AFFAIRE DEXIA. Le conseil général du Rhône, présidé par Michel Mercier, est l’un des plus “infectés” de France par les prêts toxiques. À hauteur de 396 millions d’euros.Le surcoût, selon le PS, pourrait atteindre 100 millions d’euros… soit la moitié du coût du musée des Confluences (220 millions annoncés). La note pourrait être d’autant plus salée pour les contribuables que dans la région beaucoup d’autres collectivités sont touchées. Lesquelles ? Comment vont-elles payer les surcoûts ? Quelles sont les solutions ?
Une bombe à retardement s’est immiscée dans les comptes de nos collectivités. La toxicité des prêts, souscrits par 3 000 à 5 550 collectivités françaises, va faire son effet à la fin de l’année. Les périodes bonifiées de ces emprunts, où les taux d’intérêt étaient très avantageux (1 à 2 %) vont prendre fin et laisser la place à des périodes à taux variable indexé sur des parités monétaires (euro/franc suisse, ou dollar/yen) très volatiles qui font exploser les taux d’intérêt (jusqu’à 20 % ou plus). Ces emprunts pèsent lourd dans le budget des collectivités : pas moins de 8 milliards d’euros, d’après Claude Bartolone, qui préside la commission d’enquête sur les emprunts toxiques à l’Assemblée nationale (lire interview). La petite commune d’Unieux, dans la Loire, a déjà vu ses remboursements bondir cette année, atteignant 800 000 euros, pour un taux d’intérêt à 24,28 % ! Et la région Rhône-Alpes est loin d’être épargnée. Les conseils généraux de l’Ain et du Rhône, Saint-Étienne, Oullins, Feyzin, Sathonay-Camp, Unieux, Lentilly, Chambéry, Annecy, Megève : tous ont foncé tête baissée sur ces prêts, à l’époque si alléchants.
La crise financière de 2008 fait tout basculer
Retour en arrière. Entre 2000 et 2008, les communes sont en bonne santé financière, la conjoncture est florissante et les investissements vont bon train. La banque Dexia (ancien Crédit local de France) est l’un de leurs interlocuteurs principaux depuis vingt ans. Les élus ont entièrement confiance en ses conseillers qui n’ont, pour la plupart, pas changé depuis la privatisation. Mais Dexia propose de nouveaux “produits” assez complexes. Remboursables sur de longues durées, entre 20 et 35 ans, ces emprunts possèdent des taux très bas les premières années, qui sont ensuite adossés à des formules complexes, notamment sur les parités monétaires hors de la zone euro. Certains d’entre eux sont même baptisés “Tofix”, alors qu’ils sont, par essence, fondés sur des taux variables. Vu qu’ils sont considérés comme des prêts “peu risqués” par les banquiers, les édiles foncent. Mais la crise financière de 2008 liée aux subprimes fait tout basculer. Car la dépréciation de l’euro a pour conséquence l’envol des taux.
100 millions de surcoût pour le Rhône ?
Le conseil général du Rhône est l’un des plus touchés de France. “L’année dernière, Michel Mercier nous a assuré qu’il n’avait pas souscrit d’emprunt toxique au sein du conseil général. Cette année, il nous en annonce pour 150 millions. Puis, quelque temps plus tard, il a été obligé de reconnaître le vrai chiffre de 396 millions d’euros”, expose Thierry Philip, président du groupe socialiste au conseil général, au micro de Lyon Capitale TV. Cinq contrats très “toxiques” ont été signés, indexés sur le franc suisse et le dollar. Le surcoût, d’après Thierry Philip, est estimé à 100 millions d’euros, “c’est-à-dire le budget annuel culture et sport pour le département”. Si Thierry Philip qualifie de “désastre” la situation, Max Vincent, rapporteur général du budget au conseil général, essaie de dédramatiser : “Les surcoûts seront inférieurs à 30 millions d’euros. Mais nous n’en sommes pas sûrs car les calculs sont compliqués. De plus, nous sommes en pleines négociations avec Dexia afin de fixer les taux d’intérêt. Pour 2011, nous avons bloqué les taux entre 5 et 6 %. Mais le problème se pose pour 2012. Nous risquons d’avoir des augmentations. Du coup, nous avons envoyé une lettre à Dexia afin de leur préciser qu’ils avaient failli à leur devoir de conseil.”
Des mentions erronées
À Oullins, l’histoire se répète. François-Noël Buffet, maire de la commune depuis 1997, a souscrit entre 2007 et 2009 trois prêts “toxiques”, pour un montant de 10 millions d’euros. Pour l’instant, la ville n’a pas subi de surcoût. Le maire a négocié des taux fixes jusqu’en 2012. Mais, après, quelles seront les indemnités ? D’après Jean-Louis Ubaud (PS), conseiller général et représentant de l’opposition à Oullins, le taux d’intérêt du prêt de 4,9 millions d’euros peut passer de 2,49 % à 8 % pour une variation de seulement 0,10 % par rapport à la parité de référence. Ainsi, si l’euro dévisse fortement – ce qui est le cas en ce moment –, les taux d’intérêt peuvent grimper jusqu’à 25 %.
