François Turcas

Philippe Grillot, la chute d’un électron libre

Trois ans après la mise à l’écart de Guy Mathiolon sur fond d’affaires suspectes, la CCI de Lyon traverse une nouvelle crise. Son président, Philippe Grillot, ne dispose plus de la confiance de ses élus et sera remplacé ce lundi. Il lui est reproché d’avoir pris son indépendance par rapport aux puissants syndicats patronaux. Dans l’esprit du Medef et de la CGPME, un président doit avant tout être aux ordres.

Ce lundi après-midi, Philippe Grillot va être mis en minorité par les élus de la CCI et donc être contraint de quitter la présidence. Cette issue est prévue depuis maintenant une quinzaine de jours. Elle est le fruit de l'union sacrée des présidents des centrales patronales et d'un sursaut d'orgueil de Philippe Grillot. Le futur ex-président de la CCI nous clame depuis quelques jours : “je ne leur ferai pas le plaisir de démissionner”. Une position de principe qu'il s'est forgé lors de ses trois années de présidence parfois frustrantes dans ses relations avec les organisations patronales. Officiellement, Philippe Grillot est débarqué pour avoir porté une violente charge contre la Chambre de Commerce et d'Industrie dont il voulait se soustraire de la tutelle. Dans les faits, le futur ex-président de la Chambre de Lyon paie une communication parfois maladroite et une liberté de ton qui semble dans le patronat lyonnais incompatible avec la fonction. D’une certaine manière, son éviction sanctionne sa méconnaissance du monde économique lyonnais, où tout se trame dans les coulisses. “J’ai peut-être eu tort de parler si tôt. Je ne suis pas une marionnette. Je me fais exécuter par un appareil qui ne supporte pas les électrons libres”, tempête Philippe Grillot. Retour sur les erreurs d’appréciation qui lui ont coûté la présidence de la CCI.

Se mettre Turcas à dos

Le puissant patron de la CGPME sort renforcé de la crise institutionnelle de la CCI. Le Medef lui a demandé la tête de Philippe Grillot et le truculent François Turcas s’est fait un plaisir de la lui offrir. “Depuis des mois, il attendait l’occasion pour faire sauter Philippe Grillot. Il l’avait dans sa ligne de tir, il n’attendait qu’un mobile”, explique un proche du président débarqué de la CCI. Dès le lendemain des élections consulaires de 2010, les relations entre le candidat de la CGPME et le patron départemental de l’organisation patronale se sont tendues. Philippe Grillot vote pour le candidat Medef lors de l’élection à la chambre de commerce et d’industrie régionale. “J’ai failli le virer à ce moment. Mes troupes n’avaient pas compris pour quelle raison il n’avait pas soutenu le candidat de la CGPME. J’ai dû lui faire présenter des excuses devant tous nos élus. Il essayait déjà de prendre une liberté qui ne lui appartenait pas. Il ne s’est pas fait tout seul. C’est nous qui lui avons donné son mandat”, note François Turcas.

Philippe Grillot découvre à ce moment-là que le patron de la CGPME “aime avoir des gens à sa botte et à ses ordres”. “Et je n’ai pas pour habitude d’être aux ordres, dit-il. LaCGPME, c’est 8 000 adhérents. J’ai été élu pour représenter 75 000 entrepreneurs”. Guy Mathiolon partage son constat sur la difficile cohabitation avec François Turcas : “Il adore rappeler qui est le patron. Il vous répète qu’il vous a fait roi, que son syndicat a le pouvoir sur vous. Pour être un bon président de la CCI, traditionnellement, il ne faut rien dire et obéir aux ordres. Turcas et Fontanel [le président du Medef Lyon-Rhône, NdlR] devraient prendre la présidence, ce serait plus simple.” Emmanuel Imberton, qui succèdera à Philippe Grillot, sait à quoi s’attendre.

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Ne pas savoir lire les renvois d'ascenseur

Homme de réseaux, François Turcas adore rendre des services. Il en tire la source de son pouvoir. “Il tient ses élus, tout le monde lui est redevable de quelque chose”, note un conseiller consulaire. “Il ne rate jamais une occasion de dire qu’il a fait un geste pour vous”, ajoute un proche de Philippe Grillot. Ce dernier ne lui a pas toujours facilité le travail. Il a ainsi exfiltré Marie-Hélène Gouffé de la direction du World Trade Center, une structure qui regroupe la CCI, l’Aderly (Agence pour le développement économique de la région lyonnaise) et l'Erai (Entreprise Rhône-Alpes International). Son mari, Daniel Gouffé, président d’Erai, a peu goûté l’épisode. Il est depuis à cran avec Philippe Grillot. Un épisode mal vécu par François Turcas, qui a dû intervenir en tant que médiateur. “Marie-Hélène Gouffé a été remerciée alors qu’elle avait fait du bon travail”, souffle le patron de la CGPME. Il défend aussi le bilan pourtant très contesté de Daniel Gouffé à Erai, le bras armé de la politique économique de la région Rhône-Alpes à l’international. Une structure qui compte dans ses rangs... Karine Turcas, directrice de l’antenne Canada. “Philippe Grillot a été idiot, très maladroit de virer Marie-Hélène Gouffé sans en parler au préalable à François Turcas. Les gens rancuniers savent attendre le bon moment pour enfoncer le clou”, poursuit un élu de la CGPME.

