Alors que Pascal Houzelot vient enfin de transmettre le mystérieux pacte d’actionnaires de Numéro 23 au CSA, qui le réclamait avec insistance depuis un an et demi, Alain Weill, potentiel acheteur de la chaîne (pour 90 millions) doit se rappeler avec émotion que le Conseil d’État avait annulé six des vingt-trois autorisations délivrées par le régulateur dans le cadre du lancement de la télévision numérique terrestre (TNT). Nous étions en 2004… et c’est même grâce à cela que BFM a vu le jour. Souvenirs, souvenirs. Avec, aujourd’hui, la Russie de Poutine en invitée surprise.
En octobre 2004 et sur la requête de TF1, le Conseil d'État avait annulé six des vingt-trois autorisations délivrées le 10 juin 2003 par le CSA aux éditeurs de services de télévision destinés à être diffusés par voie terrestre en mode numérique. Il s'agissait des autorisations attribuées aux sociétés MCM, Canal J, Sport+, I-Télévision, Ciné-Cinéma Câble et Planète Câble. Pour statuer ainsi, le Conseil d'État avait tenu un implacable raisonnement en trois temps.
En premier lieu, il avait relevé qu'à la date à laquelle le CSA avait délivré ces autorisations l'article 41 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle limitait à cinq le nombre maximal d'autorisations de diffusion qu'une même personne pouvait détenir, soit directement, soit par l'intermédiaire de sociétés qu'elle aurait contrôlées.
Il avait estimé, en second lieu, que l'existence de ce contrôle devait être déterminée au regard des critères fixés, à cette même date, par l'article L. 233-3 du Code de commerce. Cet article dispose notamment, d'une part, qu'une société en contrôle une autre lorsqu'elle en possède la majorité des droits de vote, d'autre part, que lorsque deux ou plusieurs personnes, agissant de concert, déterminent en commun les décisions prises par les assemblées générales d'une société tierce, ces personnes sont réputées exercer un "contrôle conjoint" sur cette société.
Contrôle conjoint
En dernier lieu, le Conseil d'État avait examiné, à la lumière de ces principes, la structure financière des sociétés visées par la requête. Il avait tout d'abord jugé que la société Lagardère Thématiques contrôlait les sociétés Canal J et MCM, titulaires chacune d'une autorisation de diffusion, puisqu'elle en détenait l'intégralité des capitaux. Le Conseil d'État avait ensuite estimé que les sociétés Canal+ et Lagardère Images exerçaient elles-mêmes un contrôle conjoint sur la société Lagardère Thématiques, dès lors qu'elles en détenaient respectivement 49 et 51 % des parts et qu'elles étaient convenues, par écrit, de définir d'un commun accord la stratégie de leur filiale. Les juges en avaient déduit que la société Canal+ était cotitulaire, avec le groupe Lagardère, des autorisations accordées aux sociétés MCM et Canal J.
La société Canal+ bénéficiant en outre indirectement, ce qui n'était d'ailleurs pas contesté, des autorisations consenties à chacune de ses filiales Sport+, I-Télévision, Ciné-Cinéma Câble et Planète Câble, en sus de l'autorisation qui lui avait été personnellement consentie pour la reprise intégrale et simultanée, sur la TNT, de ses propres programmes hertziens, le Conseil d'État avait ainsi constaté que la procédure organisée par le CSA avait abouti à ce que la société Canal+ détienne, directement ou indirectement, seule ou conjointement, sept autorisations d'émettre, soit un nombre supérieur au plafond fixé par la loi.
Pour ce motif, les juges avaient annulé l'ensemble de ces autorisations, à l'exception de celle personnellement accordée à Canal+ pour la reprise de son programme hertzien, cette autorisation revêtant, en vertu de la loi, un caractère prioritaire.
Pacte des loups et gaz à tous les étages
Onze ans plus tard, on peut facilement imaginer que le CSA ne commettra pas les mêmes erreurs et scrutera attentivement le pacte d’actionnaires (très) tardivement transmis par Pascal Houzelot. Il s’agit primo de comprendre pourquoi l’oligarque Alicher Ousmanov s’est réveillé un beau matin avec l’irrépressible envie d’investir plusieurs millions d’euros dans une chaîne française fantôme et secundo de découvrir à quelle hauteur exacte se situe son investissement – et par conséquent la réalité du contrôle de Numéro 23 par une puissance extra-européenne.
D’autant que, milliardaire (Alicher Ousmanov est la 71e fortune mondiale, 14,1 milliards de dollars selon Forbes), l'homme d'affaires est un proche de Poutine et qu’il a même été, à partir de 2000 -et jusqu'en octobre 2014- le directeur général de la holding chargée des investissements de Gazprom. Fait notable, le 8 mars 2012, aux côtés de Pascal Houzelot, outre David Kessler (Les Inrocks et aujourd’hui Orange, après être passé au cabinet de François Hollande à l’Élysée) et Damien Cuier (France Télévisions et l’un des premiers rôles de Bygmalion), une quatrième personne défendait le dossier qui s’appelait encore TVous la Télédiversité, en l’occurrence Valérie Bernis, ancienne du cabinet d’Édouard Balladur et surtout l’une des principales dirigeantes de GDF-Suez (récemment rebaptisé Engie).
Encore une de ces coïncidences dont M. Houzelot a le secret ? Une simple corrélation qui n’a pas lieu d’être dans la mesure où Mme Bernis aurait elle aussi ressenti un besoin irrépressible de défendre officiellement "la place des femmes" dans la petite entreprise Houzelot ? Ou bien une véritable usine à gaz internationale dont le nouveau chevalier des Arts et des Lettres ne serait qu’une petite pièce détachée ?