un d'eux. Beaucoup semblaient épuisés au terme de cette longue journée, sans boire ni manger.

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Vendredi 22 octobre

Devant la justice, les casseurs n’ont pas le bon profil

Cette méthode d’enfermement a été efficace. Le lendemain, il n’y a plus qu’une trentaine de lycéens au pied de la statue de Louis XIV.

Dans l’après-midi, 140 militants d’extrême droite ont tenté d’en découdre avec les lycéens mais la police les a arrêtés, à 17h, pour “délit d’attroupement” au niveau de la place Ampère (2e arr.).

L’heure est au bilan judiciaire.

Jeudi 21 octobre, lors de sa dernière conférence de presse sur les “casseurs”, le préfet Jacques Gérault a dressé leur profil : sur les 265 jeunes interpellés depuis le 14 octobre, deux tiers étaient des mineurs, un tiers des majeurs. 90% étaient des hommes et un tiers déjà connus des services de police. Le préfet a également révélé que les jeunes venaient "d'une quinzaine de lycées de l'agglomération avec des groupes de trois à dix casseurs par établissement".

Lyon Capitale a assisté aux comparutions immédiates où on devait trouver les casseurs les plus chevronnés. Résultat : sur 89 adultes (un tiers des arrestations), 29 ont comparu entre le 18 et le 22 octobre. Les deux tiers pour des jets de projectiles (des pierres généralement) sur les forces de l’ordre. Dans seulement 20% des cas, ils avaient déjà des antécédents (contre un tiers annoncé par le préfet). Le tribunal a prononcé essentiellement du sursis et sept peines de un à trois mois de prison ferme. Dans le box, les profils socio-économiques étaient très variés : un père de famille au chômage, un déménageur, trois lycéens professionnels, un chercheur turc, des étudiants.

Chez les mineurs, les avocats spécialisés ont vu passer la majorité des des dossiers. "Nous avons constaté la mise en œuvre par les juges des enfants de mesures majoritairement éducatives. La majorité des mineurs à ce jour présentés n'étant pas "ancrés" dans la délinquance. En bref, les avocats n'ont pas vu les dangereux casseurs annoncés”, conclut l’avocate Marie-Pierre Dominjon, présidente de la commission des mineurs du barreau de Lyon.

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