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Un rôle de notable dont Grillot a voulu s'affranchir

Dans l’esprit de François Turcas, le président de la CCI est lié à la CGPME et à ses orientations. De fait, son organisation professionnelle détient le pouvoir, quand Philippe Grillot doit se cantonner à un rôle institutionnel. “Nous l’avons élu pour mener le programme que nous avions écrit, s’occuper des entreprises, mais certainement pas pour dire qu’il y a un clan Grillot-Collombface à Mauduy [le président de la chambre régionale] et Queyranne”, tonne François Turcas. En prenant le parti du maire de Lyon contre Jean-Jack Queyranne, Philippe Grillot s’est d’une certaine manière assis sur un siège éjectable.

La prise de position ne s’est pas révélée payante. Gérard Collomb n’a pas bougé pour lui venir en aide. Au plus fort de la crise à la CCI, le maire de Lyon a préféré recevoir Bernard Fontanel et François Turcas. “Il nous a demandé de régler le problème rapidement. Il n’a pas envie que les choses s’éternisent en période électorale”, relate le patron de la CGPME. Philippe Grillot se console en arguant que ses propos ont été d’autant plus mal pris qu’ils étaient vrais : “C’est comme dans la chanson de Guy Béart : le premier qui dit la vérité... Je suis exécuté par des apparatchiks qui n’ont pas supporté ma liberté de parole. Si, pour être un bon président, il suffit d’être un notable, ça ne m’intéresse pas.” Ses détracteurs opposent à la liberté de conscience un ego surdimensionné : “Occuper le bureau du président au palais de la Bourse doit faire tourner la tête. Nos deux derniers présidents ont pris le melon, se sont sentis intouchables. Ils se voyaient déjà maire de Lyon. Ça commence à faire beaucoup”, déplore un conseiller consulaire de la CGPME.

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Une CCI sans pouvoirs

C’est lui ou moi”, a rugi Jean-Paul Mauduy en découvrant les propos de Philippe Grillot dans la presse. Le président (Medef) de la chambre de commerce et d’industrie régionale n’a que peu apprécié que le patron de la CCI de Lyon, placée sous sa tutelle, demande son indépendance. La réforme des chambres consulaires entrée en application en 2013 bouleverse les attributions de chacun. La CCI de Lyon ne dispose plus, par exemple, d’une autonomie budgétaire. Ses ressources sont attribuées par l’antenne régionale. “Philippe Grillot n’a jamais admis d’être sous tutelle. Alors que les neuf autres CCI l’ont bien vécu. Il est frustré alors qu’il lui reste beaucoup de marges de manœuvre. Son attitude est uniquement liée à une blessure d’ego. Il ne veut pas être relégué au même rang que la CCI de Roanne alors qu’il a 75 000 adhérents”, pointe un élu de la CCI de Lyon. En prenant la défense de Jean-Paul Mauduy, François Turcas prépare aussi l’avenir. Lors des prochaines élections, les deux organisations patronales ont ainsi prévu de mener des listes communes.

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Des patrons à qui il ne faut rien refuser

Philippe Grillot s’est fait un ennemi en la personne d’Olivier Ginon en suggérant que l’un de ses concurrents, Reed Expositions, avait toute légitimité à répondre à un appel d’offres. “J’ai dû froisser un certain nombre de personnes avec ces propos. Eurexpo est géré par GL Events dans le cadre d’une concession. Quand le contrat arrivera à son terme, je considère normal qu’il y ait une compétition entre plusieurs entreprises pour un marché aussi important”, se justifie Philippe Grillot. “Pourquoi est-il allé dire que Reed Expositions avait toute légitimité à candidater ? La CCI touche de GL Events entre 1,5 et 1,8 million d’euros de dividendes par an pour la gestion d’Eurexpo. Surtout, Olivier Ginon est beaucoup critiqué pour avoir un monopole à Lyon. C’était inapproprié. Olivier Ginon l’a mal vécu. Et mieux vaut ne pas le vexer”, confie un élu de la CGPME. “On ne tire pas sur le pianiste qui fait rentrer de l’argent. GL Events a boosté Eurexpo. Il faut se rappeler que la structure était moribonde il y a cinq ans. Aujourd’hui, il y a trois salons par semaine. Philippe Grillot a manqué de finesse politique. Olivier Ginon est déjà dans une situation compliquée, il n’avait pas besoin de ça. Et lui, si vous le chatouillez, il vous flingue”, conclut un conseiller consulaire.

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