François-Noël Buffet n’est pas très à l’aise pour parler des emprunts toxiques. D’ailleurs, jusqu’en 2011, les membres du conseil municipal d’Oullins n’ont jamais été informés de l’existence de ces emprunts, indexés sur la parité euro/franc suisse et sur l’Euribor (1). Plus grave, d’après un rapport de la chambre régionale des comptes datant d’avril 2011, “l’information des élus a été perturbée par les mentions parfois erronées figurant en annexe du compte administratif. En 2007, l’état de la dette était largement erroné, de nombreux emprunts ayant été oubliés, dont précisément l’ensemble des emprunts structurés”. Les magistrats de la chambre régionale des comptes ont estimé que “certains emprunts contractés, liés à l’évolution de cours de change, présentent un risque démesuré, compte tenu de leur durée d’amortissement”, et ont conseillé d’en sortir au plus vite.
Dans les collectivités où l’alternance a eu lieu, les élus sont plus enclins à ouvrir leurs cahiers de comptes et à dénoncer ces produits financiers considérés comme toxiques. En avril, Maurice Vincent (PS), le maire de Saint-Étienne, a été le premier édile de France à porter plainte contre la Deutsche Bank et la Royal Bank of Scotland, qui avaient octroyé à son prédécesseur 20 millions d’euros de prêts toxiques. Il les accuse de défaut de conseil, de marges cachées et de manquement au devoir d’information. Il faut dire que Saint-Étienne est véritablement plombée par la dette toxique. La ville totalise 120 millions d’euros de prêts risqués, contractés sous le mandat de Michel Thiollière (UMP), ce qui représentait 70 % de la dette en 2008.
À qui la faute ?
La commission d’enquête parlementaire sur les emprunts et produits financiers toxiques, créée en juin dernier, a auditionné élus, adjoints aux finances, employés des préfectures, pour essayer de comprendre la chaîne des responsabilités. Du côté des élus, on se défend. “Certains se sont fait avoir sans rien y comprendre, d’autres se croyaient des as de la finance et pensaient faire des affaires et d’autres se foutaient des années suivantes puisque leur mandat s’achevait”, lâche Jacques Vial, le maire de Lentilly, pour qui ces contrats bancaires sont très opaques. Dans cette commune de 5 200 habitants de l’Ouest lyonnais, les emprunts indexés sur l’Euribor, que l’on dit moins risqués, ont quand même déjà couté 8 600 euros. “Comment voulez-vous que, dans les petites communes, nous ayons une compétence financière pour juger de la pertinence de ces calculs ? C’est ce que je reproche aux banques : le manque de transparence et le manque d’information”, ajoute-t-il. Chez les banquiers, on assure que la mission de conseil est interdite dans la profession. “On ne peut pas être celui qui conseille et celui qui vend des produits financiers, c’est interdit par les textes”, déclare un responsable d’une banque. Avant d’ajouter : “Quant aux informations, nous pensons en avoir fourni assez. Elles sont publiques puisque les élus ont délibéré sur ces contrats.”
Quelles sont les solutions ?
La plupart des élus relancent les établissements bancaires afin de renégocier les prêts. Mais, autant dire qu’autour de la table des négociations les collectivités ne font pas le poids. Les pénalités sont souvent colossales. L’organisme bancaire du conseil général de l’Ain a proposé une indemnité de sortie de 130 millions d’euros sur les 205 millions d’emprunts toxiques. “C’est carrément indécent”, s’insurge Christophe Greffet, le vice-président aux finances du département, pour qui la solution d’augmenter les impôts devient obligatoire. D’autres collectivités ont d’ores et déjà décidé de rogner sur leur budget culture ou sur la voirie. “Si les élus n’arrivent pas à négocier le plafonnement des taux d’intérêt, cela peut entraîner des relèvements d’impôts. Les collectivités sont toujours solvables, puisque ce sont les contribuables qui bouchent les trous ! Ça, les banques le savaient bien”, avance Jean-Louis Gagnaire, député (PS) de la Loire et membre de la commission d’enquête parlementaire. Fin octobre, sept plaintes contre les banques ont été recensées devant les juridictions civiles françaises, dont celles de Saint-Étienne et d’Unieux. Mais plus d’une centaine de collectivités se sont déjà fédérées au sein de l’association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (cf. interview) et réfléchissent à des actions en justice. Le conseil général du Rhône, celui de l’Ain, Oullins, Lentilly, Sathonay-Camp, Megève : tous souhaitent enclencher la machine judiciaire si les négociations échouent.
(1) L’Euribor est l’un des principaux taux de référence du marché monétaire de la zone euro. Le 21 octobre dernier, la cotation de l’Euribor 12 mois était fixée à 2,12.
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Précisions :
Après la publication de cet article dans Lyon Capitale, Max Vincent et François-Noël Buffet ont souhaité apporter une réponse :
c'est bien expliqué et le contre poids des 2 autres élus, donne de l'épaisseur au début, bien qu'au départ cela n'en fut pas un, mais une présentation. Intéressant quand même