Alors que l’amendement sur la taxe des 20% de la sénatrice (UDI) Catherine Morin-Desailly avait été retiré de la loi Macron, puis réintroduit hier in extremis par le Gouvernement, le principal soutien du projet, David Kessler, présent au CSA le 8 mars 2012 pour défendre aux côtés de Pascal Houzelot ce qui s’appelait encore TVous la Télédiversité, est aujourd’hui beaucoup moins disert et enthousiaste. Et parle de sa présence comme d’une mission commandée pour son ex-patron Matthieu Pigasse.
En mars 2012, David Kessler, aujourd’hui en poste chez Orange, officiait encore à la direction des Inrockuptibles et du site Huffington Post France (dont Matthieu Pigasse est l’actionnaire). Il rejoindra quelques jours plus tard François Hollande à l’Élysée en tant que conseiller médias/culture, sept mois avant la diffusion de la chaîne. Conseiller d’État, il avait déjà travaillé dans un cabinet, puisqu’il était à Matignon du temps où Lionel Jospin était Premier ministre.
Lors de l’audition du 8 mars 2012, David Kessler débordait du même enthousiasme que Pascal Houzelot, enthousiasme qui n’était cependant pas partagé par les conseillers du CSA, c’est un euphémisme. Sans même le son, il suffit de voir leur mine déconfite et leur air agacé pour immédiatement s’en convaincre (excepté Michel Boyon, riant comme à son habitude de ses propres traits d’esprit). Il faut dire que tout était réglé d’avance par l’Élysée et que lesdits conseillers (à l’exception de Rachid Arhab et d’Alain Méar, qui voteront contre) avaient dû jouer une sorte de pièce de théâtre assez grotesque, il faut en convenir.
David Kessler n’avait pourtant pas ménagé sa peine. Ce projet tout à fait mirobolant et prétendument attendu par un large public était, selon lui, “une ouverture au monde, aux cultures et à cette exigence de curiosité qui fait que nous sortons de l’Hexagone pour essayer de regarder tous ces mouvements qui se produisent ailleurs”. En outre, il soulignait “la diversité sociétale (…) qui se traduit par le fait qu’il y a toute une série (…) d’actions qui sont mises en œuvre et sur lesquelles nous avons le sentiment que la télévision d’aujourd’hui n’est pas suffisamment attentive”. Enfin, David Kessler évoquait “la diversité culturelle qui renvoie à cette ouverture au monde, c’est la diversité des musiques, c’est la diversité du cinéma, c’est la diversité des pratiques culturelles, qui est une réalité à laquelle là aussi nous avons le sentiment parfois qu’il y a un manque”.
Loin de Blier et de Lynch
Le “manque” évoqué aura in fine été comblé par des émissions de téléréalité américaines hyper bas de gamme, axées sur des concours de tatouage et de maquillage, et il ne fut hélas jamais question du Tenue de soirée d’un Bertrand Blier – la “vision” de la diversité de M. Houzelot se limitant à un Elephant Man dans un magasin de porcelaine, c’est-à-dire sans le talent ni le génie créatif d’un David Lynch.
M. Kessler expliquait hier au Monde qu’en vérité il avait agi au grand jour en tant que représentant de Matthieu Pigasse, lequel envisageait de devenir actionnaire de Numéro 23 aux côtés d’autres investisseurs minoritaires, dont Xavier Niel, le patron de Free. Ce n’est pourtant pas du tout ce qu’il défendait le jour de l’audition, où il fut question de mutualisation de contenus avec les Inrocks, mutualisation dont les contours étaient d’ailleurs assez vagues – ni lui ni M. Houzelot n’ayant été capables d’apporter le moindre élément concret aux différentes questions des conseillers du CSA, se limitant à des éléments “symboliques”, selon l’expression même du lobbyiste à l’entregent légendaire, fait pour cette qualité sans doute chevalier des Arts et Lettres par Fleur Pellerin.
M. Kessler a également confié hier au Monde qu’il n’avait rien à voir avec la revente de Numéro 23, annoncée en avril 2015. Soit. Mais alors, ce qui devient troublant, c’est que l’auteur de ces lignes a été contacté par une représentante de Matthieu Pigasse, le 15 avril 2015, lequel se plaignait lui aussi d’être associé à Numéro 23, “par erreur”. Si, en 2011 et en 2012, tout le monde en faisait des tonnes au nom de “toutes les diversités”, aujourd’hui ce serait plutôt “courage fuyons” en basse définition. C’est sans doute Yassine Belattar (roulé dans la farine par Pascal Houzelot et ses amis) qui résume le mieux cette escroquerie : “Avec la vente de Numéro 23, je découvre que la diversité coûte 90 millions d’euros. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’elle n’avait pas de prix”.